Rassemblement
"Pour un nouveau Parti socialiste"
La Sorbonne- 26 octobre 2002



Les signataires de l'appel " Pour un nouveau Parti Socialiste " organisaient la première journée de débat et d'échanges.
Discours de Arnaud Montebourg, député de la Saône-et-Loire


 
Chers amis, chers camarades,

Vous êtes venus de partout et de toutes parts, quels que soient vos parcours, vos origines géographiques, vos trajectoires militantes, vous êtes comme nous qui avons, c’est notre premier point commun, largué les amarres. Nous avons voulu nous délivrer de nos préjugés, de nos chapelles, de nos courants, de nos leaders, de nos certitudes, nous autres qui arrivons ici avec notre histoire et notre géographie militantes. Nous avons quittés ces oripeaux pour regarder la réalité dans les yeux, les yeux pleins d’espoir, mais perturbés par le doute. Car nous avons décidé de douter de nos catéchismes !

Le doute, il y a de quoi le nourrir, mais il y a aussi de quoi le lever. Dans cette immense fabrique que nous venons d’ouvrir pour écrire le projet du Nouveau Parti Socialiste, à mille ou deux milles mains tellement nous sommes nombreux nous voulons réinventer et retrouver la crédibilité de l’action publique de gauche.

De ce point de vue, nous sommes la gauche des bâtisseurs. Non pas celle des rénovateurs, qui rénoverait la seule façade de cette vieille maison fissurée que nous aimons tant et dont nous craignons qu’elle s’écroule. Cela ne suffira pas. Ce sont les poutres qui sont vermoulues ; les murs qui chancellent ; ce sont les fondations qu’il faut reprendre. Nous ne pourrons pas nous contenter de ripoliner la façade. Car finalement, il faut avoir le courage de dire que c’est peut-être la façon dont on a regardé, diagnostiqué, pensé la société qui est dépassé, et les outils pour la réformer eux-mêmes devenus obsolètes. Si nous ne sommes pas en mesure de rebâtir sur d’autres bases, sur d’autres fondements, sur autre chose que sur le sable des successifs renoncements dans lesquels nous nous sommes enlisés.

La politique de la droite et ses dégâts sociaux portera de nouveaux gros bataillons d’électeurs au Front National et la France pourrait se réveiller alors dans une situation à l’autrichienne où trois forces équivalentes, la gauche, la droite et l’extrême droite, seraient au coude à coude, laissant triompher la régression nationaliste, populiste et xénophobe, et marquant tristement l’élimination pour longtemps de toute possibilité d’alternance à gauche.

C’est pourquoi il faut repartir sincèrement de ceux qui se sont sentis abandonnés, porter la souffrance de ceux qui la vivent, porter la parole de ceux qui ne l’ont pas, c’est bien là ce militantisme que le Nouveau Parti Socialiste devra redécouvrir. Je sais que ce n’est pas très chic au Bureau National à Paris, de défendre ceux qui traversent des difficultés, ceux qui vivent la crise morale, ceux qu’on n’entend pas mais qui subissent les dégâts de la mondialisation. Je sais qu’on nous traite de démagogues populistes, comme si la fatalité des socialistes était de ne plus jamais militer aux côtés de ceux qui subissent la domination économique, sociale, la violence et la cruauté sociale des marchés. Redoutons alors que ceux-là ne se tournent vers d’autres que nous, si nous sommes incapables de réviser nos jugements, de transformer les méthodes de notre action, organiser d’autres pratiques, faire en sorte que ces citoyens désespérés qui se sentent exclus de la représentation politique se sentent à nouveau dignement représentés et disposent des porte parole qu’ils croient avoir perdu.

Le Nouveau Parti Socialiste devra donc et d’abord s’atteler à la grave question du déficit démocratique qui affecte le système politique, le système représentatif dans notre pays.

Car la question démocratique est la question cruciale ! Elle est la question que l’on ne peut pas ne pas croiser, à chaque fois que l’on s’interroge sur les problèmes qui touchent à la vie quotidienne de nos concitoyens. Vous craignez les dégâts de la mondialisation ? Les marchés vous paraissent plus puissants que les urnes ? Ces interrogations se confrontent à chaque instant à la question de la démocratie : qu’avons à délibérer en commun face à la toute puissance destructrice des marchés ? Vous posez la question de la place de l’Europe, vous posez la question de la possibilité délibérative des citoyens européens dans l’espace de l’Union Européenne ? La question démocratique est partout.

Ceux qui refusent de la voir peuvent-ils plus longtemps ignorer la désaffection civique qui touche notre pays ? 14 millions d’abstentionnistes, 6 millions de votants jetés dans les bras de l’extrême droite ! Est-ce que ce régime en décomposition a encore une base électorale ? 20 millions d’électeurs refusent de participer dans des conditions normales au système représentatif.

La gauche n’a-t-elle donc pas encore compris encore qu’à vouloir se couler, se mouler, se lover dans ce régime discrédité, elle se discrédite elle-même par contagion, elle et son action réformatrice ? Regardez la décentralisation féodale, dont le clientélisme est la nouvelle dégénérescence ! Regardez la justice sinistrée et irréformable ! Regardez la perte de confiance dans la dépense publique autour de laquelle il faudrait renouer les fils de l’adhésion civique ! Regardez cette démocratie inachevée, où la délibération est absente ! Il suffit d’observer le Sénat actuel, chambre « indigne » disait Pierre Mauroy, j’ajouterai scandaleuse tellement elle n’a de compte à ne rendre à personne. La Vème République est comme le phare d’Ouessant, le silence à l’intérieur, et le tumulte, la clameur sociale, la mer, déchaînée à l’extérieur. Je préférerais davantage de discussions et de tumulte à l’intérieur et un peu moins de trouble à l’extérieur.

La question démocratique, qui pose la question du régime, est aussi aujourd’hui l’une des causes, même si elle n’est pas la seule, loin s’en faut, de la montée du populisme en France. Ceux qui feraient l’objection que partout où, aux Pays-Bas, en Italie, en Autriche, monte l’extrême droite, il n’y aurait pas de problème démocratique, commettent là un grave contre sens. Il faut reprendre les analyses d’Olivier Duhamel qui a mis à jour le lien entre la décomposition des régimes politiques, la montée du populisme et la perte de sens et de lisibilité des alternatives politiques, ce que nous appelons chez nous la cohabitation, qui s’appelle dans d’autres pays européens la cogestion.

Voici pourquoi il nous faut de toute urgence reconstruire le contrat républicain pour retrouver la confiance aujourd’hui perdue. C’est dans de ce sursaut, venu de la nécessité de trouver ce courage là, qui installera pour longtemps l’inutilité de l’extrême droite en France.

Vous noterez que la reconstruction de la République, qui passe par une rupture institutionnelle entretient un lien fondamental avec la question économique et sociale. Car augmenter l’expression des citoyens, faire entrer ceux-ci par les portes et les fenêtres des institutions aujourd’hui claquemurées, faire entrer la clameur sociale à l’intérieur de la délibération politique, c’est précisément permettre d’accomplir nos engagements sur le terrain économique, social ou sociétal. Vous noterez d’ailleurs que les conservateurs sur la question démocratique sont précisément les plus conservateurs sur la question économique et sociale.

En se retournant sur le passé du mouvement social et politique, dont les socialistes sont issus, on aperçoit que tous les grands leaders de la gauche et du socialisme français, qui ont toujours considéré cette question comme cruciale et l’ont toujours rattachée à leur projet économique et social.

Jean Jaurès, d’abord, évoquait la République comme « l’humus du socialisme », c’est-à-dire le terreau fertile sur lequel pourra germer notre projet. Sans une République délibérative digne de ce nom, il est impossible de faire prévaloir le projet socialiste.
Léon Blum lui-même, dans les débats du congrès de 1934 s’était attardé si longtemps sur la question de l’exercice du pouvoir dans une République qui n’était pas la nôtre. Les débats ont été infinis sur cette question quelques années avant l’avènement du Front Populaire.
Pierre Mendès France lui-même remettait en question la Vème République, non pas tant, seulement à raison des conditions lourdement contestables de sa création, mais également à raison du poids des processus antidémocratiques qu’elle devait mettre en œuvre. « La République moderne », le livre qu’il écrivit il y a 40 ans, est aujourd’hui d’une cruelle actualité, dont pas une ligne n’est à enlever.
François Mitterrand lui-même avait pointé les problèmes de cette République dont presque qu’aucun n’ont été résolus aujourd’hui.
Et si je voulais paraphraser l’un de nos actuels députés, il ne m’en voudra pas de citer son nom aux côtés de ceux, illustres, que je viens de nommer : Bernard Roman, député du Nord, et ancien président de la Commission des Lois, avait eu l’idée intelligente de faire recenser l’ensemble des réformes institutionnelles que nous avions votées ou approuvées dans les textes des conventions et congrès du Parti Socialiste depuis 20 ans. Nous avons dans nos textes changé quatre fois de République dans nos têtes. Mais dans les faits, nous n’avons rien fait.

Cette rupture là est désormais inévitable car la question démocratique est aujourd’hui posée à travers l’angoisse sociale de nos concitoyens face à la toute puissance des marchés. Ceux là nous disent : que valent les urnes face à la toute puissance du marché ? C’est là la question fondamentale. Car, à quoi bon reconstruire des mécanismes de délibération en commun pour décider de notre misérable destin si c’était précisément pour constater notre impuissance.

Reconstruire une politique économique dans un univers capitalistique mondialisé, c’est déjà exiger de retrouver les armes politiques perdues que nous avons abandonnées. Et si nous ne le faisons pas, les peuples se vengeront par la violence, comme les canuts de Lyon brisèrent les machines à coudre.

Car on me permettra de revenir un bref instant sur les conditions dans lesquelles la mondialisation est aujourd’hui présentée comme un fait. Certes, elle est aujourd’hui un fait. Mais elle est surtout le résultat d’une succession de choix politiques qui n’ont pas été délibérés en connaissance de cause ou qui l’ont été dans le dos des citoyens. Aujourd’hui, on prétend que face à la mondialisation nul ne pourrait contester qu’elle existe. Mais on ajoute aussitôt « qu’on ne peut rien faire ! » « Contentons-nous de nous adapter » ajoute-t-on. « Les dégâts économiques et sociaux sont normaux pour les usines qui ferment et qui partent ». « Débrouillez-vous en faisant de la formation professionnelle ! Adaptez le passage des travailleurs d’un secteur à un autre. Inutile de nous opposer ! »

Et nous voici pris en otages dans le chantage du capitalisme des actionnaires les plus voraces, disposant de la liberté de placer leur capital dans le lieu de la rémunération du travail le plus favorable à la satisfaction des actionnaires. Il y a quelques mois encore, on parlait du fameux ratio des 15 % de rémunération de l’investissement. Jamais ce chiffre n’avait été atteint dans l’histoire entière du capitalisme, montrant que la valeur ajoutée s’était déplacée de 10 % au détriment de la rémunération du travail et au profit des actionnaires. Chacun constate aujourd’hui qu’il eût mieux valu davantage rémunérer le travail plutôt que laisser s’investir des montagnes de capitaux dans les bourses dont les actifs viennent de partir en fumée. Finalement, la norme internationale des rémunérations du capital a été prise à son propre piège.

Si nous n’engageons pas le combat contre la mondialisation, ce sont nos politiques de redistribution qui coûteront de plus en plus chères. Ce sont nos politiques fiscales qui seront attaquées par le dumping fiscal, nos politiques sociales qui seront détruites par la mobilité indécente du capital. Ce sont nos services publics ou notre exception culturelle qui seront laminés par la marchandisation croissante des biens et des services. A l’impuissance qu’on théorise dans nos têtes, il faut opposer la puissance politique de résister et trouver le courage de l’imposer.

Car quels sont ceux qui dans l’économie mondialisée disposent d’un véritable gouvernement économique, d’une politique budgétaire, d’une politique monétaire, d’une politique douanière ? Ce sont exclusivement les États-Unis d’Amérique, puissance impériale, rêvant d’assujettir à ses propres intérêts le reste de l’économie mondiale.

Notre rêve de puissance européenne, lui est émancipateur. Réapproprions-nous l’Europe dans toutes les dimensions de sa politique. Voyons ce qu’elle offre à ses peuples et ce qu’elle offre au reste du monde. Si nous nous battons pour des droits mondiaux, c’est pour mettre la mondialisation au service des peuples. Cela ne suffit plus de signer des accords, des textes, des pétitions, des vœux, tous ces chiffons de papier que les marchés piétinent. Il faut inventer une politique de sanctions. Car la sanction est le seul moyen par lequel la règle, c’est-à-dire l’ordre public, c’est-à-dire l’expression des choix politiques trouvent enfin à se réaliser. Lorsque le Président Clinton, dans son discours de Seattle, déclarait vouloir imposer des normes sociales et environnementales sur les produits qui détruisent la protection sociale, il nous invite à des révisions déchirantes que nous n’avons pas été capables, nous, d’engager. La politique des sanctions, nous sommes capables de la trouver parfois s’agissant des embargos sur des pays belligérants, nous sommes capables de la mettre en œuvre dans l’organisation du droit d’ingérence. Nous sommes incapables de la mettre en œuvre sur le terrain économique et social qui est pourtant notre terrain de réalisation de nos engagements de socialistes.

Notre rêve de puissance européenne, c’est celui de la construction d’un autre monde, et pour cela il faudra assumer le conflit, assumer la crise, plutôt que de la craindre.

Ainsi, nous serons redevenus les enfants de Jaurès dans le monde d’aujourd’hui que nous avons cessé d’être : Internationalistes, plaçant l’homme avant toute autre considération, porte parole de ceux qui ne l’ont pas ou ne l’auront jamais. Il faudra tant de courage et tant de travail pour reprendre ce que nous avons laissé filer et laissé faire. Et nous devrons le faire avec les armes formidables de l’honnêteté intellectuelle et politique. Nous ferons ainsi ce que d’autres ont fait dans les moments les plus difficiles de l’histoire. Pierre Mendès France ne disait-il pas : « L’élu devra avertir les électeurs d’une erreur, résister aux entraînements des intérêts particuliers, montrer les exigences de l’intérêt général, faire face à des mouvements nés de la passion ou d’une information incomplète ou falsifiée, s’ils menacent ou compromettent les buts essentiels pour lesquels il a été choisi. Il lui faudra pour cela du caractère, du courage. C’est justement ce qui confère à la mission politique son utilité et sa vraie dignité ».

Voici donc notre viatique.

Hegel disait « Ecoute la forêt qui pousse, ne regarde pas l’arbre qui s’abat ». La forêt c’est vous, c’est nous, elle est immense, considérable, elle est croissante.

Ecoutons-là. Et détournons le regard de tous ces arbres qui par ailleurs pourraient s’abattre.


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