Partenariat public-privé : danger



Point de vue signé par Arnaud Montebourg, député de la Saône-et-Loire, vice-président de la Commission des lois, cofondateur du courant Nouveau Parti socialiste (NPS).

Paru dans Libération daté du 21 juin 2004.


 
Un constat est désormais indiscutable : en 2003, avec un déficit public de 4,1 % du PIB et une dette dépassant pour la première fois 60 % du PIB, la France ne respecte pas ses engagements européens. Si, dans un tel contexte, le choix d'ériger la décrue de la pression fiscale devient le seul axiome de la politique économique, la conséquence mécanique en est l'abandon de toute politique en matière d'investissements publics.

Coincé entre la volonté du candidat Chirac de baisser la fiscalité et son souci de préserver la croissance sans accroître les déficits publics, sauf à s'écarter un peu plus du pacte de stabilité, le gouvernement Raffarin a fait appel aux ultralibéraux pour cuisiner en France les vieilles recettes mises en oeuvre dans les années 80 par Ronald Reagan et Margaret Thatcher et, aujourd'hui, reprises par nombre de gouvernements de droite, dont l'italien et le canadien, pour ne citer qu'eux. La solution est simple : faire financer par le privé l'investissement public, le secteur privé s'endettant à la place de la collectivité publique (1). Ce sont les partenariats public-privé (PPP). Etat et collectivités locales vont pouvoir s'endetter pour réaliser des prisons, des commissariats, des écoles, sans que cet endettement n'apparaisse dans leurs comptes. Autrement dit, les PPP ouvrent la voie, par le jeu des techniques de déconsolidation, au « hors-bilan » en comptabilité publique.

En termes de bonne gestion budgétaire et de politique économique, ce choix relève de l'ineptie.

Lorsque le secteur privé a recourt à l'emprunt en lieu et place du secteur public, le coût final de l'opération est toujours plus important. Deux raisons expliquent ce résultat. D'une part, l'Etat, comme les collectivités publiques, bénéficie d'un taux d'intérêt toujours inférieur à celui appliqué aux entreprises. D'autre part, le secteur privé est prêt à faire payer au prix fort sa participation à l'amélioration de la croissance en lieu et place de la collectivité publique en s'octroyant des marges bénéficiaires substantielles sur chaque projet.

Quant au secteur bancaire, son intérêt et son soutien aux PPP laissent songeur. Jusqu'alors, il expliquait la préférence des ménages pour l'épargne plutôt que la consommation par la dérive des dépenses publiques. Il apporte, aujourd'hui, sa caution à un tour de passe-passe comptable qui ruine un peu plus la confiance des ménages dans la sincérité des comptes de la nation. En réalité, il sait déjà, à travers le crédit à la consommation, que lorsque l'Etat compte sur lui pour financer la croissance par l'emprunt, l'opération lui procure une forte rentabilité sans risque sérieux. C'est pourquoi, peu importe que l'addition soit salée pour le contribuable, les banques savent que l'épargne de précaution des Français pourra être utilement mobilisée pour éponger la dette cachée résultant de la mise en oeuvre des PPP.

Conscientes des risques, deux instances communautaires, la Commission européenne et son office statistique, Eurostat, ont commencé à émettre des réserves. Dans un livre vert, elles énoncent que « le recours aux PPP ne saurait être présenté comme une solution miracle pour le secteur public faisant face à des contraintes budgétaires » et rappellent que les administrations publiques auront à consolider les engagements financiers issus des PPP dans leur compte.

Si une telle recommandation était appliquée, c'est une grande partie de l'intérêt à court terme des PPP qui disparaît. C'est pourquoi, il est fort probable que peu enclin à respecter les principes de lisibilité du budget, monsieur Raffarin renvoie une nouvelle fois dans leurs cordes les « technocrates bruxellois ».

Visiblement, peu importe que le coût final de l'équipement commandé par la personne publique se révèle plus dispendieux que s'il avait été financé de manière traditionnelle, car les contraintes européennes du pacte de stabilité seraient ainsi respectées : l'endettement public serait en apparence contenu.

La dynamique sera identique, voire amplifiée pour les collectivités locales. Comment pourrait-il en être autrement quand, au nom de la décentralisation, elles se voient transférer par l'Etat un nombre croissant de compétences sans marges financières. Le choix sera simple pour un exécutif local : soit assumer ces nouvelles compétences en augmentant la pression fiscale sur les ménages et les entreprises avec le risque d'être battu aux élections ; soit ne rien faire et subir la critique des usagers. Il ne faut pas être grand clerc pour voir que les élus locaux seront, parfois à leur corps défendant, les promoteurs des PPP, renouveaux des METP que la Région Ile-de-France a su exploiter en son temps jusqu'à ce que la justice en démontre publiquement le caractère opaque et « corrupteur ».

Il faut donc avoir conscience que chaque PPP représentera une bombe fiscale à retardement. Car, ce n'est que vingt-cinq ou trente ans plus tard qu'apparaîtra clairement la charge totale qui a été réellement supportée par les citoyens. Si cette critique doit être soulignée, elle ne résume pas, loin s'en faut, les dangers que représentent les PPP. Comme toujours, c'est dans le détail que se cache le diable. C'est pourquoi, deux autres risques doivent être montrés du doigt.

Le premier vient de connaître une illustration tragique. En offrant la possibilité de confier dans un même marché la conception, le financement, la construction et l'exploitation, les PPP vont permettre de revenir sur une règle intangible en matière de construction d'ouvrage public depuis 1985.

Cette règle est simple : celui qui conçoit l'ouvrage doit être indépendant de celui qui le réalise. Aujourd'hui, quand une collectivité publique réalise un bâtiment, elle mandate un architecte qui définit un projet chiffré. Ce n'est qu'une fois ce travail achevé, que les entreprises du BTP sont sélectionnées, l'architecte restant au côté de la collectivité pour garantir la bonne réalisation du projet et surveiller l'exécution des travaux. Dorénavant, avec les PPP, l'architecte ne sera plus nécessairement indépendant du constructeur, puisque la même entreprise pourra être retenue pour la phase de conception et de réalisation. Loin d'être anodine, cette nouvelle règle du jeu doit être dénoncée avec fermeté. Pour ceux qui voudraient passer outre, le drame du terminal de Roissy est là pour rappeler le bienfait de l'indépendance de la maîtrise d'oeuvre tant avec la maîtrise d'ouvrage qu'avec le constructeur.

Que ressort-il des premières explications données sur l'effondrement du terminal E2 ? Un rapport de la Cour des comptes publié en 2003 est exhumé qui s'inquiétait du fait que les aéroports de Paris cumulent toutes les casquettes : propriétaire, concepteur, bâtisseur. Là encore, comme en tout domaine, le cumul nuit à la clarté et à la définition des missions et des responsabilités. C'est au final fort probablement la qualité architecturale qui a été sacrifiée avant que des victimes humaines le soient à leur tour. A minima pour elles, faute d'abandonner son funeste projet, le gouvernement serait bien inspiré de revoir sa copie.

Le second provient de l'idéologie qui sous-tend les PPP. En fait, les ultralibéraux ont imaginé ce moyen pour faire progresser leurs idées : dépecer la fonction publique et privatiser un peu plus le secteur public, y compris dans des domaines relevant directement de la souveraineté nationale.

En effet, le contrat global qui caractérise le PPP peut porter sur la conception, le financement, mais aussi l'exploitation ou la maintenance. Ces deux derniers termes englobent la mission de milliers de fonctionnaires. Le débat n'est donc pas mince. Dans les établissements scolaires, la maintenance est assurée par les personnels ouvriers et de service, les fameux 95 000 TOS dont personne ne veut recevoir le transfert dans le cadre de la décentralisation. Avec les PPP, le problème sera résolu puisqu'ils ont vocation à disparaître en tant que fonctionnaires. L'entreprise privée candidate aux PPP devra normalement assurer le service qu'ils rendent aujourd'hui. Ne doutons pas qu'une fois le contrat obtenu, l'heureux candidat trouvera dans ce poste budgétaire le premier moyen pour accroître sa marge de profit au détriment de la qualité du service public et des conditions de travail des hommes et des femmes qui, aujourd'hui, assument ces missions.

Mais l'enjeu va bien au-delà car les PPP ont vocation à être déclinés dans toutes les activités de l'Etat, y compris la défense nationale. C'est ainsi qu'il est prévu de recourir aux PPP pour doter la Marine nationale, dans le cadre de la loi de programmation militaire 2003-2008 non financée, de frégates multimissions. Dès lors, on peut raisonnablement imaginer que le personnel embarqué chargé d'assurer la maintenance du navire soit du personnel privé. Là encore, c'est l'actualité qui nous permet d'appréhender la dérive que représentent les PPP. Il suffit de regarder ce qui se déroule en Irak où tout laisse à penser que ce sont des salariés de groupes privés fournisseurs du Pentagone qui sont impliqués dans les sévices et les humiliations infligés aux prisonniers. Cantonnées dans un premier temps à fournir la logistique, des entreprises privées assurent aujourd'hui le fonctionnement de l'armée américaine. C'est là le résultat de la politique d'externalisation des services publics commencée par monsieur Reagan et poursuivie par monsieur Bush. Une telle dérive est-elle possible dans notre démocratie ? Il ne faut pas l'exclure. En novembre 2003, le Conseil constitutionnel n'a-t-il pas accepté, sans rien y trouver à redire, que l'Etat confie des missions jusqu'alors effectuées par les forces de police, à savoir le transport d'étrangers retenus dans les centres de rétention, à des agents armés de sécurité privée ?

Pourquoi, demain, dans le cadre des PPP ne pas accepter de transférer au privé une part importante des missions liées au caractère opérationnel des forces armées ? Manifestement, ce n'est pas le Conseil constitutionnel qui s'y opposera ! Faute de faire reculer le présent gouvernement, il faut savoir que ces contrats, eu égard à leur durée, lieront les gouvernements futurs quelle que soit leur couleur politique. Peut-on, une fois de plus, engager l'avenir de nos enfants, dans le seul intérêt de notre petit confort fiscal du moment ? La question mérite d'être débattue autrement qu'à travers une ordonnance prise sur la base d'une loi d'habilitation fourre-tout et rédigée dans les alcôves ministérielles, bien à l'abri de la représentation nationale. Il devrait pourtant en aller ainsi dans les régimes démocratiques.

(1) Au Conseil des ministres du 16 juin a été présentée une ordonnance sur les contrats de partenariat entre le secteur public et les entreprises privées prise en application de l'article 6 de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit. Elle institue des contrats de partenariat qui sont, aux côtés des marchés publics et des délégations de service public, une nouvelle forme d'association de l'entreprise privée aux investissements et à l'exploitation d'équipements ou de services publics.
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