Une corruption stupéfiante

Arnaud Montebourg



Entretien avec Arnaud Montebourg, député de la Saône-et-Loire, paru dans le quotidien Le Parisien daté du dimanche 21 janvier 2001
Propos recueillis par Dominique de Montvalon
 

Combien, à ce jour, avez-vous vendu d'exemplaires de votre livre (La Machine à trahir - Denoël) ?
J'en ai vendu 50 000. Et je suis invité à ce titre dans toute la France, y compris par des citoyens engagés à droite. Car la République appartient à tout le monde. Et sûrement pas au seul PS.

Vous souhaitez le passage du chef de l'Etat en Haute Cour pour qu'il s'explique sur ce qu'il a fait ou couvert quand il était maire de Paris et président du RPR…
Beaucoup d'amis députés me disent : « Arnaud, tu as raison, mais on ne peut pas le dire ! » Beaucoup de Français, eux, m'interrogent : « Pourquoi êtes-vous le seul à le dire ? »

On dit que Matignon vous trouve dérangeant...
J'ai envoyé mon livre au Premier ministre, avec cette dédicace : « A Lionel Jospin, en hommage à son travail et à son action, avec l'espoir qu'il sera celui qui démantèlera cette machine à trahir qui nous a tant coûté ».

Il vous a répondu ?
Non.

Comprenez-vous l'actuelle colère des juges ?
Non. Car les juges n'ont jamais été aussi bien traités et considérés que depuis 1997. Pensez qu'il y avait cette année-là, en France, le même nombre de juges que sous le Second Empire, en 1857, pour le double de population ! En quatre ans, des centaines de juges ont été recrutés. Six pôles financiers ont été créés. Je suis rapporteur d'une mission anti-blanchiment. Et chaque fois que le travail ou l'indépendance des juges ont été attaqués, comme cela a été le cas avec Mme Joly (Elf), M. Halphen (HLM de Paris), MM. Riberolles et Brisset-Foucauld (marchés des lycées d'Ile-de-France) ou encore M. Courroye (« Angolagate »), nous les avons invariablement soutenus.

Donc, les juges sont ingrats ?
Ils auraient mieux fait de se mettre en grève contre Jacques Toubon qui a abandonné la justice, et qui donnait des coups de trique aux juges les plus indociles.

Que vous inspire l'affaire Jean-Christophe Mitterrand, soupçonné de trafic d'armes avec l'Angola ?
L'« Angolagate » est le produit direct de ce fameux « domaine réservé » de l'Elysée, auquel François Mitterrand s'était rallié alors qu'il le combattait à juste titre dans l'opposition. Une diplomatie occulte, qui évolue sans aucun contrôle et dans laquelle fructifient népotisme et affairisme. Il est grand temps de refonder la République.

Jean-Christophe Mitterrand reproche au juge Courroye de « suer la haine »...
Comment reprocher à quelqu'un d'utiliser tous les moyens, y compris les plus déloyaux, pour se défendre ? Je préfère dire au juge Courroye qu'il ne doit pas se laisser détourner de sa route par de simples mots de justiciable. Il doit mettre au jour les infractions si elles existent, et les faire poursuivre.

Dans l'affaire des marchés truqués d'Ile-de-France, des socialistes semblent compromis presque autant que des RPR... ?
Si certains socialistes ont commis cette injure à notre cause consistant à passer des accords avec la droite pour se partager des commissions, qu'ils ne comptent pas sur moi pour avoir vis-à-vis d'eux un autre langage que celui que je tiens vis-à-vis de la droite affairiste.

Diriez-vous que la France de 2001 est très corrompue ?
Grâce à la politique de non-intervention d'Elisabeth Guigou, les affaires sortent parce qu'elles peuvent enfin suivre leur cours normal. Du coup, nous découvrons avec stupeur l'ampleur de la corruption. Les chiffres sont parlants. L'affaire Urba qui a précipité le PS en enfer en 1993, c'était 25 millions de francs d'argent illégal. L'affaire de l'Office des HLM de Paris, dirigé par Jacques Chirac puis Jean Tiberi, bref ce qui correspond à la cassette Méry, c'est 400 millions de francs. Le dossier des marchés des lycées d'Ile-de-France, c'est 600 millions de francs. Les emplois fictifs du RPR, c'est 40 millions de francs. Additionnez : en dix ans, cela fait un milliard d'argent détourné. J'ajoute que, pendant la même période, un tiers des présidents de conseils généraux et un quart des présidents de conseils régionaux ont fait l'objet de poursuites pour « malversations financières ».

On dit que votre ami Pierre Joxe pourrait très bientôt devenir membre du Conseil constitutionnel…
C'est un homme d'Etat. Il a toujours donné la priorité à l'intérêt général. Président de la Cour des comptes, il aura marqué cette institution par son volontarisme.

Comprenez-vous que Robert Badinter demande la grâce de Maurice Papon parce qu'il a 90 ans ?
J'admire l'œuvre de Robert Badinter. Cela dit, commis d'office, j'ai été l'avocat de Christian Didier, l'assassin de René Bousquet, qui fut le chef de la police de Vichy. Condamné à dix ans de réclusion criminelle, Didier en a fait sept, soit plus que Papon, Touvier et Bousquet réunis, tous les trois condamnés pour « crimes contre l'humanité ». La différence : eux ont été des hommes « protégés ». J'ajoute que M. Papon ne serait pas en prison à son âge s'il avait accepté plus tôt de répondre de ses actes. J'ai donc du mal à considérer comme une anomalie le fait qu'il soit aujourd'hui entre quatre murs.

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