Changer la politique
Congrès du Mans - 18 novembre 2005

Discours de Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire
Tribune du Congrès du Mans


 
Chères et chers camarades, la France s'enfonce dans l'obscurité du désespoir, et elle n'en voit pas la fin. Dans les événements graves de ces dernières semaines, elle vient de ressentir le spectre d'une quasi-insurrection qui n'a pas voulu dire son nom, voyant soudain ressurgir les démons politiques du passé national.

Nous savons plus que d'autres, nous autres, socialistes, les raisons de cette Jacquerie urbaine des banlieues, cette nouvelle révolte des canuts, stupide autant que suicidaire, embarquée dans la folie destructrice, dangereuse, nous en savons, nous autres, les raisons. Les maires sont venus nous donner, nous rappeler, répéter ce que nous avons déjà écrit depuis si longtemps, relégation de territoires sans argent, ni public ni privé, presque plus d'économie en état de fonctionner, discrimination en raison de la couleur de la peau, du nom, du prénom, files d'attente interminables d'un chômage devenu massif, dont on ne voit pas le bout.

Nous pouvons rendre un hommage appuyé à nos maires qui ont été les soldats du feu social, en quelque sorte, mais qui ne voient, chers camarades, que cette violence qui s'installe dans le pays, lourde, un lien étroit avec l'impuissance du système politique à entendre la colère sociale, à entendre le cri de la pauvreté, à remédier aux injustices que le système économique impose avec une cruauté nouvelle, jamais vue dans l'histoire récente du capitalisme, et que les choix politiques ultra-libéraux du gouvernement, de désengagement, de dépérissement de l'État viennent de faire sauter à la figure de la nation.

D'ailleurs, quel peut être le sens d'une République dont les proclamations généreuses, dont les principes égalitaires, fraternels, sont tous les jours, pour nombre de nos concitoyens, démentis, piétinés dans les faits ? Où sont les promesses passées d'égalité devant la loi, l'impôt, l'éducation, logement, le travail, ou même la chance de pouvoir s'élever ?

Car ce que nous voyons sous nos yeux, c'est l'effondrement du compromis social, la décomposition du système politique. Quelle est cette République qui se proclame égalitaire depuis deux cents ans, mais qui fonctionne comme une machine aristocratique, qui encourage les inégalités tous les jours, et sur lesquelles nous donnons l'impression d'être impuissants ?

Le gouvernement nous dit : « Si vous êtes riches, c'est que vous êtes méritants, nous allons donc vous aider. Si vous êtes pauvres, prenez-en à vous-mêmes, mauvais citoyens. »

Tout a commencé il y a, d'ailleurs, une certaine constance en la matière, en 2002, lorsque Jacques Chirac, Président de la République, a lancé sa campagne sécuritaire pour la tolérance zéro, pendant qu'il organisait pour lui-même la tolérance maximale. N'était-ce pas déjà les stigmates d'une politique de classe, fut-elle judiciaire, d'ailleurs, impitoyable avec le citoyen ordinaire, si doux et amical avec les gens riches et les puissants ?

Tout a continué avec la politique menée depuis le 21 avril 2002 par ce gouvernement, souvenez-vous, avons nous jamais discuté du mandat que ce gouvernement pouvait obtenir du corps électoral ?

D'ailleurs, la mise au pas de la société française sur les normes antisociales de la mondialisation est aujourd'hui une réalité. Le programme d'ultra-libéralisation de la France s'appuie sur l'autoritarisme du système politique français, s'appuie sur la puissance technocratique également de l'Europe et de l'Union européenne actuelle, et leur objectif, c'est liquider au plus vite le compromis social issu de la Résistance.

Nous n'aurons, chers camarades, pas d'autres choix que d'envisager, face à ce lent mouvement que d'autres orateurs ont évoqué, une alternative politique d'envergure et d'ampleur. La droite et son chef, Nicolas Sarkozy, ont une stratégie cynique et odieuse, celle de faire monter la tension et la haine dans le pays, de monter les catégories sociales les unes contre les autres, de s'emparer de la peur pour imposer ses solutions ultra-sécuritaires et son état d'urgence que nous avons combattus.

Monsieur Sarkozy, vous qui étiez en perte de vitesse dans les sondages, vous avez choisi, pour des besoins de promotions personnelles d'attiser la haine, au lieu d'assurer la paix civile et la concorde sociale.

Vous avez choisi de lancer votre guerre intérieure comme George Bush a lancé sa guerre en Irak. Vous voulez faire la guerre aux pauvres, au lieu de leur porter secours. Vous avez choisi de diviser le pays au lieu de chercher à le réconcilier. Vous ne récolterez que les raisins de la colère. Qui paiera, d'ailleurs, la facture politique, morale, sociale, économique, financière de cette guerre-là, dont nul n'avait besoin ? Et nous ferons, nous les socialistes, les comptes, les mécomptes de vos échecs, de vos erreurs et du danger que vous représentez pour notre pays.

Face à cette stratégie préparée par la droite, cherchant à lever un vent violent contre nous, notre contre-attaque devra se faire sur le terrain démocratique et social. Démocratique d'abord, parce que la population nous demande à chaque scrutin invariablement de mettre de la politique en face de l'économie. Elle veut réarmer les instruments de la politique, elle ne veut plus que nous lui parlions le langage de l'impuissance. Et nous ne pouvons pas, nous, marcher vers notre idéal socialiste, et donc social sans réarmer les instruments et les outils de la politique.

Nos économies sont prisonnières d'une économie du chantage permanent, où les choix librement délibérés par les parlements nationaux, par les programmes politiques, par les directions politiques des pays, sont mises en concurrence par une mondialisation implacable sur les niveaux de salaire, les niveaux de protection sociale, les niveaux de fiscalité, les niveaux de services publics, les niveaux de droit du travail. Ce chantier considérable est pour nous le chantier de la génération des socialistes du XXIe siècle, qui vont devoir affronter l'obligation de répondre à ce défi considérable. Je repense à ce philosophe allemand qui disait : la mondialisation, c'est l'effondrement du pouvoir d'achat, les bulletins de vote. Voilà une formule qui veut dire beaucoup. Notre travail est de redonner ce pouvoir d'achat, car aujourd'hui, nos concitoyens sont persuadés que les vraies décisions se prennent ailleurs.

Notre travail dans ce congrès, et dans les autres qui suivront, faute d'avoir été dans ceux qui ont précédé, doit être d'organiser le contrepoids politique à l'ultra-libéralisme économique. C'est cela la sixième République, c'est cela la République européenne. C'est la transformation durable de la société dont nous voulons convaincre qu'elle passe par l'instrument démocratique. Et croyez-vous, chers camarades, qu'en 2007, lorsque nous aurons gagné, nous pourrons revenir dans un système politique miné et contaminé, comme il l'est aujourd'hui, par le discrédit ? Croyez-vous que nous ferons l'économie d'un redressement profond et sérieux ? Croyez-vous que ce n'est pas notre rôle que de défendre devant les Français la fin du poison du présidentialisme à la française qui produit d'ailleurs tant de désamour à l'égard du politique ?

La multiplication anarchique des candidatures, la disparition des projets, le pays donne l'impression de s'enfoncer dans les querelles intestines, les luttes de pouvoir permanentes. Marx appelait, en 1848, les jeux curieux du Parlement, le crétinisme parlementaire. Nous pourrions aujourd'hui parler du crétinisme présidentiel : ils veulent tous le trône doré. Alors réduisons-le un peu ou déplaçons-le un petit peu. Et croyez-vous, chers camarades, que nous pourrons réformer avec l'ambition que nous avons sur le terrain, par exemple de la fiscalité, le système fiscal français pour le rendre enfin plus juste, sans reconstruire préalablement l'adhésion à l'impôt, dont nous avons besoin pour réussir à modifier la fiscalité nationale, locale, et même européenne ?

Croyez-vous que nous pourrons remobiliser la société, la nation tout entière, autour de grands programmes de logement, de maîtrise du foncier pour construire du logement social, contraindre les collectivités locales à prendre leurs responsabilités, sans remettre en question les équilibres actuels et constitutionnels de cette décentralisation devenue illisible, incompréhensible et pour tout dire, sur le plan financier, sinistrée ?

Croyez-vous que nous pourrons faire face aux exigences si considérables de la fin du pétrole, exigences environnementales de gestion de notre pollution, de nos déchets, si les citoyens ne disposent pas d'outils politiques qui leur permettent un tant soit peu de participer à la construction de solutions collectives en dehors des choix autoritaires que ce régime, que ce système induit ?

Croyez-vous que nous pourrons réformer dans un sens plus juste et plus durable les retraites sans disposer d'un outil politique qui nous permettra de construire, sur le plan syndical et parlementaire, un compromis politique qui inclut tout à la fois la contrainte économique et l'exigence de justice sociale ?

Voilà ce qui nous attend, stopper la procédure de divorce que les Français ont engagée à l'égard du système politique. Nous ne pourrons pas ne pas nous convertir tôt ou tard à la VIème République, nous n'en ferons pas l'économie. Les socialistes, pour s'opposer aux forces adverses, aux vents violents et mauvais de la droite, doivent voir les choses en grand. La France nous le rendra. Voir les choses en courageux, c'est comme cela que la victoire, généralement, sourit. Voir l'avenir en vaste. Les Français saisiront leur chance car la VIème République, c'est l'instrument de tous les Français. Pourquoi ne pourrait-elle pas devenir de tous les socialistes ?

Pourquoi ne pourrait-on pas, sur ces sujets aussi fondamentaux, que nous n'avons rien inventé d'ailleurs, car elle est le rêve de Pierre Mendés France.

Elle est l'accomplissement du message de Jean Jaurès, elle est l'hommage posthume au combat de jeunesse de François Mitterrand. Pourquoi ne pourrions-nous pas nous l'approprier tous ensemble, et aller devant les Français dire que c'est l'instrument par lequel la démocratie, c'est ce qui reste quand il n'y a plus rien d'autre, et que c'est le seul instrument par lequel nous pourrons réconcilier les Français. Le projet social dont nous sommes porteurs, le projet laïc dont nous sommes porteurs, passera par la VIème République.

Chers camarades, je crois que c'est le moment de la saisir, de la prendre et de travailler tous ensemble au changement pas seulement de politique, mais de changer la politique.


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