Le retour de Jospin, c'est un passeport pour le désespoir



Entretien avec Arnaud Montebourg, député de la Saône-et-Loire, paru dans Libération daté du 29 avril 2005
Propos recueillis par Renaud Dely


 

La gauche a-t-elle besoin de Jospin ?
Après la collision du 21 avril 2002, la seule question qui intéresse les socialistes, c'est de comprendre les causes de cet échec. Et de faire en sorte qu'elles ne se renouvellent pas. Or aucune analyse rétrospective ni aucune réflexion sérieuse n'ont été engagées. Résultat, comme l'illustre la montée du non, les partis de gouvernement qui ont mis la tête dans le sable depuis trois ans sont en passe d'être de nouveau sanctionnés.

Vous réclamez donc un « droit d'inventaire du jospinisme » ?
Ce n'est pas un droit, c'est un devoir. Lorsqu'on mène un parti de gouvernement au score traumatisant de 16 %, on ne peut pas se contenter de dénoncer la « frivolité » des électeurs ou d'afficher son autosatisfaction sur son bilan. De graves erreurs ont conduit à la perte de confiance des classes populaires envers la gauche. Elles résident d'abord dans l'incapacité à répondre à deux questions : la question sociale dans un système économique ultramondialisé, et la question démocratique dans un système institutionnel déliquescent. Plusieurs choix l'ont illustré : l'inversion du calendrier électoral de 2002 qui a augmenté l'autoritarisme du régime, le refus de faire traduire Jacques Chirac en Haute Cour au mépris de l'Etat de droit, ou encore la réponse aux ouvriers de Lu ou de Michelin, qui théorisait l'impuissance du politique. J'ajoute que son gouvernement a signé deux directives mettant en concurrence les services postaux (l'une le 15 décembre 1997, l'autre le 10 juin 2002) qui nous mettent en difficulté pour défendre nos services publics. Je n'ai pas entendu que les socialistes aient changé d'orientation sur ces sujets. Notamment, parce que le vide créé par le départ de Jospin a empêché toute confrontation avec ses responsabilités. Il est temps de s'y mettre puisque tout indique aujourd'hui qu'il s'agissait d'un faux départ.

Si Lionel Jospin réapparaît, est-ce parce que ses héritiers ont failli ?
Depuis trois ans, le parti ne s'est pas renouvelé et un grand nombre de ses dirigeants qui étaient tous associés aux choix du gouvernement Jospin se disputent le leadership. Ceux qui ont pris les rênes en 2002 nous ont mis dans une situation telle que nous n'aurions pas d'autre choix qu'un retour en arrière en nous jetant dans les bras de Jospin. C'est une situation terrible. Pensons aux militants qui ont pris leur carte après le 21 avril 2002 en pensant qu'il fallait changer nos choix politiques : pour eux, le retour de Lionel Jospin, c'est un passeport pour le désespoir.

L'Europe, elle, a-t-elle besoin du oui de Jospin ?
Il n'appartient pas à la génération des bâtisseurs, celle des Mitterrand ou Delors. Il n'est pas non plus un refondateur. Il apparaît comme résigné comme l'a montré son « non au non » à Maastricht, en 1992, ou son acceptation du traité d'Amsterdam en 1997. Son oui au traité est donc un oui résigné. Notre génération a besoin d'hommes et de femmes politiques qui se battent pour réorienter la construction européenne dans un sens plus social et plus démocratique. Encore un chantier que le gouvernement Jospin n'avait pas ouvert alors que 11 des 15 gouvernements européens étaient sociaux-démocrates.

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