Démocratie !

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000
présentée par Alain Bergounioux, Jean-Christophe Cambadélis, Pierre Moscovici, Henry Nallet, Alain Richard, Bernard Roman, Bernard Soulage, Dominique Strauss-Khann, Marisol Touraine, Catherine Trautmann.







Alain
BERGOUNIOUX



Jean-Christophe
CAMBADÉLIS



Pierre
MOSCOVICI



Henri
NALLET



Alain
RICHARD



Bernard
ROMAN



Bernard
SOULAGE



Dominique
STRAUSS-KAHN



Marisol
TOURAINE



Catherine
TRAUTMANN


" Le socialisme,
c’est la démocratie jusqu’au bout ! "
Jean Jaurès


Démocratie ? exigence démocratique ? Aujourd’hui ? Pour le congrès de l’an 2000 du Parti Socialiste ?

Oui, démocratie ! Oui, exigence démocratique ! Oui, la démocratie demeure, pour nous, un combat !

Et ce, alors même que le monde, depuis 1989 et la chute du mur de Berlin, à engager un mouvement sans précédent vers la démocratie.

Et ce, alors même que la France, depuis 1997 et la victoire de Lionel Jospin et de la gauche plurielle, a connu des progrès – avec un nouvel exercice du pouvoir et l’instauration de la parité, avec une pratique politique plus délibérative et plus responsable.

Alors pourquoi ?

I – la démocratie comme choix

Il y aurait, affirmons le clairement d’emblée, de mauvaises raisons à ce choix.

Ainsi nous ne pensons pas que la réflexion sur la démocratie doive se substituer à la réflexion sur la justice sociale ; nous récusons l’idée - portée par les Libéraux - que le politique ne puisse plus peser sur les choix économiques et sociaux ; nous rejetons la thèse – soutenue par l’extrême-gauche – selon laquelle les clivages entre la droite et la gauche auraient, sir ces questions, disparu.

Tout à l’inverse, nous avons la ferme conviction - étayée par les faits depuis trois ans - qu’il est encore possible de dégager des marges de manœuvre et de dégager un espace pour le politique.

Alors, à nouveau, quelles sont les bonnes raisons de ce choix ?

Il y a, d’abord, une raison qui, pour n’être que conjoncturelle, n’es est pas moins sérieuse : le 24 septembre prochain, les françaises et les français sont appelés à se prononcer sur la réduction du mandat présidentiel à cinq ans. C’est un débat qui doit être mené, sur le fond, avec conviction - nous y reviendrons.

Il y a, ensuite, des raisons stratégiques.

Avec la mondialisation de l’économie et de la finance, avec la globalisation des entreprises, nous vivons un changement d’échelle. Dans ce nouveau monde, vouloir la démocratie, c’est vouloir la politique, c’est refuser la petite musique entêtante des " contraintes ", c’est repousser le grand enfermement dans la technocratie. Vouloir la démocratie, c’est, en soi, apporter un certain type de réponse à la mondialisation et à la construction de l’Union européenne. Ainsi, la démocratie n’est pas seulement une valeur en soi, elle est aussi un moyen au service d’autres valeurs, et notamment de la justice sociale.

Par ailleurs, le siècle nous a appris que la démocratie ne fonctionne pas sans économie de marché. Mais il nous a appris aussi que le capitalisme, presque mécaniquement, tente de s’extraire du contrôle démocratique. Et ce n’est pas là un débat théorique ! La droite libérale défend une conception purement idéologique de l’autonomisation du social qui, si elle l’emportait, aurait pour conséquence de déconnecter l’économie de la démocratie. Nous le savons les tensions entre l‘économie de marché et la démocratie sont inévitables ; elles ont même tendance a s’exacerber dans la phase de mondialisation que nous connaissons. A nous, donc, d’opposer, et d’imposer, au capitalisme les régulations et les solidarités nécessaires.

Il y a, encore, des raisons politiques : dans une société dans laquelle la lutte contre le chômage demeure essentielle mais devient, grâce à nos succès, moins obsédante, la question démocratique occupera une place qu’elle n’occupait pas auparavant dans les débats des prochaines élections, de toutes les prochaines élections – municipales, législatives et présidentielles.

Il y a, enfin, une raison morale : le combat pour la démocratie n’est, par nature, jamais achevé ; mieux encore ; ses termes se renouvèlent sans cesse, suivant en cela l’évolution de nos sociétés.

Et puis, à toutes ses raisons ; il faut peut-être en ajouter une dernière. Pour être effective, la démocratie suppose un sentiment partagé de reconnaissance mutuelle sur un territoire donné. C’est, bien évidemment, la nation. Ce peut être la commune ou la région. Ce pourrait être, demain, l’Europe. Nous ne partageons pas la conception " fixiste " de la république – datée et parfois même reconstruite – que défend Jean-Pierre Chevènement. Et nous pensons que la question se pose en des termes simples : dans une société qui s’individualisée, où les droits priment sur les devoirs, où les minorités revendiquent leur identité propre, où l’intégration est difficile, comment assurer le degré d’homogénéité sans lequel la démocratie se fragilise ? C’est une question déterminante. Nous avons toutes les valeurs pour y répondre, et notamment la laïcité qui demeure d’une grande actualité dans l’organisation de ce " vivre ensemble ". Il s’agit de rester fidèle à la République, en la faisant évoluer et sans construire de ligne Maginot dont on connaît trop le sort.

Ainsi, la démocratie doit demeurer, pour les socialistes, une ambition et une méthode.

II – La démocratie comme ambition

La démocratie internationale

La terre compte davantage de démocratie qu’avant… sans être pour autant plus démocratique. Il y a plus de démocratie dans l’organisation des pays… sans qu’il n’y en ait plus dans l’organisation du monde. D’une certaine manière, le risque de l’unilatéralisme, c’est-à-dire de la domination d’un seul pays, les Etats-Unis, n’a jamais été aussi pesant.

Pour nous, les institutions internationales ne sont pes des obstacles mais des leviers : c’est quand elles sont faibles que règne la loi du plus fort. C’est donc en leur sein que la démocratie doit retrouver ses droits : pour fixer les contours du marché, préserver les diversités culturelles, éradiquer les paradis bancaires et fiscaux, trancher les différends, favoriser le développement de ces milliards de femmes et d’hommes qui vivent dans la misère.

Pour peser dans la mondialisation, et réformer notamment l’ONU, le FMI et l’OMC, l’Union européenne doit continuer de s’affirmer pour acquérir la puissance qui permettra à notre modèle européen de devenir une référence universelle.

La démocratie européenne

Mais l’Union européenne ne doit pas simplement être une puissance plus unie ; elle doit aussi être une démocratie plus approfondie.

Des réformes immédiates, particulièrement l’adoption du principe de la majorité qualifiée et l’assouplissement des coopérations renforcées, sont nécessaires pour préparer l’élargissement mais également utiles pour approfondir la démocratie.

Au-delà, la perspective d’une véritable constitution - la Constitution d’une Europe qui avance - aura le mérite de donner aux citoyens une plus grandes lisibilité au fonctionnement de l’Union européenne. Mais d’autres réformes - touchant par exemple le mode d’élection du parlement européen - devront également aller dans cette direction.

La démocratie sociale

Vouloir une démocratie sociale vivante est, pour les socialistes, une préoccupation ancienne. Elle est, plus que jamais, d’actualité. L’action publique a besoin de la négociation sociale.

Sans doute le problème est-il ancien : la négociation collective s’est installé difficilement et progressivement dans notre pays. Les résistances du patronat et les divisions syndicales expliquent que l’Etat ait joué et joue un rôle dans les relations sociales. Il est garant des droits fondamentaux. Il doit assurer la cohésion sociale et territoriale. Il défend une exigence d’équité. Le nouveau contexte économique et social n’ôte rien de ces nécessités mais il impose de mieux prendre en compte les réalités nouvelles de l’organisation du travail. La " refondation sociale " ne peut se faire selon la vision libérale défendue par de Medef. Une réorganisation concertée et négociée des relations sociales est néanmoins nécessaire.

Il faut, d’abord et avant tout, préciser les principes et les droits fondamentaux, constitutif de l’ordre public social, dont les conditions concrètes d’application peuvent être définies, dans le cadre légal, par la négociation collective.

Il faut, ensuite, que la négociation de branche continue d’assurer une protection pour l’ensemble des salariés concernés. La diversité actuelle des situations d’entreprises ne suppose pas de revenir à l’ancienne hiérarchie des normes juridiques. Mais il faut mieux assurer la position des salariés et de leurs syndicats. Pour ce faire, il faut consacrer le principe majoritaire comme condition d’engagement des partenaires sociaux ; simplifier le code du travail en distinguant les normes intangibles d’ordre public social et les normes supplétives pour lesquelles l’entreprise a la possibilité de négocier ; renforcer le rôle du mandatement possible pour développer la négociations dans les entreprises sans syndicats ; débattre, comme le demande plusieurs organisations syndicales, des règles nouvelles de représentativité des acteurs sociaux.

Il faut enfin redéfinir les règles du paritarisme dans la gestion des institutions de protection sociale autour d’une double volonté de clarification : la clarification de la délégation de gestion aux conseils d’administration par l’Etat ; la clarification de ce qui relève des cotisations sociales et de la responsabilité des partenaires sociaux et de ce qui relève du financement et de la responsabilité de l’Etat.

La démocratie locale

Nous considérons également nécessaire que la gauche continue de réfléchir à l’avenir de la décentralisation, pour lui impulser un nouvel élan.

La gauche a la légitimité pour le faire : c’est elle qui a engagé la décentralisation de 1982 et l’a poursuivie depuis 1997 – avec le développement formidable de l’intercommunalité que nous sommes en train de connaître et qui ne doit rien au hasard.

Or, d’autre forme sont encore devant nous : elles concernent aussi bien les compétences, les moyens que les structures.

Après les réformes " mauroy-defferre " de 1982, nous attendons les réformes " Jospin-Mauroy-Vaillant " de l’an 2000.

La démocratie nationale

Certains se sont demandés, et vont encore nous demander, si la réduction de la durée du mandat du président de la République constitue une priorité.

On peut défendre, comme toujours, que tel n’est pas le cas. Mais on doit alors conclure qu’il n’est jamais prioritaire de réformer la vie publique. Or, le pacte démocratique se nourrit chaque jour : par des comportements, pas des actes, et parfois par des réformes.

Le quinquennat est une réforme utile et nous devons présenter aux Français nos arguments en sa faveur : c’est le respect que nous devons au débat démocratique.
 Le premier argument porte sur la responsabilité : dans le monde d’aujourd’hui, complexe et changeant, il est anachronique de déléguer le pouvoir présidentiel pour sept années.

 Le deuxième argument porte sur la stabilité : cela peut paraître paradoxal, mais le quinquennat favorise pourtant davantage la stabilité que le septennat. En effet, le pouvoir est, en France, attribué selon un rythme syncopé et aléatoire en fonction de la succession des élections présidentielles et législatives : depuis 1978, il a été tour à tour attribué pour 3, 5, 2, 5, 2, 2 et 5 ans. Avec le quinquennat, les élections se dérouleront dans le même moment, et le pouvoir sera attribué, au moins tendanciellement, pour cinq années.

 Le troisième argument porte sur la clarté : le quinquennat n’interdit pas la cohabitation. Mais il la rend plus improbable. Or, si l’on peut se résoudre a ce que la cohabitation soit un moment – et si nous faisons tous en sorte que ce moment soit utile pour notre pays - ; on ne doit pas la considérer comme un système et encore moins comme un bon système. Parce que, sur le plan interne, elle renforce l’idée que tout se vaut, qu’il n’existe plus de clivages, que le droite et la gauche se confondent et que, par ailleurs, elle a empêché des réformes importantes d’aller jusqu’à leur terme - notamment l’indépendance de la justice et la limitation du cumul des mandats. Parce que, que le plan externe, les masque les différences de vision et de convictions - or, celles-ci existent.
En même temps le quinquennat n’est qu’une étape. Là encore, d’autre réformes sont nécessaires – notamment l’achèvement de la limitation du cumul des mandats, la réforme du Sénat, l’harmonisation de la durée de tous les mandats à cinq ans et le renforcement du Parlement. Nous devons nous fixer comme objectif de les mettre en œuvre après 2002.

III – La démocratie comme méthode

La démocratie, c’est la mobilisation des citoyens

Le parti Socialiste, rassemblé autour de son premier secrétaire, François Hollande, doit donc tracer de nouvelles perspectives en vue des élections législatives. Pour enrichir son projet, il serait positif qu’il saisisse les opportunités de susciter un nouveau militantisme.

Alors que de nouvelles mobilisations, ponctuelles et spécifiques, symbolisent un désir d’engagement dans un rapport critique au monde ; alors que les nouvelles technologies appellent des modes de fonctionnement différents ; alors que de nouveaux réseaux européens – fondations ; clubs, sociétés de pensée – témoignent d’un bouillonnement de la social-démocratie, nous pensons que ces opportunités existent.

C’est un véritable civisme moderne qu’il convient de penser. De manière paradoxale, la multiplication des médias de toutes sortes ne rend pas plus simple la maîtrise de la complexité des affaires publiques. Dans ce contexte, la responsabilité du Parti Socialiste est de réformer ses pratiques politiques pour l’adapter à ces exigences nouvelles. Il faut notamment pour cela briser les tendances au malthusianisme qui brident notre développement militant, organiser des délibérations collectives au-delà de nos rangs en faisant de la politique d’information et de communication une priorité.

La démocratie, c’est l’élaboration collective

La gauche plurielle a montré sa capacité de réforme depuis 1997. Elle demeure, pour chacune de ses composantes, un choix stratégique. Elle est, pour la gauche, un bien commun qu’il faut veiller à préserver. Elle n’est pas un état figé mais une dynamique politique qui ne vit que si elle avance.

Aujourd’hui, cette dynamique ne peut aboutir à un programme ou à une organisation unique, mais elle peut déboucher sur l’élaboration d’un véritable projet commun – nous souhaitons que la Parti Socialiste en prenne l’initiative.

La démocratie, c’est la responsabilité politique

C’est aussi ainsi que se pose la question de notre bilan. A ceux qui considèrent que la question de notre bilan n’a qu’une importance mineure, n’est qu’un exercice obligé, nous répondons que, non seulement notre bilan pourra être défendu - car il sera bon - mais aussi que notre bilan devra être défendu : car parler de son bilan, c’est partager une certaine vision de la démocratie – celle qui repose sur la responsabilité ; celle qui préfère les faits aux mots, les actes aux images, les réalités aux formules. C’est notre vision.

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Une dernière remarque. Les signataires de cette contribution sont porteurs d’histoires différentes.

Sur cette question de la démocratie, du rôle du politique, de la place de la société civile, de l’ampleur de la décentralisation, le débat a parfois séparé la première de la deuxième gauche.

Si nous engageons ensemble cette réflexion sur l’avenir de la démocratie, c’est aussi parce que nous pensons que, grâce à Lionel Jospin, cette confrontation entre la première et la deuxième gauche est close ; c’est parce que la synthèse se fait, dans les textes, dans les pratiques, dans les esprits.

Et nous sommes résolus à essayer de continuer d’en tirer, ensemble, toutes les conséquences doctrinales.


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