L'opinion s'impatiente | |
Interview accordée par François Mitterrand, Président de la République, à l'Hebdomadaire Vendredi daté du 21 janvier 1993 |
Malgré un bilan positif et reconnu comme tel par les observateurs étrangers, les Français semblent ne pas en savoir gré aux socialistes. Comment l'expliquez-vous ?Nous avons réformé beaucoup d'autres secteurs que le secteur social : les structures de l'Etat par la décentralisation, loi majeure qui marquera l'histoire de ce siècle, structures de l'éducation, de l'environnement, de la culture, de l'audiovisuel, j'en passe. On nous a même accusés, naguère, d'avoir cédé à une sorte de manie réformiste Dans le dernier sondage du Nouvel Observateur, les Français considèrent pourtant que nous n'avons que peu réformé...Parmi les explications de cet état de chose, je pense que nos compatriotes souffrent du fait qu'il n'y ait pas d'espérance visible. L'horizon international est bouché. Tout ce qui était attendu pour 1992, la reprise, la baisse des taux allemands, ne s'est pas produit. L'opinion s'impatiente et on la comprend. Pourtant, tout indique que la France s'en tire mieux que les autres. Seulement, l'attente a fini par user les nerfs du plus grand nombre et les campagnes partisanes adverses ont eu des supports multiples. D'autre part, la désaffection à notre égard relève, à mon avis, de la façon dont l'opinion et d'abord la partie de l'opinion qui nous est ordinairement favorable a perçu les "affaires" et le vote de l'amnistie. Les socialistes ont des électeurs très sensibles, très scrupuleux et c'est heureux. Cette exigence est à leur honneur. Notre base électorale a donc mal supporté le doute ou les accusations portant sur la morale publique. J'ai été moi-même très peiné - et révolté - par la révélation de certaines faiblesses. Mais, de là à croire que le parti socialiste, les socialistes, sont coupables collectivement, non ! L'exploitation politique des manquements réels et des fautes commises a fait le reste. Constatons, enfin, qu'il s'est produit un phénomène d'usure. Dix à douze ans de pouvoir de la gauche, la France n'avait jamais connu cela. Le Front populaire n'avait guère duré qu'un an. De toute manière, la droite trouve toujours le temps très long quand elle est écartée du pouvoir. Il me semble que la gauche devrait trouver plus longue encore la domination quasiment ininterrompue des partis conservateurs. Quels sont les grands chantiers, les grandes réformes qui vous semblent nécessaires ?Sur l'affaire serbe, est-ce que vous ne vous êtes pas trompé sur la nature de Milosevic, est-ce que le fait de tenter la voie diplomatique et non la violence n'a pas conforté sa politique ?Quant à la nature de Milosevic, il était communiste, comme beaucoup d'autres, et il a su se faire élire en pinçant la corde nationaliste. Qui a pu imaginer qu'on ferait une guerre préventive contre les Serbes ? Les Américains ne veulent pas intervenir autrement que par l'aviation. Les Allemands ? Leur Constitution ne le leur permet pas. Les Anglais ne veulent surtout pas engager leur armée. Les Italiens non plus. Alors qui ? La violence, c'eût été quoi ? Bombarder Belgrade ? Comment voulez-vous établir un cordon sanitaire à l'intérieur de ces pays où les populations sont étroitement mêlées. Ce n'est pas la ligne Siegfried et la ligne Maginot. D'ailleurs, les dirigeants de la Bosnie, ce pays aujourd'hui victime d'une guerre implacable, ne demandent pas tant une intervention militaire que le moyen de se défendre eux-mêmes. D'où le problème de l'embargo qui nuit à ceux que l'on voulait aider. Mais c'est une affaire à traiter par le Conseil de Sécurité. Vous avez proposé de faire déclarer Sarajevo ville ouverte...Des horreurs comme l'épuration ethnique peuvent donc se produire dans le cœur de l'Europe, sans conséquenceLa France avait également proposé la réunion d'un tribunal international pour juger les crimes de guerre ?La France s'est prononcée aussi pour l'ouverture des camps...Certains intellectuels, qui connaissent le pays, déplorent qu'on n'y soit pas davantage présent. |
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