Il y a un risque très sérieux de ballottage, il faut l'éviter à tout prix



Entretien avec Arnaud Montebourg, député de la Saône-et-Loire, paru dans Journal de Saône-et-Loire daté du 29 novembre 2005
Propos recueillis par Jean-Philippe Chapelon


 

Pourquoi soutenez-vous Ségolène Royal ?
Parce que Ségolène Royal assume la fonction de renouvellement du parti que celui-ci n'a pas voulu assumer depuis l'échec de Lionel Jospin le 21 avril 2002. Ce renouvellement est un renouvellement d'identité. Il amène le Parti socialiste à reprendre soit des questions dont il refusait de se saisir - sécurité, démocratie, environnement - soit des questions dont il avait confié la charge à ses anciens partenaires de la Gauche plurielle. Ségolène Royal parle des sujets qui étaient jusque-là tabous, ou orphelins au Parti socialiste. Lorsqu'elle fait la critique de gauche des 35 heures qui n'ont pas rempli toutes les promesses que nous espérions, quand elle pose la question difficile de la sécurité en y apportant des réponses de gauche, c'est-à-dire refusant le tout carcéral et l'ultra-répressif qui ne fait qu'aggraver la délinquance que préconise Nicolas Sarkozy, elle ramène le PS au cœur de la société et de ses problèmes.

Pourtant, elle n'a jamais été rénovatrice, et certaines des thèses qu'elle défend, sur des questions de société, et surtout sur l'Europe, semblent éloignées de vos positions.
Ségolène Royal fait partie de ceux qui ont voté Oui au Traité constitutionnel européen et qui ont tiré sincèrement les leçons de la victoire du Non. Elle propose la fin de l'indépendance de la Banque centrale européenne, la réforme profonde du Pacte de stabilité budgétaire, la pause dans les futurs élargissements de l'Europe et la protection de la préférence européenne aux frontières de l'Europe, tous points qu'il avait été difficile de faire admettre dans les différents congrès du Parti socialiste. Enfin, avec sa « révolution démocratique », qu'elle a ouverte dans son discours de Frangy, poursuivie avec la mise en œuvre de la République nouvelle contenue dans le projet socialiste, des propositions sur la démocratie participative, la fin du domaine réservé de la future Présidente de la République en matière de diplomatie et de défense, je considère que le projet de VIe République a enfin trouvé le chemin de son avènement l'année prochaine. Jamais un candidat de gauche n'avait placé la réponse à la crise de confiance dans le système politique par des réformes démocratiques profondes de notre pays, y compris sur le plan social dans les entreprises avec le syndicalisme de masse, au cœur de la campagne et donc de la future victoire.

Votre soutien à Mme Royal n'a pourtant pas été acquis spontanément. Dans de récents articles de presse, Claude Bartolone raconte que quelques jours avant votre ralliement, vous cherchiez le meilleur moyen de lui barrer la route.
Je démens ces allégations. La campagne que les Fabiusiens mènent pour détruire ma crédibilité et celle des rénovateurs a franchi les bornes de l'acceptable. Les Fabiusiens ont toujours considéré, certainement avec condescendance, que les rénovateurs n'étaient que leur jouet. Nous sommes au contraire un mouvement politique autonome, libre, et qui a suffisamment souffert des choix socio-libéraux de Laurent Fabius au pouvoir. Les militants devraient avoir comme nous la mémoire longue, se souvenir de la défiscalisation des stock-options, des privatisations à tour de bras dont les Fabiusiens en cohorte étaient les apôtres. Ce ne serait pas si grave si Laurent Fabius ne nous avait déjà habitués au discours de gauche dans les congrès, et aux pratiques centristes au pouvoir. Pourquoi croyez-vous qu'un Henri Emmanuelli, comme nombre de ses camarades, refuse de soutenir Laurent Fabius dans cette campagne ?

Avez-vous négocié votre soutien sur un autre plan que celui des idées. En clair, votre entrée au gouvernement, en cas de victoire ?
Je n'ai pas eu la vulgarité, et je ne l'ai toujours pas contractée, d'évoquer ces questions avec Ségolène Royal. La vie politique ne consiste pas à faire toute sa vie des discours et des motions, elle consiste aussi à se confronter à l'épreuve de la concrétisation de projets qui ne peuvent rester utopiques. Si je suis, comme homme engagé, désireux après dix ans de combat politique de concrétiser enfin les idées pour lesquelles je me bats depuis si longtemps, mes exigeances ne passent pas forcément par ma case personnelle.

Qui sont, pour vous, les gagnants et les perdants du débat interne qui s'achève au Parti socialiste ?
Ségolène Royal a renforcé sa position en montrant qu'elle est une femme d'État. Le mauvais procès fait sur la question du nucléaire iranien s'est retourné contre ses deux compétiteurs, qui ont montré qu'ils avaient une position moins ferme que l'Union Européenne, l'ONU et les organisations multilatérales de contrôle des installations nucléaires. Dominique Strauss-Kahn a gâché sa candidature en utilisant, au Zénith ou sur Internet, les tristes méthodes du Congrès de Rennes.

Les enseignants doivent-ils faire 35 heures de présence dans leur établissement, comme le dit Ségolène Royal dans la vidéo pirate qui circule sur le Net ?
Sur la forme, il s'agit d'une manipulation de haut niveau organisée par des proches de Dominique Strauss-Kahn. Elle doit donc être condamnée comme telle puisque la vidéo a été manipulée et les messages d'encouragement au monde enseignant ont été volontairement tronqués et découpés.

Sur le fond, le malentendu est total car les enseignants font beaucoup plus que 35 heures. La question posée par Ségolène est celle du développement en marge de l'école de boîtes de soutien scolaire privées cotées en bourse réalisant des milliards de chiffre d'affaires et accessibles aux seules familles ayant les moyens. Reconstruire le service public de l'Éducation nationale et lutter contre l'échec scolaire, c'est permettre le soutien scolaire pour l'universalité des enfants qui en ont besoin dans le cadre de l'école publique, et gratuitement pour les familles.

La question du temps de présence dans les établissements, dans ce but, pour les professeurs doit être posée en rapport avec les moyens matériels mis à leur disposition et en rapport avec la revalorisation des traitements. Ségolène Royal a évoqué dans la vidéo un « pacte à la loyale » avec les organisations syndicales enseignantes avant les élections, à conclure sur ces réformes. C'est une manière honnête de poser les questions avec les enseignants, sur l'avenir de leur métier et la reconnaissance nationale qui doit leur être adressée.

Peut-on être socialiste et s'autoriser à critiquer Ségolène Royal sans passer pour un affreux macho réactionnaire ?
La critique est naturelle, mais la critique qui donne des armes à la Droite, dont s'emparent immédiatement les Sarkozystes, devient problématique. Il y a un risque très sérieux de ballotage, il faut l'éviter à tout prix, d'abord parce qu'il n'a aucun sens, puisque les deux compétiteurs de Ségolène ne peuvent passer la moindre alliance sans trahir leurs positions, car ils sont aux antipodes l'un de l'autre, et enfin parce que ce serait une catastrophe pour le Parti socialiste d'avoir l'un des deux ministres des Finances de Lionel Jospin, qui nous ont menés là où nous en sommes.

© Copyright Le Journal de Saône-et-Loire

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