" L'euro  
| est un formidable acte de puissance politique :
des Européens "


par
  Pierre Moscovici
Ministre Délégué auprès du Ministre des Affaires Etrangères,
chargé des Affaires Européennes


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 telle est en définitive la parité euro-franc fixée officiellement le 31 décembre 1998. Pour Pierre Moscovici, ce basculement dans l'euro est beaucoup plus qu'une simple opération monétaire.

Êtes-vous satisfait de la façon dont nous avons basculé dans l'euro ?

Ce que nous avons vécu, lors de ce long week-end du Nouvel An, c'est d'abord un défi technique, consistant à assurer le basculement en euro de l'ensemble des opérations du secteur bancaire et financier. Il convient de saluer cette performance en tant que telle, mais surtout les équipes qui en sont à l'origine, car elles n'ont ménagé ni leurs efforts ni leur temps. Je souhaite que ces efforts de plus de 10.000 salariés de la branche soient justement rémunérés, et j'ai le sentiment que cela sera le cas dans la plupart des établissements bancaires.

Quel sens donnez-vous à cet événement ?

L'essentiel c'est l'euro. C'est un acte politique majeur que les Européens ont souverainement décidé dès 1992, en ratifiant le traité de Maastricht, et que les gouvernements ont confirmé en organisant la convergence de leurs économies.
Le gouvernement de Lionel Jospin y a contribué plus que d'autres en assumant, sans imposer de sacrifices nouveaux aux salariés, un effort important de maîtrise de nos finances publiques, alors que les gouvernements conservateurs de Balladur et de Juppé les avaient laissé dériver entre 1993 et 1997.

Nous avons demandé des contreparties à ces efforts, en souhaitant que notre entrée définitive dans l'euro se déroule dans les meilleures conditions. Les militants socialistes en ont débattu de manière approfondie en 1996, lors des conventions nationales sur l'Europe et sur la politique économique et sociale, puis ils en ont fait le cœur de leurs engagements programmatiques en matière européenne lors des élections législatives de juin 1997.

Pour l'essentiel, ces engagements ont été tenus: nous avons un euro large avec 11 pays et 300 millions d'habitants; nous avons un début de réorientation de la construction européenne dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi. A Vienne, tout récemment, les Européens, tous les Européens, ont adhéré sans hésitation au pacte européen pour l'emploi que nous avons préconisé avec nos amis du SPD.


Quels avantages les Français sont-ils en droit d'attendre de l'euro ?

L'euro sera ce que les Européens décideront d'en faire.
C'est la raison pour laquelle nous avions demandé à ce que soit mis en place un interlocuteur politique à la Banque centrale européenne. Cet interlocuteur politique existe aujourd'hui avec le conseil de l'euro, qui réunit les onze ministres des Finances de la zone euro et doit maintenant se saisir de toutes les questions cruciales pour un fonctionnement harmonieux de l'économie européenne : concertation des politiques conjoncturelles, harmonisation fiscale, partage de la valeur ajoutée, consolidation du modèle social européen.
Quand on partage une même monnaie, il faut se donner les moyens de la gérer ensemble à onze, et de manière démocratique en reflétant les aspirations exprimées par les peuples, qui ont choisi dans la plupart des pays d'Europe des gouvernements au sein desquels les socialistes et les sociaux-démocrates jouent un rôle prépondérant.

L'euro devra aussi trouver sa place dans le système monétaire international. Aujourd'hui, l'euro est un formidable acte de puissance politique des Européens. Il leur permettra de retrouver une souveraineté monétaire qu'ils avaient perdue en pratique depuis l'effondrement du système dit de Bretton-Woods, au début des années soixante-dix. En revanche, les États-Unis vont redécouvrir la contrainte extérieure, et devront renoncer à faire financer leur croissance par les autres pays.


Certains parlent de convergence sociale, voire de traité social. Pensez-vous qu'un jour il pourra y avoir un socle de droits communs garantis à tous ? Sous quelle forme ?

L'acquis actuel de l'Union européenne n'est pas négligeable dans le domaine social, mais il n'est pas toujours correctement appliqué.
L'affaire de Vilvoorde a, à cet égard, permis une prise de conscience collective. Il faut donc s'employer à faire respecter partout en Europe les règles européennes en matière d'hygiène et de sécurité des travailleurs, en matière d'information et de consultation des salariés, et aussi en matière de non-discrimination à l'embauche. Les partenaires sociaux doivent mener cette bataille, en s'organisant mieux au niveau européen.

Il reste que l'Union doit accentuer ses efforts en vue d'une harmonisation sociale plus complète et plus ambitieuse. En réunissant les partenaires sociaux, le 3 décembre dernier, sur ces enjeux européens, le Premier ministre a indiqué les principaux chantiers qui doivent faire l'objet d'une réflexion au niveau de l'Union : la négociation de conventions collectives européennes dans les secteurs frontaliers (transports) ou fortement intégrés (banque, finance) ; la généralisation d'une législation sur le salaire minimum dans toute l'Europe ; l'aménagement et la réduction du temps de travail, car on ne comprendrait pas qu'un "pacte européen pour l'emploi" reste silencieux sur les conditions de travail, mais aussi sur les créations d'emplois que nous attendons d'une organisation du travail différente.

Nous devons être capables de saisir l'occasion offerte par les prochaines élections européennes pour porter tous ces sujets dans le débat publie, en faire un axe fort des engagements que prendront les socialistes européens. Je suis sûr que le manifeste du PSE portera la marque de ces nouvelles priorités assignées à l'Union.

En particulier, je suis très favorable à l'élaboration d'une Charte européenne des droits civiques et sociaux pour tous les citoyens de l'Union, d'une portée juridique et politique plus grande, et d'un champ plus large que l'actuelle Charte des droits sociaux adoptée en 1989. Autant et plus que l'euro, elle favorisera le sentiment d'appartenance des Européens à un espace politique et social commun. Il faut ainsi reconnaître au niveau européen le droit à la santé, à la sécurité et la protection sociale, au travail, et à défaut, à un revenu permettant de vivre dans des conditions compatibles avec la dignité humaine, ainsi que le droit au logement, à l'éducation à la formation.

Questions de Monique Grima

L’Hebdo des Socialistes, 8 janvier 1999


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