Éric
BESSON


Jérôme
CAHUZAC


Christophe
CARESCHE


Jean-Jacques
DENIS


Laurence
DUMONT


Alain
FABRE-PUJOL


Gaëtan
GORCE


François
LAMY


Bruno
LE ROUX


Arnaud
MONTEBOURG


Philippe
NAUCHE


Christian
PAUL


Vincent
PEILLON


Germinal
PEIRO


Marisol
TOURAINE


André
VALLINI


Philippe
VUILQUE


Une rénovation
«aussi souhaitable qu'inéluctable»


Un texte rédigé par de jeunes députés socialistes, militants de la modernisation de la vie politique.

Texte paru dans le journal Libération daté du 24 septembre 1998


Vème République : une commémoration critique

La Vème République est née contre la gauche il y a quarante ans. Les socialistes et François Mitterrand, après 1981, ont accepté cet édifice constitutionnel sans en retoucher les caractères essentiels. Tout au plus peut-on, et c'est le cas aujourd'hui, gouverner autrement, et faire un meilleur usage des règles du jeu sans les changer.
Ce consensus institutionnel à la Française ne fut pas sans mérites  : assurant la stabilité, la Vème a permis des alternances sans crise majeure et procuré aux gouvernements la durée, atout précieux en politique.
Quarante ans après, le temps est venu de dessiner une République nouvelle. Débat essentiel que les exigences de la cohabitation ne sauraient occulter ; débat urgent, nécessaire et tonique car le cadre est devenu poussiéreux, épouse mal les rythmes d'un pays qui bouge et bride l'esprit de réforme.
Cet anniversaire appelle, à notre sens, une commémoration résolument critique.
Il est devenu indispensable de refonder un "socle de confiance" entre les Français et leurs institutions. A défaut, la crise de la représentation politique aboutira non pas à la consécration d'une démocratie d'opinion mais au triomphe d'une profonde et irréversible régression civique.

Pour y parvenir, plus qu'à un " grand soir " constitutionnel, c'est à une réforme authentique que nous invitons, et c'est un nouveau dessein républicain que nous soumettons au débat public. Les constituants de 1958 éprouvaient le besoin d'un parlementarisme rationalisé. Quarante ans plus tard, les citoyens expriment au moins quatre attentes à l'égard des institutions politiques : la proximité, l'efficacité, l'autorité et la transparence.
Répondre à ces attentes n'est possible que par la recherche d'un nouvel équilibre des pouvoirs.
Le réveil du Parlement est la première exigence. Alors que sa fonction prioritaire est devenue la légitimation des gouvernements, le Parlement doit disposer de l'initiative partagée de la loi et des moyens de contrôler vraiment l'action de l'exécutif.
Aujourd'hui, le Parlement vote la loi mais ne la fait pas. Demain, partageant la maîtrise de l'ordre du jour, l'Assemblée nationale devrait disposer pour moitié au minimum de l'initiative de proposer les réformes. Quand les parlementaires de gauche font les lois, celles-ci prennent en compte directement les difficultés et les évolutions de la société. Ce fut le cas avec la loi sur les chômeurs ayant cotisé 40 annuités, qui réparait une injustice flagrante, ou celle sur la réglementation des armes, qui prenait en compte des dérives tragiques. C'est le cas aujourd'hui avec le PACS, sept ans après les premières propositions faites par les députés.
Le contrôle parlementaire réclame que l'on utilise mieux les outils existants qui ne sont pas minces, comme l'ont démontré récemment plusieurs commissions d'enquête, utilisant leurs pouvoirs d'investigation dans des domaines sensibles tels que la Corse ou les tribunaux de commerce. Dotées de quelques moyens supplémentaires, enfin affranchies du secret bancaire ou du secret-défense, clairement mandatées pour suivre l'application de leurs préconisations, ces commissions d'enquête devraient devenir un mode normal, et non plus exceptionnel, de l'exercice du contrôle démocratique.
Apanage de l'exécutif, le vote du budget de la France et, depuis peu, celui de la sécurité sociale sont en fait la mise en scène parlementaire de scénarii écrits à Bercy. A chaque rentrée, le débat budgétaire est un rituel d'humiliation du Parlement. Cette situation est exécrable car elle forge l'isolement arrogant dans lequel finissaient toujours jusqu'ici par s'enfermer les exécutifs de la Vème République. Afin d'établir correctement un autre équilibre des pouvoirs, nous proposons l'aménagement du fameux article 40, qui interdit aux parlementaires de compenser de nouvelles dépenses par des économies identifiées, bref de faire des choix. Cette possibilité doit être réhabilitée.
Enfin, la fonction parlementaire est poussée à évoluer sous l'effet de la limitation du cumul des mandats, élément central de la rénovation en cours de la vie publique dans notre pays. Cette réforme à l'impact institutionnel évident aura - après son adoption que nous voulons placer à l'actif de la gauche - un effet régénérant sur la pratique du Parlement. On voit bien aujourd'hui que des résistances se font jour. Pour les socialistes que nous sommes, cet engagement pris devant les Français doit être tenu au même titre que les autres. La seconde lecture de ce texte à l'Assemblée nationale, après le travail d'obstruction systématique du Sénat, sera l'occasion d'un débat sans masques.


Quant au Sénat, nous considérons que le Premier Ministre a eu raison de soutenir qu'il est, dans sa configuration actuelle, " une anomalie " en système démocratique. Le Sénat, rappelé à son métier de base - la représentation des collectivités locales -, puiserait dans ce rôle la garantie de sa légitimité et de sa pérennité. Ne votant la loi que lorsqu'elle produit des conséquences concrètes pour les échelons d'administration territoriale, il perdrait en apparences, mais gagnerait tellement en pertinence. Dans l'immédiat, le mode d'élection des sénateurs devrait être revu, afin que soit assurée la prise en compte de la France réelle par la deuxième chambre.
La modernisation de notre République ne s'arrête à l'évidence pas là. L'image du Président-citoyen évoque bien notre vision du Chef de l'Etat parce qu'elle est moderne et dépouille la fonction présidentielle des tentations monarchiques qui la guettent à chaque pas. Le caractère inadapté du septennat devient encore plus criant depuis la dissolution manquée de 1997. L'opinion publique, à 70%, plébiscite d'ailleurs le quinquennat. Cinq ans, ça suffit.
La réforme annoncée de la justice est également un des enjeux essentiels. En mettant en cause des responsables politiques, la multiplication des affaires de corruption a fait à nouveau de l'institution judiciaire le moteur, mais aussi la victime, d'une controverse qui renvoie à la peur ancienne du "gouvernement des juges". Par un raccourci facile, les progrès de l'indépendance des magistrats du parquet sont assimilés à l'émergence d'une "société judiciaire".
Alors qu'il s'agit ni plus ni moins de libérer les juges d'inadmissibles pressions politiques, il va de soi que les mécanismes précis de leur responsabilité sont à imaginer, comme il convient, en laissant au Garde des Sceaux quelques prérogatives essentielles, de ne pas désarmer l'Etat.
On l'aura compris, pour nous, la République n'est pas une figure immobile. Au contraire, elle est un combat, un mouvement, une conquête permanente. Notre pays souffre d'une double crise : économique et sociale d'abord, mais crise politique aussi. S'il convient de s'attaquer directement aux causes profondes de la crise économique et sociale par une politique de création d'emplois, de réduction des inégalités et de lutte contre les exclusions, nous sommes convaincus que le chantier démocratique est tout aussi important car c'est bien le conservatisme institutionnel d'une République conçue par la droite, et pour elle, qui a contribué à nourrir la fracture sociale et l'écart entre les gouvernants et les gouvernés, entre les citoyens et ceux qui les représentent.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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