Constitution Européenne
Vingt ans de malheur !

Arnaud Montebourg


Entretien avec Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, paru dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur daté du 1er juillet 2004
Propos recueillis par François Bazin


 

Pourquoi vous opposez-vous au projet de Constitution européenne mis au point lors du récent sommet de Dublin ?
Tout simplement parce que ce projet est inacceptable pour un socialiste sincère. J'entends dire que c'est un tout petit pas dans la bonne direction et qu'il faut donc l'accepter, faute de mieux. Si c'était vrai, je voterais ce texte sans hésiter. Mais la réalité est malheureusement contraire. Le petit pas en avant est un fait un grand verrouillage. Avec cette Constitution, nous partons pour vingt ans vers une Europe toujours aussi peu démocratique et encore plus libérale. Excusez du peu !

Une Constitution, c'est un cadre neutre. Pourquoi celle-là déterminerait-elle par avance une politique de droite ou de gauche ?
Parce que, précisément, celle-ci n'est pas neutre ! Dans sa troisième partie, elle donne valeur constitutionnelle et quasi immuable à des choix politiques d'essence libérale qui empêcheront le futur législateur européen d'agir en sens contraire et qu'on ne pourra plus modifier qu'à l'unanimité. C'est là le cœur du problème, souligne par Jacques Delors lui-même. L'Europe, pour être un espace démocratique, doit permettre l'exercice de la volonté politique exprimée par les citoyens, au travers de leurs votes. Or c'est précisément ce qu'on veut demain interdire.

Les politiques dont vous parlez reprennent pour l'essentiel l'acquis communautaire engrangé depuis près de quarante ans. Pourquoi les contestez-vous aujourd'hui ?
En démocratie, il y a des règles du jeu qui doivent faire l'objet d'un consensus. Et puis il y a des politiques qui doivent pouvoir être modifiées en fonction des alternances. Dans le projet constitutionnel qui nous est proposé, on essaie d'élever au rang de règles intangibles de simples politiques. Pour changer de cap, à l'avenir il faudra l'accord unanime des vingt-cinq pays membres. Chacun sait bien que ce sera rigoureusement impossible.

Vous auriez accepté un texte prévoyant la révision de la future Constitution à la majorité qualifiée ?
Oui. Je l'aurais même voté avec enthousiasme. Je refuse en revanche l'institutionnalisation du statu quo libéral en Europe.

Que dites-vous à vos camarades socialistes qui hésitent ou contestent vos analyses ?
D'abord, je constate que de nombreux dirigeants socialistes partagent les craintes que je viens d'exprimer. Un ancien Premier ministre ici, des secrétaires nationaux là : ça tangue à Solférino. Je n'en suis pas surpris. On ne peut pas un jour faire campagne pour l'Europe sociale et le lendemain expliquer aux électeurs qui nous ont fait confiance qu'il faut voter pour un système qui la rend durablement impossible.

Les prises de position de Laurent Fabius vous ont-elles surpris ?
Non, car il les avait déjà esquissées. En même temps, je ne pensais pas qu'il soutiendrait le non avec autant de clarté.

Dire non à ce projet de Constitution, c'est aussi enfermer l'Europe des vingt-cinq dans le carcan du traité de Nice. Assumez-vous cette responsabilité ?
Il faut être sérieux. Lorsqu'on nous a fait voter le traité de Nice à coup de pied dans les fesses, au Parlement, on nous a expliqué - déjà - que ce texte était un compromis positif et que c'était mieux que rien. Aujourd'hui, les mêmes nous disent que Nice est une catastrophe et qu'avec un tel traité l'Europe des vingt-cinq est promise à la paralysie. Quand cessera-t-on d'utiliser dans le débat européen des arguments aussi mesquins ? Quand, surtout, cessera-t-on de rejeter dans les ténèbres anti-européennes quiconque ose proposer une autre manière de voir et de construire l'Europe ? Disons les choses simplement : je crois que le souverainisme est mort. Pour la gauche, il y a en revanche d'autres voies que celles qu'on tente de lui imposer. Je suis européen et fédéraliste. Je crois à une République européenne qui respecte la volonté de ses citoyens, et je constate malheureusement que ce projet de Constitution tourne le dos à cette belle ambition.

Beaucoup disent, au PS, que de toute façon ce texte est mort-né et qu'il sera rejeté avant nous par les électeurs britanniques. Pourquoi dès lors se précipiter dans un débat qui divise la gauche ?
Le socialisme, pour moi, n'est pas l'art de l'esquive. Nos électeurs attendent de nous autre chose que de petites habiletés. La leçon du 21 avril 2002 serait-elle déjà oubliée par l'actuelle direction du PS ?

Que demandez-vous ?
Le respect de la parole donnée. A la tribune du congrès de Dijon, François Hollande s'est engagé à consulter les militants sur cette question vitale. Un référendum interne devra donc être organisé dès cet automne. Soit la direction du PS l'organise de son propre chef, soit nous l'imposerons sous forme d'initiative militante.

© Copyright Le Nouvel Observateur


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