Pour une VIe République !

Arnaud Montebourg

par Arnaud Montebourg, député PS de Saône-et-Loire depuis 1997.
Tribune parue dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, n°1982 (jeudi 31 octobre 2002).


 
Après les graves secousses du 21 avril et l’effondrement de nos certitudes, la question démocratique apparaît au premier plan : 14 millions d’abstentionnistes, 6 millions d’électeurs dans les bras de l’extrême-droite. Combien sont-ils encore à faire confiance à ce régime discrédité, sans délibération, où la responsabilité politique est absente à tous les étages, où la décision technocratique a remplacé le débat, où l’enfermement fatal des dirigeants est dépeint sous le terme psychiatrique d’« autisme », où la démocratie locale est devenue féodale, où la justice croupion et sinistrée a progressivement laissé l’abus tenir lieu de loi…

Et la gauche n’a, semble-t-il, pas encore compris qu’à gouverner dans un système discrédité qu’elle a cessé de combattre, elle se discrédite elle-même, par contagion. Et les efforts de son meilleur honnête homme, Lionel Jospin, n’y ont rien fait. La crise de régime est donc là. Mais les autruches de la classe dirigeante tendent leur long cou pour l’enfouir sous le sable de leurs certitudes. Et au sommet, le PS, le mien, le nôtre, celui que nous voulons éperdument transformer, refuse de regarder en face cette réalité dangereuse qui saute aux yeux. Redonner l’espérance à ceux qui ont perdu confiance et ne se reconnaissent plus dans les pouvoirs exercés en leur nom, voilà la mission historique de la gauche. Il nous faut refonder la République, maison commune où chacun doit se retrouver, et reconquérir les 20 millions d’électeurs perdus. Si la gauche ne s’en charge pas, l’extrême-droite finira par imposer, sous des habits révolutionnaires, ses régressions, sa violence politique et son ordre.

Nul ne pourra donc éviter de revisiter l’exercice de tous les pouvoirs avec le souci démocratique d’imposer un principe de responsabilité aujourd’hui absent. A cet égard, la question du président est cruciale. Elu au suffrage universel direct et ne connaissant ni contre-pouvoir ni contrôle, placé dans une situation d’irresponsabilité totale s’agissant de ses décisions politiques, le président peut trahir en toute impunité le lendemain ce qu’il vous a affirmé la veille. Et nul n’y peut rien : nominations discrétionnaires et incontrôlées, diplomatie et défense dans un domaine réservé quasi privatif ; aucune décision de nature domestique ne peut faire l’objet de résistance.
Le gouvernement obéissant à la volonté divine du monarque oint du saint chrême du suffrage universel fait plier le Parlement, et les députés réfractaires sont mis au pas. Quant au Conseil constitutionnel, dernier lieu à fixer les limites, sa composition est maîtrisée par ceux qu’il devrait contrôler.

De cette irresponsabilité présidentielle, sur laquelle se calque celle du système politique, viennent toutes nos dérives : symptôme de la « démocratie inachevée » (1), elle installe le soupçon sur la représentation politique. Voici pourquoi notre tâche prioritaire dans la construction d’une VIe République pourrait se résumer à organiser cette responsabilité inexistante, tout en préservant la stabilité du système politique.

Construire un tel régime, c’est inventer le contrôle de l’exercice du pouvoir. C’est la tâche du Parlement vis-à-vis du gouvernement dans tous les pays européens. Mais en France, ce n’est pas le gouvernement qui décide, mais le président, sur lequel ni le Parlement ni personne - à part peut-être sa femme et sa fille… - n’a de prise. Or un chef responsable peut à tout moment être révoqué par le contrôle parlementaire. Tel est le sens du régime primo-ministériel partout installé en Europe.

Il est inévitable de transférer la totalité des pouvoirs de gouvernement du président au gouvernement, afin que son chef, le Premier ministre, révocable et responsable, en réponde en son nom propre sur des décisions qui seront les siennes. Le président de la VIe République sera ainsi un simple arbitre.

Reste à régler la question du mode de désignation du président. Chacun connaît désormais les graves dangers de son élection au suffrage universel direct. Choisir ainsi un homme, c’est accepter de ne pas débattre raisonnablement des projets et des orientations politiques. Concours de belle gueule et de langue de bois, la présidentielle est devenue une affaire exclusivement médiatique, une machine à exclure, contrairement aux législatives, dans lesquelles les citoyens peuvent dans leur petit bout de France, participer, questionner, orienter le cours de l’élection. On préfère parler des tenues de Bernadette ou du dernier aphorisme de Sylviane plutôt que faire trancher des projets politiques clairs. Quant à la conquête des fameuses voix du centre, que les principaux candidats se disputent, elle conduit à la similitude des comportements et des choix politiques, provoquant l’augmentation du vote protestataire et des extrêmes. Combien faudra-t-il que Le Pen gagne encore de voix pour qu’on considère cette élection comme une dangereuse prime à la démagogie médiatique ?

Et puis cela coûte cher d’élire un président ! Environ un milliard de francs d’argent public officiel. Mais également un demi-milliard d’argent occulte, tiré malheureusement parfois d’infractions pénales. Les problèmes de financement de la campagne présidentielle nous ont valu vingt ans de descente aux enfers et de dégoût de nos concitoyens.

Alors, cela vaut-il la peine de déranger 35 millions d’électeurs pour désigner une sorte de reine d’Angleterre ? Si l’on m’oppose que cette course de petits chevaux est un « acquis démocratique » sur lequel on ne pourrait jamais revenir, je réponds simplement qu’il n’en a jamais été débattu. Et si nous, socialistes, nous osions ce débat dans le chantier plus large de la reconstruction d’une République toute entière ?

(1) « La Démocratie inachevée », par Pierre Rosanvallon, Gallimard, 2000.
© Copyright Le Nouvel Observateur



Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]