Dire que les chômeurs français sont des assistés est un scandale

Arnaud Montebourg


Entretien avec Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, paru dans le quotidien Métro daté du 9 janvier 2004
Propos recueillis par Jérôme Vermelin


 

Jacques Chirac a fait de l'emploi la priorité de l'année 2004. Qu'en pensez vous ?
Le président Chirac nous explique que 2004 sera l'année de l'emploi alors que 2003 a été l'année du chômage, en rapport direct avec la politique du gouvernement Raffarin. Cette contradiction pose le problème de la dimension politicienne pour ne pas dire politicarde de l'intervention du chef de l'Etat, dont je rappelle que j'ai été contraint de voter pour lui. Il faut revenir sur le bilan des années Jospin. Le chômage avait baissé d'un million de personnes en cinq ans. Quelque 600 000 contrats de travail avaient été créés rien que pendant l'année 2000, le record depuis 1969 ! C'était une politique aux antipodes de celle du gouvernement Raffarin. Une politique stimulant la croissance et poussant, par l'augmentation du revenu, l'ensemble des entreprises à embaucher. Aujourd'hui, on assiste à une baisse du pouvoir d'achat,à des pressions violentes sur les salaires, à la mise au chômage de centaines de milliers de personnes,à la suppression des aides pour tous ceux qui sont en difficulté.

Vous estimez donc que la droite fait fausse route...
Tous les gouvernements de droite ont détaxé les entreprises. Raymond Barre, Alain Juppé, Jacques Chirac lui même entre 1986 et 1988... ça augmente les profits des entreprises, ça améliore leur rentabilité, mais ça n'a pas de conséquences sur l'emploi ! Il y a même des entreprises qui, faisant des profits, licencient pour les améliorer encore ! Non, la marche vers le plein emploi doit s'accompagner d'une politique de soutien aux consommateurs les plus défavorisés et aux bas salaires. Aujourd'hui la politique du gouvernement s'accompagne d'un discours antisocial inacceptable. Dire que les chômeurs sont des assistés,comme le fait tous les jours François Fillon à l'Assemblée nationale, est un scandale ! Ce gouvernement fait comme si le chômage était volontaire, c'est une insulte à ceux qui se retrouvent dans la difficulté en raison même de la politique gouvernementale. L'assurance chômage, c'est comme l'assurance incendie lorsque la maison brûle. Vous y avez droit parce que vous avez cotisé lorsque vous étiez au travail. C'est un droit,ce n'est pas une faveur.

Que pensez-vous de la mise en place du RMA (revenu minimum d'activité) ?
Ce gouvernement mène une politique de destruction de ce qui reste de la protection sociale pour l'aligner sur la protection des pays d'Europe de l'Est et du Sud-Est asiatique qui nous font une concurrence déloyale. Il devrait au contraire organiser la protection des salariés au niveau européen. François Fillon vient de faire voter dans la plus grande indifférence la fin juridique du code du travail. Sait-on par exemple que la loi qui protège les salariés lorsqu'ils sont licenciés abusivement peut disparaître sous le simple paraphe de pseudo-négos dans les entreprises où il n'y a pas de syndicats pour négocier ? Désormais les négociations entre partenaires sociaux et entreprises prévaudront sur la loi universelle et protectrice du parlement. Les salariés seront la proie des syndicats maison et du paternalisme de leur employeur. C'est ce qu'il ose appeler la loi sur le dialogue social !

Vous avez récemment critiqué l'élargissement de l'Europe à 25 et le projet de Constitution européenne, vous attirant les foudres du Parti socialiste. Regrettez-vous vos propos ?
Nous aurons réussi à faire l'Europe lorsqu'il sera possible aux Européens convaincus que nous sommes de critiquer un projet européen. Aujourd'hui, si on n'est pas d'accord avec cette Europe, c'est qu'on est contre l'Europe. Celle ci est pourtant notre horizon et notre avenir. Mais il n'est pas question de laisser faire n'importe quoi. La constitution Giscard ne permet pas au nouveau législateur européen d'intervenir sur la question sociale et fiscale, notamment. Les Etats vont continuer à se faire concurrence, alors que puisque nous avons une monnaie unique, nous devrions, par exemple, avoir un salaire minimum unique. Cette Constitution n'est pas à la hauteur des graves problèmes que se posent les Européens.

La commission de Bruxelles souhaiterait remettre en question l'exception culturelle française en matière de cinéma. L'Europe n'est-elle pas en train de prendre le pas sur nos gouvernants ?
Les premiers fossoyeurs de l'exception culturelle française, ce sont messieurs Chirac et Aillagon ! L'une des majors américaines vient de déposer une demande de financement public au Centre national de la cinématographie (CNC) pour le nouveau film de Jean Pierre Jeunet. Eh bien, le ministre de la Culture vient de l'accepter alors que ce dispositif a pour but d'aider le cinéma français et non pas d'aider les capitaux américains à augmenter leurs profits... Il s'agit d'un cheval de Troie, d'une offensive très intelligente des Américains qui ont tendu un piège au système de subvention français et dans lequel le gouvernement est tombé à pieds joints.

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