Le courage du consensus

Arnaud Montebourg

Point de vue d'Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, paru dans le quotidien Le Monde daté du vendredi 13 juin 2003


 
Le mouvement social qui s'installe et se durcit voit défiler côte à côte des salariés du public et du privé, unis par la même prise de conscience que les autres salariés européens. Ils placent au centre du débat et du choix politique la question du partage de la richesse nationale et celle du compromis entre revenus de nos retraités et revenus des salariés.
Ils appellent à juste titre à un nouveau partage entre les contributions du travail et celles du capital.

Comme ailleurs en Europe, les syndicats demandent de réelles négociations. Ils sont ouverts à toutes sortes de compromis, à la condition que les efforts ne pèsent pas exclusivement sur les seuls salariés par l'augmentation de la durée des cotisations, conjuguée à une baisse autoritaire et drastique des pensions.

Pourtant, s'installe dans notre paysage social un mouvement de contestation qui, malgré les tentatives gouvernementales pour en minimiser l'ampleur, gagne en popularité au point d'être soutenu par deux Français sur trois.

Un pays qui veut vivre longtemps en paix avec lui-même, qui espère la sérénité durable des rapports sociaux, doit régler cette question des retraites par la recherche progressive d'un compromis entre toutes les parties. Car rien ne pourra se régler par la force des uns exercée contre les autres, ni par la duplicité ou par la ruse, encore moins par la revanche de groupes sociaux sur d'autres.

Les lourdes remises en question auxquelles prétend le gouvernement Raffarin portent une atteinte directe aux choix politiques issus de la Résistance qui avaient abouti en 1945 à la création de la Sécurité sociale et des Assurances sociales. Cet échange historique des consentements manifestait un équilibre dans le partage des efforts entre les revenus issus du système productif et ceux du travail.

Voici pourquoi la seule réforme des retraites qui finalement s'imposera dans la durée ne pourra s'engager que par la recherche audacieuse du consensus.

La plupart des pays d'Europe ont déjà réformé leur système de retraites. Partout les mêmes évolutions de la pression démographique sur le financement collectif de la solidarité ont rendu indispensable et consensuelle l'idée même de réforme. Partout les efforts ont été équitablement partagés. A côté des efforts demandés aux salariés, des recettes nouvelles ont permis l'élargissement du financement à d'autres revenus que ceux du seul travail, et des impôts sociaux ou des contributions nouvelles sur la richesse ont été créés.

Partout, quels qu'aient été les débats et les difficultés, la plupart des pays européens ont construit leur propre réforme sur un accord général des syndicats ou des partis politiques. En Allemagne, la réforme des retraites a donné lieu à un référendum organisé par les syndicats auprès des salariés. En Suède, le gouvernement a recherché et obtenu l'accord général de la totalité des partis politiques.

Rien de cela en France, puisque le gouvernement n'a jamais recherché le consensus ni organisé les conditions d'une véritable négociation. Sur les retraites comme sur l'avenir de l'assurance-maladie, la droite a imposé son diagnostic et ses solutions, énoncés unilatéralement lors de la visite du premier ministre au congrès du Medef, dont elle paraît devenue le mandataire, puis a employé son énergie à diviser ses interlocuteurs.

Dans un jeu de rôle préparé à quelques-uns, le gouvernement a mimé la négociation. Pourtant, aucun gouvernement européen n'aurait pu se passer du soutien de la représentation de centrales syndicales aussi importantes en France que la CGT, Force ouvrière, la CFTC et l'UNSA. Une autre méthode aurait consisté à prendre le temps de l'élaboration d'un diagnostic partagé des difficultés à surmonter, ensemble.

Mais en France le gouvernement dispose de tous les moyens pour passer en force. Il en use donc et en abuse. Il utilise la brutalité des procédés de la Vème République. Sa majorité parlementaire lui étant soumise comme un troupeau docile, le gouvernement décide donc arbitrairement de la nature de ses rapports avec les partenaires sociaux. Les députés de la majorité, interdits d'amendement à la réforme, s'apprêtent à valider sans broncher un accord signé par des syndicats ne représentant qu'un quart des salariés. Quant à l'opposition et à ses amendements, le 49-3 ou le vote bloqué leur réglera leur compte.

Il y a ensuite l'absence de légitimité politique de cette réforme. A aucun moment, le candidat Chirac n'a placé dans le débat électoral le projet actuel de réforme des retraites. Pas davantage les candidats UMP aux élections législatives qui suivirent, lesquels se gardèrent bien de décrire leur future réforme des retraites devant leurs électeurs. Où est le contrat passé avec le corps électoral ? Où est le mandat clair et explicite donné par les électeurs ?

Un an après le 21 avril 2002, l'implacable système de la Vème République s'est remis en marche. Mais quelle République peut prendre le risque de créer le désespoir chez les millions de salariés du public et du privé en désaccord profond avec cette réforme ? Quel gouvernement peut froidement décider de condamner à la soumission pure et simple les millions de citoyens qui ne pensent pas comme lui et les rejeter dans la violence politique et sociale ?

Nous voici revenus au bon vieux temps des gouvernements autoritaires et brutaux qui semaient les graines de leur propre renversement.

Il y a enfin, dans ce triste tableau, l'empêchement de faire aboutir ce qui serait une réforme de progrès et de justice. Pour réformer notre protection sociale, il faut poser clairement les enjeux au pays. Chaque citoyen comprend qu'un demi-siècle après leur fondation nos systèmes de retraites et de santé doivent évoluer sous l'effet conjugué de la transformation des carrières, de l'allongement de l'espérance de vie, du développement du chômage, de l'accroissement de la demande de soins, et de la pression démographique.

A partir de la nécessité partagée de la réforme, il faut construire le consensus le plus large. Les Français sont prêts à accepter de payer un niveau de solidarité constant et garanti. Ils préfèrent payer le surcroît de prix à la solidarité maintenue, plutôt que d'abandonner à l'individu seul et sans moyens le salut de ses vieux jours.

C'est dans la construction d'un double compromis que pourra s'installer la réforme durable de notre protection sociale, garantissant le niveau actuel de solidarité : un nouveau compromis entre les contributions demandées aux revenus du travail et celles exigées du capital et de la richesse créée ; un nouveau compromis entre le financement pesant sur le système productif et le financement universel attaché à la citoyenneté.

Ce double compromis doit servir une exigence : la garantie d'une retraite décente pour tous, dans un pays riche comme le nôtre, des pensions minimales au niveau du smic, indexées sur les salaires, dont la dégradation doit être stoppée par la rediscussion d'une meilleure période de référence ; ainsi que la prise en considération des métiers pénibles dans le privé comme dans le public, pour la détermination de la durée de cotisation.

Une telle réforme peut rassembler le plus large des consensus, après une véritable négociation d'ampleur nationale. Mais cette refondation du contrat social nécessite d'autres règles institutionnelles, d'autres procédures délibératives, d'autres rapports entre le politique et le social que ceux auxquels la Vème République condamne toute tentative de réforme.

Le référendum auquel serait nécessairement soumise une réforme d'aussi vaste envergure est sans rapport avec la version plébiscitaire actuellement en vigueur. Il serait dans la République nouvelle l'un des actes les plus solennels de reconstruction du civisme autour de la consolidation de notre modèle social en proie à ces nouveaux périls. Il serait l'un de ces nouveaux instruments de construction du consensus. Il magnifierait le choix politique, le redonnerait à des citoyens désabusés ou en sécession, à qui l'on ne demande que des sacrifices sans jamais envisager avec eux le projet collectif.

Condamnée moralement et civiquement il y a un an ; contestée socialement à dates cycliques et répétées, incapable d'organiser le choix et la décision, rendant impossible toute réforme, la Vème République continue sa longue marche vers sa propre condamnation, et avec elle la condamnation de notre pays. Le moment approche où il faudra bien choisir.

Sur les retraites comme sur l'avenir de l'assurance-maladie, la droite a imposé son diagnostic et ses solutions.

La Vème République continue sa longue marche vers sa propre condamnation

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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