Tout cela relève de mœurs bonapartistes



Entretien avec Arnaud Montebourg, député de la Saône-et-Loire, paru dans Libération daté du 21 octobre 2004
Propos recueillis par Dominique Simonnot


 

Avec les nominations annoncées aujourd'hui aux plus hauts postes de la justice, a-t-on fait un pas de plus vers l'« Etat-UMP » ?
La justice ne fait pas exception. Tout ce qui est indépendant et qui résiste au pouvoir est placé sous dépendance. Le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) est sous contrôle depuis bien longtemps, avec la nomination à sa tête de Dominique Baudis (ex-maire UDF de Toulouse, ndlr). La Cour des comptes est désormais contrôlée avec l'arrivée de Philippe Seguin, ce qui n'était pas le cas à l'époque du précédent président Logerot. La Cnil (Commission nationale informatique et libertés) a rendu de très bons services depuis l'arrivée d'Alex Turk (ex-sénateur RPR), avec l'assouplissement de constitutions de fichiers entre les mains des autorités policières. Quant au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), autorité chargée de garantir l'indépendance des magistrats, voilà que le garde des Sceaux y nomme son propre collaborateur, Francis Brun-Buisson. Et, là, on est dans la provocation. Il ne reste plus qu'à supprimer le CSM en remplaçant ses membres par les amis du ministre de la Justice.

Pourquoi cette « attention » portée au CSM ?
C'était encore une des rares autorités à résister aux objectifs du ministre de la Justice, qui tend à placer ses hommes liges dans la plupart des grandes juridictions stratégiques. Depuis deux ans, Dominique Perben s'est fait une habitude de violer les avis défavorables du CSM dans les nominations des procureurs. Ce sont là des mœurs bonapartistes. Rappelons qu'une des orientations politiques du gouvernement Jospin fut de suivre ces avis et de reconnaître au Conseil supérieur de la magistrature son rôle de contre-pouvoir.

Comment analysez-vous les nominations d'aujourd'hui ?
Elles reflètent les objectifs de contrôle politique des parquets et sont à mettre en regard du destin judiciaire du président de la République et de ses hommes. Jean-Louis Nadal, désormais procureur général près la Cour de cassation, aura à gérer les poursuites judiciaires contre Jacques Chirac dans trois ans, après l'expiration de son mandat de chef de l'Etat. C'est un dossier dans lequel il a déjà rendu quelques services remarqués, en empêchant que les juges entendent le même Jacques Chirac en tant que témoin assisté (en 2001, dans l'affaire des marchés truqués des lycées d'Ile-de-France, ndlr). Yves Bot, qui devient procureur général à Paris, a déjà entravé, lorsqu'il était procureur à Nanterre, l'action engagée par des parlementaires visant à faire juger le président de la République en Haute Cour. De surcroît, ces deux hauts magistrats auront à gérer des affaires stratégiques pour un certain nombre de dignitaires chiraquiens, notamment l'affaire des frais de bouche et celle des faux électeurs de la mairie du Ve arrondissement de Paris. Et on sait qu'ils ont déjà travaillé à l'enterrement de la première... Affaire sur laquelle Bertrand Delanoë a, néanmoins, décidé de ne pas abandonner la constitution de partie civile de la Ville de Paris.

Marc Moinard, ancien directeur des affaires criminelles et des grâces et actuel procureur général de Bordeaux, serait aussi pressenti pour être secrétaire général du ministère de la Justice...
Marc Moinard est le type même du magistrat aux ordres du pouvoir. C'est lui qui, lorsque Toubon était garde des Sceaux, fit affréter un hélicoptère afin de rechercher, dans l'Himalaya, le procureur d'Evry et de tenter de sauver Xavière Tiberi. Il incarne la servilité récompensée par un poste taillé sur mesure et dont, de surcroît, il est lui-même chargé d'établir le champ des compétences. Le retour du secrétaire général de la chancellerie est une première depuis Vichy... D'une manière générale, tout ceci illustre des pratiques de pressions sur les parquets et les juges. Pour preuve, menaces et récompenses sur les carrières redeviennent d'actualité.

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