Le PS ne voit pas le piège dans lequel il va tomber



Entretien avec Arnaud Montebourg, député de la Saône-et-Loire, cofondateur du courant Nouveau Parti socialiste (NPS) paru dans Le Monde daté du 25 novembre 2003
Propos recueillis par Clarisse Fabre


 

Pourquoi vous abstiendrez-vous sur le projet de ratification de l'adhésion de nouveaux pays à l'Union européenne ?
On ne peut pas être contre l'élargissement. C'est une obligation morale, historique et politique de procéder à la réunification de l'Europe avec les pays qui ont souffert du stalinisme. Nous sommes favorables à l'élargissement, mais pas dans de telles conditions. La procédure parlementaire que l'on nous propose est particulièrement malhonnête, à l'image de son inspirateur : Jacques Chirac. Elle consiste à voter sur l'élargissement avant de savoir comment la future Europe élargie sera gouvernée. C'est une inversion scandaleuse du calendrier ! Je dirai "oui" à l'élargissement quand nous saurons comment travailler avec les dix pays supplémentaires. C'est le minimum d'honnêteté que nous puissions avoir vis-à-vis de nos électeurs. Ce que nous aurions exigé de nous-mêmes si nous avions été au pouvoir, pourquoi ne pourrions-nous pas l'exiger du président Chirac ?

Quelles seront les conséquences de l'élargissement ?
L'élargissement non régulé va accroître la concurrence sociale entre les pays membres et les "entrants", et accélérer les délocalisations, y compris dans le secteur des services à forte valeur ajoutée. De plus, comme l'élargissement se fait à budget constant, ce sont les régions les plus pauvres qui vont payer la solidarité à l'égard des pays entrants. Je ne veux pas prêter main-forte à M. Chirac pour ce projet inégalitaire. D'autant que la Constitution européenne ne permettra pas de régler les problèmes aggravés par l'élargissement. Le dumping fiscal et social va augmenter de façon exponentielle avec l'entrée de pays à bas salaires et de paradis fiscaux (Chypre et Malte). N'oublions pas que la Constitution européenne donnerait à ces pays le veto sur toute harmonisation fiscale et sociale.

Quelle alternative proposez-vous ?
Il faut revenir à la pensée des pères fondateurs : approfondir l'Europe démocratique en réformant ses institutions avant de l'élargir. Faute de quoi on précipitera l'Europe dans une zone de libre-échange - la victoire posthume de Margaret Thatcher... Les socialistes ne voient pas le piège dans lequel ils sont en train de tomber. Après l'élargissement, la pensée dominante du PS et de l'UMP nous expliquera, une fois encore, qu'il faut approuver une Constitution européenne qui organise le moindre mal... Plus grave, nous savons que les Etats-nations ont perdu leurs leviers d'action sur l'économie mondialisée. A la place, rien n'a été reconstruit à l'échelle supranationale et européenne.

Un vide politique s'est installé, que les électeurs traduisent comme l'impuissance à agir contre la violence du marché. Ils sont alors tentés de se tourner vers les extrémismes et les populismes. Voilà pourquoi l'Européen fervent que je suis n'est plus naïf. Si l'Europe ne se fait pas aimer davantage des citoyens, ils se vengeront dans les urnes, car il se prépare un deuxième " 21 avril ". Contre la droite d'abord, car M. Chirac n'a été élu que par une opération d'escroquerie électorale le 5 mai 2002, par laquelle il impose une politique antisociale ; contre la gauche, ensuite, puisque sa principale force, le PS, n'a tiré aucune leçon de son funeste échec de l'an passé.

En vous abstenant, vous marquez votre défiance à l'égard de la direction du PS. Vous risquez aussi une sanction...
Le congrès de Dijon a agi comme un éteignoir en diabolisant ceux qui incarnent l'avenir et la rénovation. Depuis, les écuries présidentielles se sont remises en marche. Le marketing politique de Dominique Strauss-Kahn et de Laurent Fabius est aussi dérisoire que le désespoir de nos concitoyens est croissant face à la politique. Quant à François Hollande, il porte la responsabilité de ce retour du combat des chefs. Mon abstention ne marque pas une fronde des minorités contre la majorité ; c'est un vote, en conscience personnelle, qui a une signification politique collective. Le blâme que je recevrai de François Hollande, je le ferai encadrer et je le montrerai non sans fierté à mes électeurs...

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