Vers la Constituante européenne ?

Arnaud Montebourg


Point de vue d'Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, paru dans le quotidien Le Monde daté du mardi 6 janvier 2004


 
Les meilleurs esprits européens ont beau se répandre en dénégations, comme pour sauver de la paralysie ce qu'ils viennent d'enfanter, le corps est sans tête. Nous venons bel et bien d'élargir l'Union européenne à 25 sans qu'aucune règle commune acceptable par tous n'organise le gouvernement de ce que ces 25 pays ont mis en commun.

Le triomphe des anti-européens est malheureusement total. Parmi eux, les Britanniques, qui voient réussir leur projet de déclasser le continent européen en zone de libre-échange sans direction politique ni possibilité d'exercer la puissance, dans un monde qui en exige pourtant beaucoup.

C'est la méthode choisie pour bâtir cette grande Europe qu'a condamnée le sommet de Bruxelles. La charrue a été placée devant les bœufs. La recommandation de grands bâtisseurs comme Jacques Delors ou François Mitterrand, qui exigeaient d'approfondir et consolider d'abord avant d'élargir, a été violée.

On a préféré annoncer que l'élargissement était acquis avant même d'avoir défini la manière de gouverner la future Europe élargie. Ne valait-il pas mieux se mettre d'abord d'accord sur une construction politique viable et acceptable avant d'élargir ? Ne valait-il pas mieux conditionner et suspendre l'arrivée des nouveaux pays à l'acceptation d'un système de décision démocratique qui ne fait d'ailleurs toujours pas l'unanimité des pays membres ?

Après tout, les pays entrants qui refusent le projet de traité constitutionnel sont de bonne foi puisqu'ils ont fait approuver par leur population leur entrée dans l'Union sur la base contractuelle du traité de Nice, que ses concepteurs ont considéré - l'encre de leur signature à peine sèche - comme inacceptable et impraticable ! La Convention de Valéry Giscard d'Estaing est née de cette malheureuse hypocrisie. Son traité constitutionnel vient d'en périr.

Les technocrates européens viennent ainsi de se remettre à pousser le rocher comme Sisyphe pour nous sortir de cette impasse dans laquelle ils nous ont précipités : " avant-gardes ", " groupes pionniers " ou " coopérations renforcées ". Pour nous sortir de la paralysie de l'élargissement, on voudrait réinventer des petits groupes de pays qui agiraient ensemble pour contrecarrer les effets désastreux d'un élargissement que ceux-là mêmes viennent pourtant de décider !

Pendant ce temps-là, les citoyens qui croient encore dans l'Europe, dont nous sommes, voient leur désespoir s'approfondir pendant que ceux qui n'y ont jamais cru voient leurs prédictions s'enraciner et se répandre.

Car ces graves écarts de conduite des gouvernements ont des conséquences très lourdes sur les peuples européens. Ceux-ci savent que l'action publique nationale est de moins en moins pertinente et que toute tentation souverainiste est, dans une économie mondialisée, aussi vaine que stupide. Ils ressentent surtout l'urgence de combler le vide politique installé dans les Etats-nations par un projet de Constitution politique à l'échelon supranational européen dont ils réclament avec force et bientôt tapage la naissance. Ils savent, même intuitivement, que la réalisation de cette œuvre démocratique est le moyen par lequel naîtra un futur traité social à l'échelle de notre continent.

Le projet de Constitution de la Convention pouvait difficilement lever les adhésions en masse : s'il comportait des avancées démocratiques indéniables (stabilité du nouvel exécutif, augmentation des compétences du Parlement), il installait dans sa 3e partie des choix politiques issus du passé qu'aucun Parlement européen élu au suffrage universel n'aurait pu remettre en question. C'est comme si on avait voulu installer dans notre actuelle Constitution de la République française le code civil de 1808, le code de commerce de 1966, le code pénal issu de la Révolution et le code des douanes de 1958.

A quoi bon élire un Parlement si, en toute matière, sa souveraineté de législateur est interdite pour l'exercice de ses choix politiques, figée dans le formol constitutionnel d'un temps révolu ?

Ce refus obstiné de la légitimité démocratique est l'œuvre des gouvernements et des Etats qui ne veulent pas, à l'inverse de leurs citoyens, d'une souveraineté européenne démocratique.

Voilà pourquoi la solution ne peut qu'être démocratique, et passe sans détour par les élections européennes du mois de juin.

Les partis politiques qui se servent habituellement de ce scrutin pour d'autres utilités que la construction de l'Union ont entre les mains une splendide occasion, installée là par la magie de l'histoire, de faire approuver par le corps électoral un projet de Constitution.

Les députés européens qui vont sortir des urnes cette année disposeront d'un mandat constituant par l'effet même d'une telle consultation. C'est ce mandat qu'ils mettront en œuvre pour bâtir, sous le sceau de la légitimité démocratique, le compromis politique que l'histoire de notre continent attend de nous.

Ils ne seront pas les députés de leur ancienne patrie, mus par l'égoïsme de leur vieille nation, mais ceux d'une patrie naissante : la démocratie européenne.

Croyez-vous que les gouvernements ou les Etats auront les moyens d'opposer leurs petites digues à ce qui pourrait devenir un déferlement prodigieux ? Les socialistes de toute l'Europe porteront dans tous les foyers européens gangrenés par le désespoir populiste la croyance dans notre avenir commun, dans un petit texte, clair, simple, lisible par tous : la Constitution de tous les citoyens européens.

Il se pourrait même que, le souffle de l'espérance venant, ils remportent ce combat.

Aux esprits chagrins qui diraient que le Parlement européen excéderait de la sorte ses compétences et ses pouvoirs, il faut faire en souriant la réponse suivante : les Etats généraux de Versailles avaient-ils compétence pour désobéir au roi ? Et sous le serment du Jeu de paume, avaient-ils compétence pour fonder l'Assemblée constituante ? Non. Ils l'ont fait quand même, parce que les citoyens le désiraient.

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