Le gouvernement doit indemniser les victimes des violences urbaines


Point de vue signé par Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, cofondateur du Nouveau Parti socialiste, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 17 novembre 2005.
 
Plusieurs décès, des dizaines de personnes, habitants, policiers, pompiers, blessés, de nombreux bâtiments publics et privés incendiés, des centaines de travailleurs mis au chômage technique, et plus de 8 500 véhicules brûlés... Voilà d'ores et déjà le triste et lourd bilan humain et financier qui s'annonce. Qui va payer cette facture ?

Bien entendu la mise en cause des responsabilités individuelles, y compris sur un plan pénal, doit être recherchée. Mais, qui peut croire que cette démarche pourrait suffire ? En réalité, si la situation est telle, c'est que depuis plus de 30 ans nous avons laissé dériver ces territoires. La République y a renié ses enfants, leur refusant l'égalité et la fraternité. Nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, acceptent ce constat. Les responsables politiques dans leur grande majorité. Des syndicats de policiers. Des chefs d'entreprise. Et au premier chef, Dominique de Villepin, quand, en catastrophe, il revient sur l'étranglement financier des associations ou sur la suppression des emplois-jeunes. N'est-ce pas reconnaître que cette violence se nourrit du malaise social et avouer que la politique menée depuis 2002 n'a fait qu'amplifier ce phénomène ? N'est-ce pas reconnaître que l'État garant de l'ordre public et de la justice sociale s'est révélé incapable d'assumer sa fonction et que la politique gouvernementale n'a fait qu'attiser les tensions ?

Pourtant, le gouvernement refuse de tirer les conséquences de ses actes. Alors qu'il considère que la situation justifie une loi d'exception avec le recours à l'état d'urgence, il refuse de façon incroyable aux victimes le bénéfice de la solidarité nationale. Qu'elles soient simples habitants, entreprises, commerçants ou collectivités locales, toutes les victimes sont renvoyées vers leurs assurances ou les finances locales qu'alimentent les impôts payés par ces mêmes victimes.

L'Etat leur déclare qu'il n'est en rien comptable de leurs malheurs. Comme si, elles n'avaient pas à se trouver là. Il oublie que ce sont elles, souvent, malgré leurs difficultés mais aussi parce qu'elles y sont condamnées, qui, par leur présence, leur sens civique, leur tolérance, contribuent à rendre encore possible sur place un semblant de vie sociale. Aujourd'hui, le gouvernement refuse de voir sa responsabilité engagée, considérant que la loi de 1983 sur les attroupements, qui prévoit que « l'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultats commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens », ne s'appliquerait pas. Or, seule cette loi permet d'indemniser intégralement les victimes au-delà des franchises et multiples barrières que les compagnies d'assurances leur imposent. En outre, seule cette loi permet aux victimes mal ou pas assurés de se retourner vers l'État pour être pleinement indemnisées.C'est pourquoi, le refus du gouvernement de dire que cette loi s'applique est scandaleux. Après « l'État ne peut pas tout », voilà que l'État n'y est pour rien.

C'est une nouvelle injustice faite à ces territoires et à ceux qui y vivent ou les font vivre. Car, si la situation est telle c'est parce que, pendant des dizaines d'années, nous avons fermé les yeux sur une organisation de la vie sociale et démocratique qui a conduit à multiplier les tensions et les risques de situations potentiellement génératrices de dommages collectifs.

Qui peut croire désormais que l'absence ou l'inefficacité de l'intervention des politiques publiques ne contribue pas à augmenter les dommages ? Qui peut oser demander à des parents d'être porteur d'autorité alors que leur dignité a été laminée par des années de chômage ? Qui peut nier que l'impunité accordée à certains hommes politiques ne produit pas des effets désastreux sur une jeunesse sans repères ?

Comment aujourd'hui peut-on dénier le droit aux victimes à se tourner vers un État qui n'a pas voulu tirer les conclusions des messages que portait un ensemble d'indicateurs, ceux de l'Insee, ceux de l'ANPE, ceux de l'Éducation nationale, ceux de la Police nationale depuis le travail de Lucienne Bui-Trong sur les violences urbaines ?

Oui, en réalité, nous avons fait le choix depuis des années de laisser le pacte républicain se déliter. C'est pourquoi, le principe de responsabilité exige que nous en payions tous ensemble la facture. Nous ne pouvons demander à nos enfants d'être responsables, sans l'être nous-mêmes.

Si nous ne le faisons pas maintenant, pourquoi demain aurions-nous intérêt à changer de politique ? Le risque social est maintenant connu. Sachant, que si nous ne faisons rien, il deviendra demain insupportable, nous avons tous intérêt aujourd'hui à restaurer un pacte républicain et démocratique. Si au contraire, nous refusons de faire jouer la solidarité nationale, nous signifions aux victimes les plus exposées aux risques sociaux que nous nous moquons que leur prime d'assurance explose jusqu'à atteindre des niveaux insupportables, et que si, demain, les assureurs refusent de les assurer, ce n'est pas notre problème.

Cette solution est injustifiable. C'est pourquoi, je demande au gouvernement de déclarer sans délai que la loi du 7 janvier 1983 sur les attroupements s'applique afin que les victimes des violences urbaines soient toutes rapidement et intégralement indemnisées par l'État. C'est d'ailleurs la solution, que le Conseil d'État a retenu le 29 décembre 2000 pour les émeutes de Meaux de 1991 provoquées par la noyade dans la Marne d'un jeune qui était poursuivi par la police à la suite d'un vol de moto, sans que son maire, Jean-François Copé, actuel ministre du Budget et porte-parole du Gouvernement, n'y trouve à redire.

A défaut, il faudra que l'on explique comment et pourquoi le gouvernement ne peut pas verser 200 millions d'euros aux victimes alors que dans le même temps, il accorde un cadeau fiscal à 10 000 heureux contribuables redevables de l'ISF.

Nicolas Sarkozy, ministre du Budget, a vidé les caisses de l'État lorsqu'il était ministre des Finances de la République. Qui, aujourd'hui paiera le prix exorbitant de sa stratégie de tension qui au lieu de garantir la paix et la concorde a achevé de démontrer son irresponsabilité et la faillite de sa politique ?
© Copyright Le Figaro

Page précédente Haut de page



PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]