Allez convaincre
université d'automne de la Convention pour la VIème République
17 novembre 2002



Discours de clôture prononcé par Arnaud Montebourg lors de l'université d'automne de la Convention pour la VIème République.


 
Mes chers conventionnels, chère Christiane [Taubira],

Tu imagines le plaisir que nous avons ressenti à t’entendre, car nous connaissions, nous imaginions, nous devinions, je la connaissais, d’autres pas assez, ta passion de femme engagée et la force que tu mets dans les convictions parfois difficiles et courageuses que tu défends. Nous avons été nombreux à y avoir fait ta connaissance dans la précédente législature qui nous avait donné de la fierté et qui se termina par un désastre, nous avons été toujours impressionnés par toi, Christiane, et les électeurs aussi.

Je veux te dire que pour nous, ici, conventionnels, hommes et femmes de toutes origines, de tous les départements de France, nous avons depuis maintenant un an et demi, décidé en quelque sorte de ne plus nous contenter de ce qui est, sur un certain nombre de sujets que tu as abordés. Lorsque tu disais nous avons protestés, les uns plus, les autres moins, avec quel résultat et quelle efficacité ? Lorsque tu dis, toi, femme engagée, femme politique, oratrice, lorsque tu parles à la population et que tu dis « qu’avons-nous répondu ? Nous avons essayé mais voici que nous n’avons pas pu », à chaque instant, chacun s’interroge sur la manière dont on décide dans ce pays.

Je veux te dire que ta lucidité, tes combats, la liberté de ton esprit, ta création, forte, tu parles d’insolence, je crois qu’elle est très constructive, elle est nécessaire, parce que en effet nous avons besoin de nous unir, d’unir nos forces, partout où nous le pouvons, par tous les moyens que nous trouverons pour bâtir cet autre chose que la population attend de nous, elle qui désespère.

« Faire foule », disais-tu, « arrimer nos espérances, réenchanter ceux qui ne croient plus dans la volonté », je veux te citer pour te dire qu’en vérité, c’est là l’héritage immémorial de ceux qui ont bâti de la République, qui en ont souffert, qui en sont morts pour certains. Regardez à Paris, dans nos villes, nos villages aussi, les plaques sur les coins de rues, et regardez les sous-titres, ne vous contentez pas de « rue Dussoubs - 2ème arrondissement ». Dussoubs est mort sur la barricade contre l’impérial Badinguet et son coup d’état. Sait-on qui c’est, Dussoubs ? Il était sur la barricade, il a péri pour nous. Et aujourd’hui nous laisserions ce monde qu’ils nous ont légué se déliter, se détruire à petit feu ?

Il y a des gens comme toi, nous sommes nombreux en France, partout dans les départements, dans toutes les régions, les français s’interrogent, les citoyens s’inquiètent. Ils viennent nous voir, sont perturbés. Ils nous disent « finalement, nous avons à réfléchir à cette nouvelle idée républicaine ».

Et en t’écoutant, je pensais, tu me permettras de le citer, à ce député qui fut député de la Guyane avant-guerre, Gaston Monnerville. Gaston Monnerville qui a terminé sénateur et Président du Sénat dans les derniers temps, un jour pris la parole, d’une façon que je voudrais prendre le temps de vous lire, de vous rappeler, parce qu’on ne peut rien comprendre du combat que nous entreprenons, on ne peut rien comprendre de l’étendard que nous reprenons à terre pour le brandir à nouveau si on ne revient pas aux textes, à ceux qui ont pris des risques dans la position dans lequel ils étaient. C’est quelque chose, maintenant, d’exemplaire de prendre un risque mais c’était un réflexe pour nos ancêtres, pour les pères fondateurs des différentes Républiques, qui ont abouti, et aboutiront à cette VIème République. C’était le 9 octobre 1962. Je n’étais pas encore né. Gaston Monnerville, après la demande de référendum du Général de Gaulle sur l’élection au suffrage universel du Président de la République, est à la tribune du Sénat. Je le cite :
« Le jeux normal des institutions est faussé. La Constitution est violée ouvertement, le peuple est abusé. Les responsabilités seront grandes et lourdes dans les semaines qui viennent. Chacun de vous, j’en suis sûr, saura les assumer en pleine conscience du devoir qui s’impose à nous. Ce devoir, c’est de défendre et de sauvegarder la République. Ce qu’on nous offre n’est pas la République. C’est, au mieux, une sorte de bonapartisme éclairé. Il n’y a plus de République lorsque le pouvoir ne s’impose plus à lui-même le respect de la loi. La France sera-t-elle demain une République ? Cela dépend du courage des républicains. Mon attachement à la République française, c’est un sentiment que je veux très pur, fondé sur beaucoup de gratitude. Un amour qui rejoint mon culte pour l’égalité. Au peuple de France, si généreux, si fraternel, je dis « Aimez votre République, la vraie, celle que vous ont fait vos ancêtres courageux. Ne vous retirez pas de votre propre souveraineté, ne vous désarmez pas vous-même, restez fidèles à la probité républicaine. La lutte sera peut-être longue, elle sera dure. Courage et persévérance » ».
Ovation debout, Christiane, comme aujourd’hui, ici, dans quelque chose qui est beaucoup plus moderne que le Sénat ! Oui, nous sommes fidèles à la probité républicaine, à ses exigences et nous aimons fréquenter le courage et la persévérance qu’il va falloir que nous retrouvions, nous, conventionnels.

Je veux remercier ici tous ceux qui sont venus et restés après notre journée de travail d’hier, de toutes parts : les bordelais, les picards, les bourguignons - il y en a, quand même -, les corses, bien sûr, les alsaciens, les bretons, j’ai entendu des normands, des savoyards, les habitants de Grenoble, Lyon, Marseille, Lille, ceux de la montagne des Vosges, les habitants de l’Ile de France, du Quercy, et bien sûr les parisiens actifs, forts de la tradition de Pétion, à la Commune, qui voulaient manifester devant la Convention et imposer le cri du peuple. Ce sont tous les conventionnels ici réunis.

Nous sommes déjà 3 000. 5 000 ont signé « l’Appel à la rupture », comme cela, dans les bouches de métro, dans les arrières salles de restaurants où l’on discute et se concerte. Peu d’entre nous sont membres de partis politiques, refusant l’immobilisme, le conservatisme dont tu parlais Christiane. Tous ceux-là, sont dotés de sensibilités politiques diverses : des communistes, des verts, des radicaux, des socialistes, des démocrates chrétiens, des adhérents de l’UDF, il en est, également membres de la Convention pour la VIème République, des syndicalistes engagés dans leur activité professionnelle. Toutes les générations sont représentées. Il y a ces vieux militants mendésistes qui nous disent « nous avons retrouvé le chemin de nos vingt ans ». Et il y a ceux de vingt ans qui nous disent « nous avons compris ce qui n’allait pas dans ce monde qu’on nous lègue et dans lequel j’arrive à la maturité politique, où j’ai aujourd’hui à décider dans un monde qui ne tourne pas rond ».

Dans cette diversité, il ne faut pas qu’on se trompe. Nous ne sommes pas le Parti socialiste. Je vais être très clair pour ceux qui nous observent. Nous ne sommes pas le Parti socialiste et nous ne sommes pas même l’une de ses annexes, ou l’un de ses appendices, ou l’une de ses écuries. Nous sommes beaucoup plus que cela.

Nous sommes un rassemblement de citoyens qui au-delà de leurs préférences partisanes, de leurs préférences politiques, veulent se rassembler, agir, observer les pratiques, les critiquer, les transformer, agir pour imposer comme une évidence une nouvelle République, comme le disait tout à l’heure Bastien François. Nous sommes beaucoup plus qu’un parti politique, parce que précisément nous ne sommes pas un parti politique, et que nous, admirant le rôle que les partis politiques jouent, souhaitons, au contraire les influencer, partout où nous sommes, chacun d’entre nous, d’entre vous, dans vos partis politiques. Dans le mien, je fais ce que je peux ; dans le vôtre vous faites ce que vous pouvez. Partout, les militants, les adhérents de la C6R entrent dans les partis politiques, obligent au débat, contraignent les dirigeants de ces partis à enfin s’interroger sur la question fondamentale du pouvoir, des processus de délibération à l’œuvre, des dysfonctionnements dans la représentation, les nécessaires réformes qu’il faudra engager pour qu’enfin le citoyen soit au cœur, comme tu le disais toi-même qui veux placer l’être humain au cœur du processus décisionnel, le citoyen n’y est pas encore. D’abord, le citoyen. Peut-être un jour, je l’espère, le contribuable, ensuite le justiciable. Toutes les facettes de ce qu’est un être humain a besoin pour se sentir représenté. Et enfin, nous arriverons peut-être à l’être humain. Mais pour l’instant nous n’avons même pas le citoyen.

Alors, c’est là le message de notre combat commun, partout où nous sommes, dans les partis politiques que nous fréquentons, ce combat pour que la République se reconstruise, il n’y a pas de totems ni de tabous de la République. Et partout où nous sommes, nous essayons de faire prévaloir cette idée qu’il est enfin possible de bâtir une autre République. Je le disais, la Vème a fait son temps et son œuvre, elle a rendu certainement des services. Mais aujourd’hui, les français veulent autre chose. Ils ont soif d’autre chose.

Bastien François, tout à l’heure, disait : « tout a changé. L’université, par exemple, la justice, aussi, mais il y a une chose qui n’a pas changé, c’est la politique ». Voilà notre sujet. Et c’est ce sujet sur lequel il est possible que nous rassemblions nos forces. Il est vrai que nous avons connu, nous les premiers conventionnels, l’isolement et le mépris, un peu la solitude des premiers maquisards dans la forêt sombre, nous avons connu l’insulte. Nous connaissons, maintenant, c’est un plaisir, le respect ; parfois même, la crainte. Et de temps en temps, je sens que l’on commence à, nous entendre ? Non, à nous écouter quand même. Nous progressons donc et nous disions hier, lorsque nous étions en conclave, que ce que nous voulons atteindre, c’est que, finalement, tout le monde nous dérobe nos idées. Et que partout, il soit enfin reconnu comme évident, qu’une nouvelle République s’impose.

La République, elle est à tout le monde. Chacun doit pouvoir la mettre au service de ses idéaux, mêmes les plus contradictoires. Chacun doit pouvoir se retrouver dans la maison commune. Nous sommes, nous français, et bientôt en même temps européens, nous devons pouvoir nous sentir copropriétaires de la même demeure et pouvoir y agir dans le respect des uns et des autres, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons tremblé pendant quinze jours, le 21 avril. Il y avait comme une atmosphère de début de guerre civile, la violence, le sursaut, tous ces sentiments que des générations n’ont pas connus, que nous ne connaissions que dans les narrations de nos grands parents, de nos parents, ceux qui ont connu la guerre d’Algérie, ceux qui ont vécu l’invasion de notre territoire par la Wehrmacht.

Je dois vous dire que si nous devons revenir au 21 avril, le constat est lourd : 14 millions d’abstentionnistes, 6 millions de votants. Peut-on parler de la base politique du Président actuel de notre République. Peut-on être Président d’une République avec à peine 9 à 10 % des inscrits et du corps électoral en mesure de prendre une décision ? Et par l’effet d’un tour de passe-passe liée à la bipolarisation, les deux candidats au 2ème tour artificiellement investis d’une sorte de score de République bananière.

Notre stratégie à nous, puisqu’il faut parler de stratégie, est que nous soyons de plus en plus nombreux. Je veux remercier les conventionnels qui ont décidé dans une presque unanimité, la transformation de fond en comble de la transformation interne de la Convention, pour que partout dans les départements de France, il puisse enfin s’installer une offensive tous azimuts sur cette question, et qu’enfin nous ayons les instruments - c’est chose faite, je veux vous en remercier. Nous sommes 3 000, j’espère que nous serons bientôt 10 000, j’espère que nous allons augmenter nos divisions pour enfin peser sur la façon dont aujourd’hui le débat est dans ce pays interdit. Ce que nous voulons faire ? Et ce que nous sommes ? Je repense à Gaston Monnerville. Écoutez Christiane Taubira, écoutez tous ceux qui aujourd’hui ne se satisfont pas de cette République. Nous sommes l’opposition à ce système. Résolus, critiques, raisonnables aussi. Et nous construisons œuvre républicaine.

Nous sommes en train d’élaborer par notre stratégie, par notre structure et par le mouvement que nous engageons dans le pays, une révolution douce, une révolution raisonnable et réfléchie. Ce n’est pas le grand soir, mais c’est le désir d’être exigeants et d’affronter courageusement l’ensemble des questions qui se posent à nous, sur le terrain de la justice - je remercie Thomas Clay et son groupe -, sur le terrain de l’Europe - Merci à Paul Alliès - où nous avons un certain nombre d’exigences à porter sur le terrain de la démocratie, sur le terrain de la démocratie locale - je remercie Marion Paoletti et l’ensemble des travaux qui ont été effectués pendant ces deux jours de congrès - l’ensemble de ces propositions va pouvoir être peu à peu, partout, sur l’ensemble des terrains qui concernent les citoyens, car nous partons des citoyens et non des académies de constitutionnalistes.

Nous nous adressons, nous demandons le soutien des citoyens que nous voulons convaincre qu’il y a une autre voie que la protestation qui parfois peut prendre la forme de l’utilisation du bulletin de vote dangereux et interdit que nous avons connu un jour de premier tour. Car cette vague existe et n’a aucune raison de cesser au vu du spectacle qu’aujourd’hui la République donne d’elle-même. Lorsque l’ensemble des comportements politiques aujourd’hui ne semble pas avoir assimilé qu’il y avait dans ce pays une sorte de fracture qui s’était créée.

Une violence, une haine politique s’est installée à l’égard des élus. Je pense au coup de poignard dont a été victime Bertrand Delanoë. Je veux d’abord lui rendre un hommage, si vous me le permettez. Je lui ai d’ailleurs dit qu’il était l’un des précurseurs concrets comme beaucoup d’autres en France, dans leurs communes, dans leurs petits territoires, là où ils sont, des pratiques qu’il faudra instaurer pour une nouvelle République. Je lui ai dit qu’il était l’un des précurseurs de la VIème République avec ses comptes rendu de mandat, son sens du respect des délibérations. Je veux lui rendre cet hommage car il est l’homme qui a ouvert Paris à son peuple et il est l’homme qui a pris le premier coup de couteau. Et il y a là un symptôme qu’il ne faut pas négliger. Si ceux qui aujourd’hui décident de rouvrir les portes de la démocratie sont les premiers à en pâtir, il nous faudra beaucoup de courage car il y a des chances que nous soyons les premiers à en pâtir.

Mais peu importe, Bertrand Delanoë, est dans le vrai et dans le juste. Il met en oeuvre les seuls moyens par lesquels nous pourrons enrayer cette vague xénophobe, nationaliste, anti-européenne, anti-républicaine incarnée par les extrémistes de droite qui veulent aujourd’hui offrir les conditions d’une alternance tranquille, à travers de nouveaux visages, à travers quelques attributs nouveaux. Je dois vous dire qu’aujourd’hui je ressens que la gauche conservatrice est tombée dans le piège de la Vème République. Si elle ne remet pas en cause ce piège, je crains que nous en périssions tous. La gauche, certes, mais les républicains avec. Car la menace qui guette, c’est la situation à l’autrichienne. C’est que peu à peu et de fil en aiguille, avec les dégâts que fera la politique actuelle et son sens inné du verrouillage politique des institutions précisément, les citoyens continuent dans la voie que le 21 avril a tracée.

Oui, le piège de la Vème République s’est bien refermé sur la gauche. Prenons quelques exemples : la gauche a refusé de demander la démission du Président de la République qui avait dissout l’Assemblée nationale pour lui demander un mandat supplémentaire. La gauche n’a rien dit. Elle a donc été obligée de négocier sa propre politique avec ledit Président de la République qui s’est révélé son pire adversaire.

La gauche a refusé de contrôler la politique européenne et étrangère en raison de la cohabitation. Elle a refusé d’entrer dans ce qui était l’usurpation, chacun le sait, de ce qu’on appelle le domaine réservé. La conséquence est qu’elle a été condamnée à n’avoir aucune politique européenne ou étrangère propre et à diluer ses propres convictions dans celles de ses adversaires. La gauche a refusé de passer outre le refus, d’ailleurs abusif, constitutionnellement contestable du Président de la République, à réformer de fond en comble l’institution judiciaire, en réunissant, souvenez-vous, le Congrès de Versailles, car il fallait une réforme constitutionnelle pour la mener à bien. Elle a été sanctionnée violemment par les électeurs, pour n’avoir pas su répondre à la soif, à la demande considérable de justice dans notre pays.

La gauche a refusé de mettre en accusation le quasi délinquant que vous connaissez, elle a refusé de mettre en accusation le quasi délinquant dont elle a toléré la présence au somment de l’Etat, après quoi elle a été contrainte d’appeler à voter pour cet homme compromis dont l’impunité est une honte pour notre pays dans le monde. Cela fait quand même beaucoup pour la gauche. Et il nous faudra beaucoup d’esprit de résistance - je parlais des maquisards dans la forêt, maintenant nous sommes dans la lumière de la clairière - on va nous tirer comme des lapins - il nous faudra donc beaucoup d’esprit de résistance pour faire face à ce que nous devons appeler le rétablissement et la restauration en cours, d’une façon tout à fait souriante et rondouillarde, du système monarchique.

Vous avez compris que l’UMP qui se réunit en ce moment même au Bourget, a inventé finalement le dernier instrument par lequel il croit sauver ce régime en discrédit. Organiser l’ordre et la discipline en son sein et faire marcher son système de réformes au pas pour aboutir au maintien de ce système. J’ai envie de vous dire qu’il s’agit là du dernier syndicat fondé pour assurer la survie du système moribond. Il est le brancardier du grabataire qui marche encore.

Si vous voulez des preuves, nous allons faire un petit tour de l’actualité récente, simple, celle qui s’offre à chacun des citoyennes et citoyens français, dans leur quotidien sur la reprise en mains de tous les pouvoirs.

Le Parlement d’abord. Vous avez remarqué que les députés godillots de la majorité peuvent toujours couiner. On s’occupera d’étouffer leurs petits cris et leurs jérémiades sous le gros oreiller de l’UMP. Je note d’ailleurs qu’il est un député de l’Essonne qui s’époumone tout seul et qui tente, à droite, de travailler dans un parti unique. Il n’a pas compris qu’un parti unique c’est un candidat unique et qu’il ne peut pas réussir dans cette entreprise. Il n’a toujours pas compris que le candidat unique à la présidence du parti unique n’est autre que le vice Président de la République, Monsieur Juppé qui a toutes les raisons d’être élu par avance et par acclamation d’ailleurs. Il est également intéressant de regarder dans une législature, la qualité et la quantité des commissions d’enquête parlementaires. Car elles sont la signalétique de la liberté que s’autorise une majorité parlementaire à l’égard de ce qu’on appelle la discipline de la Vème République. Je crois que la première qui vient d’être décidée concerne le loup. Peut-être y en aura-t-il une, j’ai entendu la semaine dernière aux questions d’actualité comme toi, Christiane, une question sur le rat musqué. Avec ces animaux nous touchons enfin le fond des problèmes de la société française. Car, si dans un régime comme le nôtre, on laissait les parlementaires s’occuper de choses sérieuses, les citoyens commenceraient à en souffrir.

Voulez-vous que je vous parle, un instant, du statut de l’opposition dans lequel nous nous trouvons ? C’est très confortable de s’opposer car nous n’avons droit qu’au silence. Je veux vous indiquer que nous n’avons droit à chaque heure de questions d’actualité qu’à trois minutes de parole. Trois questions de 1 minute pour les socialistes. Et lorsque nous avons le malheur de dépasser la minute, nous avons un excellent modérateur, qui s’appelle Jean-Louis Debré, qui nous dit « votre temps est dépassé », sur le ton du scandale. Trois minutes pour l’opposition. Dans tous les pays européens, c’est 50/50. Trois pauvres petites minutes. Croyez-vous que les 90 % d’électeurs qui n’ont pas voté pour le Président de la République, se reconnaissent dans ces trois petites minutes ?

Et ce n’est pas seulement le Parlement qui subit le verrouillage. Parlons également de l’institution judiciaire. Voici celle-ci fait l’objet de toutes les attentions du nouveau Garde des Sceaux. Je note que les Procureurs qui avaient acquis une certaine autonomie qui avait d’ailleurs été théorisée, elle n’a pu être inscrite dans le marbre constitutionnel puisque, vous le savez, cette réforme a été annulée par le Président de la République, voici que nous avons observé qu’un certain nombre d’élus locaux prenaient la parole dans la presse locale pour demander la tête de leur Procureur. Et j’ai noté que Jacques Peyrat, maire frontnationalisé de Nice, membre de l’UMP, se vantait dans Nice Matin, il y a peu, d’avoir eu la tête du Procureur de Montgolfier. Il disait « c’est fait, ne vous inquiétez pas, je m’en suis occupé ». Vous me permettrez d’adresser en votre nom à tous au Procureur de la République de Nice, notre meilleur soutien et notre accompagnement dans les épreuves que le régime va commencer à lui infliger. Car la magistrature qu’on appelle « debout » va devoir retrouver le goût ancien de se savoir couchée de temps en temps.

Il n’y a pas que les Parquets d’ailleurs. Il y aussi, le Conseil Constitutionnel. Je suis en train de faire l’énumération de l’ensemble des contre pouvoirs à l’UMP, et nous allons voir ce qui reste, si nous sommes encore en République. Permettez moi d’être un peu long dans cette démonstration très simple, pédagogique, avec des exemples tirés de mon journal local qui arrive chez moi, tous les matins. Les Parquets, nous en avons parlé, parlons du Conseil Constitutionnel.

Je crains que là aussi une petite anecdote soit venue perturber les analyses si simples que nous entendons sur l’indépendance du Conseil Constitutionnel. Je veux rappeler d’abord que pendant la XIème législature, la majorité à laquelle nous appartenions, Christiane et moi, a subi 123 censures. Nous observons que depuis 6 mois, un grand nombre de textes ont été votés, aucune censure n’est intervenue, mais cela s’appelle l’indépendance.

Je veux noter que l’un des membres du Conseil Constitutionnel, il y a encore peu, jusqu’à l’année dernière, Madame Noëlle Lenoir, qui est aujourd’hui ministre des Affaires Européennes, était rapporteure au Conseil Constitutionnel d’une décision relative à l’immunité pénale du chef de l’Etat. Nous n’avons jamais vu dans l’histoire de notre République, nous n’avons jamais vu dans l’histoire de toutes les Cours Suprêmes d’Europe, un juge nommé ministre par le Prince, car cela ne peut paraître que soupçonnable à travers une sorte de cadeau ou de renvoi d’ascenseur pour les décisions qu’il a pu rendre dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles.

Jamais au Conseil Constitutionnel on ne fait un début de carrière. On se contente de la terminer là. C’était déjà assez curieux que beaucoup d’anciens ministres peuplent les sièges ouatés, capitonnés du Conseil Constitutionnel. Mais maintenant, voici que ce sont de futurs ministres, circonvenus, on ne sait par quel tour de passe-passe, commençant leur carrière au Conseil Constitutionnel, ayant donc des faveurs à obtenir du pouvoir. S’il m’avait été permis de poser la question d’actualité comme je l’avais demandé au nom de mon groupe politique à Madame Lenoir, d’abord je lui aurais dit que sa présence me rassurait au regard des exigences de la parité. Mais j’aurais immédiatement ajouté que je considérais, comme beaucoup d’autres que sa présence au banc des ministres me paraît davantage une insulte à ce qui nous reste de croyance dans l’impartialité et dans l’utilité du Conseil Constitutionnel. Et je lui aurais dit « Madame, vous n’avez rien à faire là. Vous n’avez aujourd’hui qu’à remettre votre démission ».

Voulez-vous d’autres exemples ? Vous pourrez dire « Mais enfin, Monsieur Montebourg, vous exagérez. Il reste quand même le CSA. » C’est, en effet, un extraordinaire contrepouvoir, dirigé en effet par un ancien député… de l’UMP, qui prend, vous n’en doutez pas, ses instructions à l’Elysée. Avez-vous vu le Président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel aller dîner à l’Elysée, juste avant la décision sur la pornographie ? On lui a dit de ne « pas trop interdire ». Le CSA s’en est bien occupé.

Il reste, c’est peut-être le dernier petit point d’espoir ! La commission consultative des droits de l’homme. C’est une commission, elle est consultative. Mais enfin, cela peut peut-être nous aider à croire encore dans cette République. Voici que Monsieur Chirac vient d’y nommer ses propres conseillers et même son propre avocat, Maître Szpiner. Les droits de l’homme, en France, sont dans les mains, donc, des avocats de Monsieur Chirac. Nul doute qu’ils seront bien défendus !

« Mais enfin », me dit-on, « que reste-t-il alors » ?

Il reste un contre pouvoir fondamental et essentiel qui a été oublié : le Sénat. Car le Sénat, c’est la chambre adorée du Premier ministre, il en est lui-même issu. Vous noterez qu’il n’a jamais été élu au suffrage universel, il a même été battu. Mais au Sénat, on peut être battu au suffrage universel puisque c’est un endroit où il n’y a pas d’électeurs. Savez-vous comment on élit un sénateur ? On réunit un jour pluvieux à la Préfecture des grands électeurs qui ont été tiré presque au sort puisqu’on ne sait pas dans les conseils municipaux qui désigne les grands électeurs, on ne sait absolument pas sur quelle ligne politique les grands électeurs vont se prononcer, on en parle même pas du tout. Donc, un jour pluvieux quelques clandestins s’acheminent vers la Préfecture, pour dans le brouillard, un jour, décider de voter, peut-être selon leur conscience. Vous savez ce que je dis aux maires de ma circonscription qui me disent tous « vous savez Monsieur le député, je ne fais pas de politique » ? Je leur réponds « Ca tombe bien, moi non plus ». Le Sénat est une chambre qui n’a pas de couleur politique quand on vote. Mais malheureusement, depuis que Gaston Monnerville l’a quittée, c’est une chambre où vous pouvez être certain qui s’agit là de la chambre qui n’a pas connu l’alternance depuis 40 ans et qui sert le mieux aujourd’hui les desseins de l’UMP.

Voilà, c’est une manière de dire finalement qu’est-ce qui nous reste pour que nous pensions qu’il nous reste une place dans cette maison commune ? Je réfléchis. Et je ne trouve rien. Si, les pouvoirs locaux. Battez-vous, montrez que vous pouvez faire autrement. Il y a deux chambres qui représentent les élus locaux. Non pas une, comme on pourrait le croire, le Sénat, mais également l’Assemblée nationale, puisque nous ne sommes que 4 % à n’avoir qu’un seul mandat, Christiane et moi en faisons partie. 4 %, me direz-vous, c’est un bon début. Et bien, le Sénat et l’Assemblée nationale, aujourd’hui sur l’ensemble des questions qui concernent les questions locales, aujourd’hui sont unis dans la plupart de leurs décisions relatives à la non réforme des collectivités locales. Tout à l’heure, on évoquait la question du référendum et du droit de pétition. Voici que Monsieur Raffarin a eu l’idée qu’il faudrait peut-être respecter l’esprit de mai. Et celui-ci s’est saisi du droit de pétition qui est une conquête révolutionnaire. Très bien. Nous regardons le projet de loi. Il y a un droit de pétition, en effet. Mais, nous voyons au deuxième alinéa, « si les élus l’acceptent ». Ensuite, le référendum d’initiative locale. Amendement du Sénat : « si les élus en veulent bien ». Aujourd’hui, les procès verbaux de la commission des lois en font foi, le Garde des Sceaux vient benoîtement dire que le Gouvernement soutenait la position sénatoriale consistant à dire, le référendum, oui, le droit de pétition, oui, mais si et seulement si les élus l’acceptent. Donc, il n’y aura pas de référendum, pas de droit de pétition. Voilà où nous en sommes dans cette République où le beau mot de citoyen, nous n’en sommes pas encore ni à l’homme ou à la femme, mais seulement au mot de citoyen, a disparu corps et biens.

Nous allons donc avec la Convention pour VIème République, lancer une grande campagne nationale contre ce que Pierre Mauroy appelle « cette chambre indigne » qu’est le Sénat. Il est temps maintenant que partout où vous êtes dans les comités locaux, vous questionniez les sénateurs. S’ils n’ont pas d’électeurs ils auront au moins des gens qui les questionneront, qui les interrogeront sur la nature de leurs votes, sur les orientations suivies et vous informerez les élus, les maires, les grands électeurs sur les conséquences de leurs votes. Allez-y, inventons le compte rendu de mandat pour le sénateur sans électeurs. Et il faudra ainsi peu à peu construire une mobilisation autour de ce scandale républicain qu’est la fameuse haute chambre, même la chambre des Lords est beaucoup plus démocratique.

Vous voyez, finalement nous contemplons, chers conventionnels, l’immensité de l’œuvre qui reste à accomplir. Bâtir cette nouvelle République sera long et difficile. Nous allons connaître le tumulte, l’outrage, la médisance, elle a déjà commencé, mais nous aurons raison de nous battre et de nous consacrer à convaincre les français de repasser ce contrat dans lequel aujourd’hui ils ne croient plus. Une sorte de chiffon de papier dans lequel ils ne mettent aucun espoir. Ils se réfugient dans la grève du vote. Les voici qui parfois prennent le bulletin de vote le plus dangereux pour nous faire comprendre quelque chose que nous ne voulons pas comprendre, alors. Nous aurions plutôt à la fois l’avantage et l’impérieuse nécessité de le faire.

Ce combat, mes chers amis, ce sera probablement le combat de notre vie. Il faut s’y préparer. Mais ce sera peut-être, et c’est pour moi des mots bien choisis et bien pesés, croyez le bien, la dernière chance pour que le mot magnifique de démocratie prenne pour nos enfants la même signification que celle qu’il a eu pour nous. Allez convaincre, allez voir vos voisins, vos enfants, vos parents, vos amis. Dérangez-les dans leurs certitudes ou dans leur indifférence, dans leur hostilité. Allez les voir et dites leurs qu’ici nous reconstruisons la République, qu’elle peut être humaine, généreuse et vertueuse et je suis sûr qu’ils nous entendront.


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