Commission européenne
La France de Jacques Chirac se trouve sanctionnée

Pierre Moscovici
Entretien avec Pierre Moscovici, député européen et secrétaire national aux questions internationales, paru dans le quotidien Le Monde daté du 18 août 2004
Propos recueillis par Thomas Ferenczi


 

Quel jugement portez-vous sur la nouvelle Commission européenne ?
C'est une Commission de combat. M. Barroso s'était présenté devant le Parlement européen comme un social-démocrate modéré. Il montre aujourd'hui qu'il est avant tout le champion d'une idéologie libérale pure et dure. Il a confié les principaux postes à des libéraux. Et il a tenu à récompenser les pays qui s'étaient engagés à ses côtés dans l'affaire irakienne et avaient participé avec lui au sommet des Açores.

Enfin il a choisi de donner la primauté aux petits pays sur les grands, à l'exception de la Grande-Bretagne et de l'Italie. La France et l'Allemagne doivent se contenter de postes de vice-présidents plutôt honorifiques et de fonctions qui, pour être réelles, ne sont pas parmi les plus importantes. C'est à ses risques et périls, mais c'est surtout aux risques et périls de l'Europe.

Vous considérez le portefeuille des transports comme mineur ?
C'est certes un poste significatif, mais Loyola de Palacio, qui détenait ce portefeuille dans la précédente Commission, disposait également de celui de l'énergie, qui est une compétence communautaire ancienne et forte. Or Jacques Chirac voulait pour M. Barrot soit la concurrence, soit le marché intérieur. Par rapport au poste qu'occupait Pascal Lamy auparavant, celui du commerce extérieur, c'est donc une perte de rang.

M. Chirac a commis l'erreur de ne pas renommer un commissaire qui avait l'estime de tous et qui était un poids lourd de la précédente Commission. Il a envoyé à Bruxelles Jacques Barrot, un homme politique tout à fait estimable, mais privé d'expérience européenne et ne parlant pas, semble-t-il, de langues étrangères. Le commissaire français se trouve donc logiquement dans un poste qui, sans être subalterne, n'est pas essentiel.

Y a-t-il un déclin de l'influence française en Europe ?
La situation actuelle s'explique d'abord par la prééminence donnée aux petits pays, qui résulte en partie des changements institutionnels opérés à Nice : désormais, chaque pays a un commissaire dans une Commission à 25. Il y a aussi cette faute tactique du chef de l'Etat, qui traduit une forme d'irritation suscitée par son arrogance dans le concert européen. A force de traiter ses partenaires avec hauteur, de les humilier, parfois avec une certaine forme de brutalité, de traiter la Commission de manière cavalière, la France de Jacques Chirac se trouve sanctionnée.

Ce sont les libéraux qui l'emportent sur une vision française plus régulatrice. De tout cela, il ne faut pas tirer de conclusions définitives. On ne peut pas dire que l'influence française soit en recul. La France, pays fondateur, reste une nation essentielle pour l'Europe. Mais, conjoncturellement, dans le cadre de cette Commission, elle ne sera pas un acteur majeur.

L'Allemagne non plus, puisque son représentant, Gunter Verheugen, chargé de la compétitivité, n'obtient pas toutes les attributions qu'il demandait. Aucun des postes attribués à ces deux pays n'est un poste de tout premier rang.

Voterez-vous contre la Commission Barroso lorsque le Parlement européen se prononcera ?
Il faudra débattre avec la nouvelle Commission mais, telle qu'elle est composée, je pense que les sociaux-démocrates ne doivent pas lui donner leur confiance. Ce ne serait pas cohérent. Nous avons voté contre M. Barroso comme président de la Commission.

Son premier acte a été d'accentuer le tropisme conservateur dont on l'accusait. Dès lors, je ne vois pas comment nous pourrions voter en faveur de cette Commission. Mais il faudra que les socialistes, au sein du Parlement européen, exercent un contrôle vigilant sur son action et jouent un rôle de contrepoids.

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