Pour un socialisme de l'engagement
Congrès de Dijon - 17 mai 2003

Discours d' Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire
Tribune du Congrès de Dijon


 
Mes chers camarades,

comme nous tous ici, je repense aux années de militantisme et de parti qui nous unissent comme à une famille. Il y eut des espoirs fantastiques, des joies extraordinaires, des moments plus difficiles aussi, mais toujours le goût d’accomplir et de poursuivre l’œuvre et le combat engagés par d’autres depuis plus d’un siècle.

Il y a eu aussi cette funeste soirée du 21 avril 2002 dont nous avons tant peiné à trouver les mots, où les larmes de la colère, de la rage ont coulé. Nous avons compris tous, sans exception, ce soir là, que nous ne pouvions pas rester immobiles, que l’inaction, le silence sur nous-mêmes nous faisait dangereusement encourir la marginalisation progressive, politique et électorale. Ce soir-là, nous avons compris qu’il faudrait procéder à quelques révisions déchirantes, qu’il faudrait que les socialistes que nous sommes disent clairement ce qu’ils veulent, ce qu’ils peuvent face à cette économie mondialisée, nouvel âge du capitalisme, financièrement vorace, socialement destructrice, qui dispose désormais du champ libéré des contraintes patiemment bâties par des décennies de militantisme politique et syndical au sein des Etats-nations.

Nous entendons ces milliers d’électeurs répéter comme une rengaine : mais à quoi servent donc les urnes face au marché qui eux gouvernent désormais notre vie ? A quoi servez-vous donc ? Ces citoyens qui nous ont été familialement et historiquement fidèles, ouvriers, paysans, salariés du commerce, de l’industrie disent désormais douter de notre utilité.

Ils ont été 2,5 millions à nous quitter. Ils se sont réfugiés dans la grève du vote. 14 millions d’abstentionnistes, ils se saisissent des bulletins de vote extrémistes, antirépublicains, et nous disent aujourd’hui ne pas avoir perçu que nous ayons tiré les justes enseignements, et se disent prêts à recommencer.

En France, en Italie, en Belgique flamande, en Autriche, en Hollande, au Danemark, le populisme xénophobe, anti-européen enfonce partout nos positions, se nourrit des crises que nous avons le devoir d’affronter et de trancher. Ce sera pour nous le dur prix de la reconquête.

La crise sociale d’abord, longtemps larvée, maintenant ouverte. Nous avons été, chers camarades, soupçonnés d’avoir perdu toute capacité à défendre notre propre œuvre de protection sociale et à résister au mouvement européen de démantèlement des systèmes de solidarité.

Si les socialistes ne défendent pas clairement la retraite à 60 ans à taux plein, l’universalité de l’assurance maladie, en assumant la conviction qui est la leur, de l’utilité du prélèvement obligatoire, mais qui le fera ?

La question vient d’ailleurs d’être posée par nos camarades du SPD allemand à Gerhard Schröder. La question, souvenez-vous, a également été posée par les électeurs pendant la campagne présidentielle à Lionel Jospin après le fameux sommet européen de Barcelone.

Alors, exigeons le retrait pur et simple du projet Raffarin, et demandons l’ouverture de sérieuses et véritables négociations.

Qu’avons-nous à dire à ces hommes et ces femmes aujourd’hui humiliés par la précarité de leurs conditions de travail, par l’angoisse du lendemain, par la petitesse de leurs salaires, sans comparaison avec les revenus éclatants des actionnaires, sans secours syndical et administratif, seuls face à la cruauté nouvelle de rapports sociaux oppressants ? Et qu’avons-nous à proposer aujourd’hui à ces salariés dont l’usine délocalise vers l’Europe de l’Est ou le Sud-Est asiatique, si ce n’est le discours de l’impuissance et de la fatalité ?

Voici pourquoi nous avons voulu lier dans ce congrès la question sociale à celle de la résistance à la mondialisation libérale.

Et on ne peut se contenter, sur ce sujet, de collectionner quelques bonnes intentions auxquelles, je vous rassure, nous adhérons tous car, pour façonner une autre mondialisation, il faut s’y confronter et il faut dire comment nous voulons organiser la confrontation avec ce nouveau système économique sans frontières.

Comme les premiers socialistes qui luttèrent pour imposer les compromis au premier âge du capitalisme, nous voici dans l’obligation de les imiter sur une échelle plus vaste. Il faudra donc se préparer à vivre cette confrontation et à défendre devant l’opinion la nécessité politique de celle-ci.

Le choix d’instaurer par le rapport de forces des normes sociales minimales dans le commerce international, qui protègent l’homme, la femme et l’enfant au travail, leur reconnaissent des salaires minima et un droit syndical, le choix d’imposer des sanctions fiscales et douanières contre le dumping social et contre l’atteinte aux droits sociaux, est le moyen par lequel nous défendrons en l’universalisant notre modèle social lancé par Bill Clinton, soutenu par le mouvement alter mondialiste. Voilà une idée qui fera son chemin ici et ailleurs et finira par l’emporter.

La gauche française et nous-mêmes, après la crise sociale, voici la crise civique, devra affronter désormais dans les yeux cette crise civique sans précédent qui détruit jusqu’à l’idée même du politique dans notre pays.

5 millions de votants à l’extrême-droite, plus de la moitié du corps électoral votant pour des partis refusant la logique et le fonctionnement de cette République discréditée. Dans les partis d’esprit républicain, il ne reste plus que l’UMP pour croire que cette République a encore une base populaire. Et à vouloir gouverner en son sein, sans en faire la critique, la gauche s’est malheureusement discréditée elle-même par contagion.

Pourtant, l’amour immodéré que nous portons à la démocratie nous amène à toujours réexaminer l’outil qui concrétisera notre projet économique et social. Jean Jaurès disait : « La République, c’est l’humus du socialisme, le terreau fertile sur lequel on fera pousser nos graines. » Qui peut croire que cette République, fatiguée jusqu’à la nécrose, a quelque chose à voir avec une quelconque sorte d’humus du socialisme ? Elle en est la contradiction incarnée, elle en est l’obstacle démontré, et sa reconstruction doit être engagée.

Reprenons l’étendard des combats levés par Pierre Mendès France dans sa République moderne, par François Mitterrand, dont il faut rappeler que c’est autour de la critique radicale de ce système politique sur lequel nous vivons encore que le rassemblement des gauches s’est organisé à partir des années 60.

C’est ce choix stratégique qu’il nous faudra refaire pour, cette fois-ci, le mener au but et au bout. Nul ne nous pardonnerait en la matière le colmatage et le rechapage.

C’est donc, chers camarades, nous le disons franchement, vers la constituante qu’il nous faut marcher en défendant courageusement la constitution d’une nouvelle République, sixième du nom. Et je crois que nous saurons entraîner dans cette voie les autres Français car seul un socialisme régénéré dans l’exigence peut incarner la renaissance du contrat républicain qu’ils attendent.

Décidons dans ce congrès, chers camarades, de poser ensemble, ici à Dijon, la première pierre de la VIème République française.

Crise sociale, crise civique, crise d’identité nationale. Faut-il nier enfin que nous attend, sur notre futur chemin, une crise d’identité nationale qui couve ? Car ce que les Etats-nations européens ont démantelé et perdu de leurs instruments d’action politique, contre et sur le marché, sur le plan national, ils ne l’ont pas encore reconstitué sur le plan européen. Ce qu’ils ont perdu de puissance politique sur le plan étatique, ils ne l’ont pas encore conquis sur le plan supra national et européen. L’impuissance politique face à la toute-puissance de l’économie est aujourd’hui acquise dans toutes les têtes. Voilà l’action à renverser. Si nous y parvenons, nous serons écoutés, si nous y renonçons, nous risquons d’être balayés.

Regardons plutôt le spectacle actuel d’une construction européenne qui n’avance pas : pas d’Europe sociale, contrepoids entre les mains des hommes pour faire pièce à l’arrogance du marché, pas de gouvernement économique qui assurerait ne serait-ce que la croyance que l’Europe dispose d’une tête pour décider d’un destin commun, pas de démocratie qui permette de croire que cet éventuel gouvernement pourrait être celui des citoyens de toute l’Europe. Voilà la tendance à renverser.

Voici pourquoi, chers camarades, il est désormais devenu impératif de quitter, nous socialistes, la cohorte des Européens qui, depuis des années, masquent derrière la promesse de lendemains heureux, les abandons de souveraineté consentis au bénéfice du vide, sans projet économique, social, diplomatique, démocratiquement partagé.

Cela supposera désormais de marquer nos exigences, peut-être une nouvelle intransigeance à toutes les étapes, à chaque événement de la construction européenne sur les garanties démocratiques préalables qui font aujourd’hui défaut. Alors, il paraîtrait, et on nous dit que défendre la démocratie intégrale, organiser la confrontation avec les intérêts puissants du marché, refuser la mécanique de l’Europe libérale, ce serait du populisme. Eh bien non ! C’est du socialisme.

Croyez-vous que nous laisserons à l’extrême-droite le soin de défendre les petits, les sans-grade et les oubliés du système économique ? Croyez-vous que nous abandonnerons à l’extrême-droite la lutte contre la corruption ? Croyez-vous que nous ne serons pas aux avant-postes pour animer l’idéal républicain, le faire vivre, le réhabiliter en lui redonnant sa beauté perdue ?

Oui, c’est là notre socialisme. Nous défendons ici et désormais pour longtemps la voie nouvelle d’un socialisme de l’engagement. Ce socialisme refuse l’impasse de la radicalité révolutionnaire, qui renvoie à toujours à plus tard la promesse d’un bonheur impossible, mais il refuse l’autre impasse, celle du socialisme gestionnaire qui veut croire en l’illusion d’un réformisme tranquille et qui, craignant les conflits comme la peste, se réfugie derrière l’abstraction de l’intérêt général, fondant son action sur un technocratisme éclairé à la légitimité perdue.

Ce socialisme de l’engagement, mes chers camarades, reconnaît l’existence des confrontations qui traversent la société, et il choisit son camp. Il connaît la puissance des conservatismes qu’il doit affronter et entend s’appuyer sur les groupes sociaux qui l’aideront à bousculer l’ordre injuste du monde. Il défend également la culture, les symboles et les valeurs qui mettent en mouvement les citoyens dans la cité, qu’ils désireront, avec nous, reconstruire. Cela demandera courage, principes et exigence.

Nous savons que nous sommes désormais condamnés à être des combattants courageux, capables de redonner vie aux valeurs de notre magnifique histoire. Le poète Goethe avait tout dit de cet engagement que nous voulons, il disait : « Tant que nous ne nous engageons pas, le doute règne. La possibilité de se rétracter demeure et l’inefficacité prévaut toujours. Dès le moment où l’on s’engage pleinement, la Providence se met en marche. »

Mes chers camarades, si nous n’étions aussi laïcs, je dirais : mettons-nous en marche, la Providence sera avec nous.



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