En route
vers la VIe République

Arnaud Montebourg
par Arnaud Montebourg,
député de Saône-et-Loire
secrétaire de la commission des lois


Seule une nouvelle constitution pourrait permettre aux Français de retrouver la confiance civique perdue. C'est dans l'esprit de l'augmentation de la responsabilité citoyenne qu'il nous faut travailler d'arrache-pied. Il nous revient de bâtir un nouveau pouvoir exécutif.


 Point de vue paru dans le quotidien Libération daté du 29 janvier 2002



 
La Ve République se meurt, chaque jour un peu davantage. Les symptômes de l'interminable agonie se signalent à chaque scrutin par le refus, de plus en plus visible, de plus en plus provoquant, des citoyens d'aller aux urnes. La grève du vote paraît curieusement devenue le seul moyen de se faire entendre d'une classe dirigeante autiste et institutionnellement repliée sur elle-même.

«Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer, de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations suivantes», proclamait le préambule de la Constitution de l'an I. J'appartiens à cette génération qui ne supporte plus cette République déliquescente. Nombreux sont ceux de tous âges, de toutes classes sociales, de toutes formations, de toutes origines géographiques qui ont décidé de s'engager dans ce grand ouvrage. Car lorsque la politique disparaît à raison du dégoût qu'injustement elle provoque, ce sont tous les citoyens qui, voulant exercer passionnément leur souveraineté, ne peuvent que plier l'échine devant des forces économiques ou financières que plus rien n'arrête.

C'est un discrédit similaire qui frappa, il y a près de quarante-cinq ans, la IVe République: perte de confiance exaspérée dans le système politique. La révolte était dirigée contre l'impuissance des institutions politiques à résoudre les graves questions de l'époque. La maladie d'aujourd'hui est dans la difficulté pour les citoyens de se reconnaître dans des décisions prises en leur nom. Une rupture est donc inévitable vers une République nouvelle. Un nouveau contrat passé entre tous les Français et leur classe dirigeante. Une nouvelle République pour retrouver la confiance civique perdue. Et seuls les grands moyens auront raison de cet impossible redressement.

Un droit d'initiative législative doit être reconnu aux citoyens au plan national: sur la foi d'une pétition nationale ­ invention de la Révolution française ­ les citoyens pourront faire inscrire à l'ordre du jour du Parlement le vote d'une loi. Des référendums d'initiative locale pourront être provoqués par des citoyens habitant les collectivités locales concernées. Les étrangers résidant de façon régulière sur le territoire national, qui payent des impôts locaux, devront être admis à participer aux scrutins locaux et à se faire élire.

Les droits de l'opposition devront aussi être renforcés dans les assemblées délibérantes locales afin d'améliorer la démocratie. Les conseils généraux, collectivités locales opaques et incontrôlables, pourront être supprimés. Leurs compétences seront progressivement rattachées aux régions, au pays et aux agglomérations. La question de la création de parlements régionaux devra être enfin abordée et tranchée.

La VIe République devra surtout renforcer les pouvoirs des représentants élus de la nation. Ce renforcement ne peut avoir d'effet que dans le cadre d'un strict mandat unique, dont le député ou sénateur assurerait avec un dévouement entier les charges renouvelées de sa fonction. Augmentation des pouvoirs des commissions d'enquête parlementaires aujourd'hui trop limités. Capacité d'enquêter pour les parlementaires dans les administrations pour la bonne application des lois votées. Augmentation des mécanismes de contrôle sur les décisions européennes prises par le gouvernement, consultation obligatoire préalable du Parlement en cas d'envoi de troupes à l'étranger dans le cadre des opérations de guerre ou de maintien de la paix. Mise à la disposition du Parlement de la Cour des comptes afin de disposer d'une capacité d'expertise sur l'utilisation de l'argent public et sur la présentation par Bercy des lois de finances. Ce serait là le moyen de s'assurer de la sincérité des prévisions budgétaires et économiques. La présidence de la Commission des finances reviendra de droit à un député de l'opposition comme en Angleterre. Enfin, il sera nécessaire de limiter le nombre de mandats dans le temps afin, aux côtés d'un statut solide de l'élu, d'encourager le renouvellement permanent de représentants politiques. Impossible aussi de ne pas enfin contraindre à la démission tout haut fonctionnaire engagé dans des fonctions parlementaires ou ministérielles.

Le mode de désignation des sénateurs devra être profondément transformé. Leur élection pour cinq années au suffrage universel au scrutin proportionnel intégral dans un cadre régional, permettrait aux opinions minoritaires de s'exprimer et de peser sur la décision politique ainsi que rendre enfin possible la représentation des régions et des spécificités régionales. Le Sénat deviendrait dans cette République nouvelle le poumon d'une démocratie pluraliste.

La VIe République permettra également aux citoyens d'avoir un droit de regard sur leur justice ou leur administration. Il faut régler le problème des privilèges administratifs. Et donner aux citoyens la possibilité de saisir une Cour constitutionnelle qui n'existe pas aujourd'hui. Cette réforme implique l'abolition du Conseil constitutionnel dans sa forme actuelle et la désignation de ses membres par le Parlement dans des conditions de majorité qualifiée assurant une nouvelle légitimité à cette dangereuse institution.

Il est également nécessaire d'instaurer un contrôle des députés élus de la nation sur les procureurs, car ceux-ci mènent des politiques pénales sans en rendre compte. S'il est nécessaire d'assurer leur indépendance, leur politique doit être évaluée avec le législateur qui donne chaque année les moyens budgétaires et législatifs de l'action des parquets. Enfin, les citoyens devront entrer plus qu'aujourd'hui dans les formations de jugement, à travers la généralisation progressive de l'échevinage comme dans les cours d'assises, et devront pouvoir saisir de tout dysfonctionnement l'autorité disciplinaire chargée de contrôler les magistrats comme cela existe aujourd'hui à l'égard de l'administration par la saisine du médiateur de la République.

C'est dans l'esprit de l'augmentation de la responsabilité citoyenne qu'il nous faut travailler d'arrache-pied. Après avoir reconstruit le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire, il nous revient de bâtir un nouveau pouvoir exécutif. Le seul moyen d'augmenter le contrôle d'un gouvernement et des décisions qu'il prend, est d'accroître les pouvoirs de contrôle du Parlement.

Une République nouvelle ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de chef capable d'entraîner la nation tout entière derrière lui, mais ce chef doit être beaucoup plus responsable, c'est-à-dire contrôlable, devant rendre à chaque instant des comptes comme tel est le cas d'ailleurs des démocraties européennes. Voici pourquoi la totalité des pouvoirs de gouvernement, aujourd'hui entre les mains du Président, devra être transférée au chef du gouvernement, le Premier ministre, dont les prérogatives ne peuvent s'exercer que sous le contrôle permanent de l'opposition et de la majorité parlementaires.

Il reste à savoir, dès lors, ce qu'on fera du président de la République. Aujourd'hui ce Président est une sorte de monarque qui prend les décisions dans sa conscience d'homme seul. Le président Georges Pompidou engagea secrètement une politique de construction de centrales nucléaires sans que jamais la population fût consultée. Le président François Mitterrand supprima le contrôle des changes et engagea le pays dans la mondialisation par des accords diplomatiques avec son ami Helmut Kohl, sans que le Parlement eût le temps d'en délibérer. Le président Chirac rétablit de sa propre initiative, sans aucune délibération avec le Parlement, les essais nucléaires au mépris de la signature de notre pays. Ces décisions si graves de conséquence, ne pourront plus être prises que par un Premier ministre qui répondra de ses actes à chaque instant devant le Parlement. C'est après tout ce que vivent au quotidien les gouvernements de messieurs Blair, Schröder, Aznar ou Berlusconi.

Est-il, dès lors, nécessaire de demander à 35 millions de personnes d'élire un président qui ne sera plus un capitaine d'équipe, mais un simple arbitre, veillant à l'équilibre des pouvoirs car dépossédé de la possibilité de gouverner. Cela reste possible puisqu'au Portugal et en Autriche, le président de la République est élu au suffrage universel, sans disposer de pouvoir de gouvernement. Mais il s'agit-là de pays dont l'étendue géographique est réduite. Dans un grand pays comme le nôtre, l'élection d'un seul homme au suffrage universel direct mène à une campagne électorale gigantesque, dont le financement est incontrôlable. Les excès des Etats-Unis d'Amérique où les entreprises privées achètent le futur vainqueur de l'élection présidentielle et la multiplication des affaires judiciaires à la française qui attestent l'implication quasi permanente des plus hauts dirigeants politiques dans les besoins de financement occultes, le montrent. Car cela coûte cher d'élire un président de la République. Environ un milliard de francs d'argent public officiel. Mais également un demi-milliard d'argent officieux, occulte et tiré d'infractions pénales. Les problèmes de financement de campagne présidentielle ont commencé avec l'assassinat du prince de Broglie, trésorier de la campagne du président Giscard d'Estaing en 1976. Ils se sont poursuivis avec l'affaire Urba, qui mettait en cause le financement de la campagne du président Mitterrand. La présidence Chirac aura été secouée par l'implication de l'ancien maire de Paris en de trop nombreux dossiers, qui dessinent à la tête de l'Etat un affairiste délictueux.

Vingt ans de descente aux enfers et de dégoût de nos concitoyens. Cela vaut-il la peine de maintenir cette élection dont l'extraordinaire personnalisation conduit à préférer les concours de beauté entre candidats, plutôt que les orientations politiques pour l'avenir de notre pays ?

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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