Piètre mercenaire

Arnaud Montebourg

Point de vue d'Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, secrétaire de la commission des lois, paru dans le quotidien Le Monde daté du mercredi 7 juin 2000


 
Si ma santé défaillante ne m'avait durablement affaibli, je crois que j'aurais, peut-être, fait convoquer Me Francis Szpiner avec ses témoins, sur le pré, à l'aube, après son écrit " L'affaire Montebourg " (Le Monde du 31 mai).

Passent les insultes auxquelles je suis désormais habitué, mais Me Szpiner aurait pu avoir l'honnêteté de rappeler qui il est avant de me jeter ses adjectifs désobligeants à la figure.

Car Me Szpiner, pour ceux qui ne le savent pas, est payé pour écrire sans honte ni vergogne ce qu'il écrit. Il est l'avocat d'Alain Juppé, secrétaire général du RPR, mis en examen dans la même affaire d'emplois fictifs que celle qui concerne le président de la République. Il émarge aux arrière-cuisines élyséennes du secrétaire général de l'Elysée qui a cru nécessaire de constituer dans le meilleur palais de la République une curieuse " cellule judiciaire " dont le travail consiste à surveiller comme le lait sur le feu les avancées progressives et en métastases des enquêtes judiciaires qui se rapprochent inévitablement de la présidence.

Me Szpiner est aussi l'auteur et l'inspirateur des multiples recours dilatoires et perdus d'avance dans la guérilla que les chefs du RPR mènent depuis bientôt dix ans à la petite dizaine de juges d'instruction qui enquêtent sur la Mairie de Paris.

Me Szpiner fut d'ailleurs l'avocat zélé et actif de François Ciolina, actuel témoin à charge contre le président de la République dans l'affaire des HLM de la Ville de Paris, et dont l'activisme consistait exclusivement à empêcher que son client de l'époque ne parlât un jour. Peine perdue.

Lorsque le Palais de justice de Paris s'interrogea sur les raisons subites et précoces de la nomination de Me Szpiner au rang de chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur sur contingent spécial du président de la République, il répondait à ceux qui l'interrogeaient : " J'ai rendu des services. " Ces services, les avait-il rendus à la France ou au justiciable Chirac Jacques ?

Voici donc un mercenaire en action. Il y en aura d'autres, comme il y en eut d'autres, dont j'ai décrit le travail avec précision dans un petit livre, sous-titré " Rapport sur le délabrement de nos institutions ", que Me Szpiner incrimine seulement aujourd'hui.

Il est exact que j'y ai dénoncé le comportement du Conseil constitutionnel, qui avait décerné une immunité pénale à l'actuel président de la République. Cette institution avait jeté le soupçon sur elle-même et par elle-même en soutenant son président, que la justice vient de déclarer coupable de malversations, et dont j'avais demandé avec rage et regrets, bien qu'il fût un ancien ministre socialiste, la démission afin de préserver la crédibilité de nos institutions républicaines.

Tout ce que j'ai affirmé dans ce livre a fait l'objet d'une enquête serrée de ma part à l'issue de laquelle j'avais accumulé des documents, des témoignages et des preuves. J'ai attendu, en vain, que l'on contestât ce que j'avais écrit, que l'on me fît un procès, que l'on engageât des poursuites, que l'on protestât.

Les mises en cause étaient sérieuses, les accusations précises, les faits circonstanciés. Mes preuves étaient au coffre. Mes avocats étaient prêts. Rien n'est venu. Silence. Pas un procès. Pas un seul, vous entendez ! Un silence coupable, suintant l'aveu. Car chacun savait et sait encore que ce livre contenait la malheureuse vérité d'une République en grave décomposition.

D'autres hauts magistrats dont j'avais bien pris soin de mesurer la mise en cause, le procureur général de la cour d'appel de Paris, M. Alexandre Benmaklouf, ou M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, eurent de curieuses réactions.

Le premier décida de lui-même de présenter sa démission de procureur général, aveu et reconnaissance de sa propre implication dans les affaires de la Ville de Paris, dont il avait été l'un des dirigeants, pour le compte de Michel Roussin et Jacques Chirac, justiciables contre lesquels il devait requérir en qualité de procureur. Quant au procureur général Burgelin que j'ai, à juste titre qualifié de " militant politique utilisant ses fonctions à des fins partisanes ", je n'ai reçu de lui qu'une lettre que la compassion m'a interdit de rendre publique. L'intéressé vient d'être remercié dernièrement par les insignes de commandeur dans l'ordre de la Légion d'honneur, des mains mêmes du président de la République qui salua son "indépendance totale".

Existe-t-il dans le monde une République digne de ce nom dans laquelle le plus haut magistrat de France, chargé ès qualités de porter l'accusation devant la Haute Cour de justice contre le président de la République, accepterait de recevoir une si haute distinction des mains mêmes du futur prévenu contre lequel il devra requérir ?

Le compliment public fait à " l'indépendance " supposée de ce magistrat trouve son démenti même dans la qualité scandaleuse de celui qui le lui adressait.

Voilà tout ce dont Me Szpiner ne parle pas et dont il ne parlera jamais, en piètre mercenaire qu'il est, payé pour intriguer et pour travestir. Comme lui, le procureur général Burgelin a probablement " rendu des services ". Le voici remercié des mêmes rouges attributs que Me Szpiner. Ce que je sais, moi, comme parlementaire amoureusement républicain, c'est que ni l'un ni l'autre n'ont rendu service à la France, et encore moins à la République.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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