Soutenons
une Europe fédérale

Henri Nallet


Point de vue de Henri Nallet, ancien secrétaire national aux relations internationales, paru dans le quotidien Libération daté du 10 octobre 2003


 
Les socialistes débattent enfin de l'Europe. Tant mieux, bien que cela arrive tard, dans un parti trop longtemps silencieux sur le sujet. En effet, dès 1981, le PS avait abandonné cette question à François Mitterrand, dont l'autorité faisait merveille, bientôt relayé par l'inlassable imagination de Jacques Delors. A partir de 1997, il ne fallait pas gêner par d'intempestives propositions Lionel Jospin, engagé, sur le sujet, dans une difficile cohabitation avec le très imprévisible « européen » qu'est Jacques Chirac.

Nous n'avons pas davantage participé au débat de fond sur l'avenir de l'Union ouvert à deux reprises par des contributions allemandes. Déjà en 1994, le document dit « Schäuble », qui posait clairement la question de la dialectique « élargissement-approfondissement » et celle de l'avant-garde, ne fut pas sérieusement reçu en France et, plus près de nous, le discours de Fischer sur l'Union fédérale n'éveilla que des échos polis. Nos camarades du SPD, du PSOE, sans parler du Parti travailliste ou du Parti socialiste suédois, n'avaient pas davantage d'appétit et d'idées pour accélérer l'intégration européenne.

Après l'effondrement du communisme et la réunification allemande, dès lors que la proposition de François Mitterrand d'une confédération avec les pays d'Europe centrale et orientale était repoussée sans grand examen, l'élargissement de l'Union était inévitable, mais il modifie complètement la nature du projet européen.
Nous allons accueillir 15 pays longtemps privés de leur identité et de leur nationalité, qui ne veulent s'en remettre qu'aux Etats-Unis pour leur défense, et pèseront de leur légitime poids à la table du Conseil européen pour chercher, avant tout, à tirer avantage du système. A trente, il n'y aura donc jamais d'Europe politique, de défense commune, de politique extérieure commune, et les politiques existantes seront menacées, comme on l'a déjà vu avec la PAC, qui vient de disparaître sans une larme, et comme on le verra sans doute avec la politique de cohésion qui mourra d'inanition faute de budget.
Il restera cependant un marché unique, des règles de concurrence, une monnaie forte et protectrice, une Cour de justice, qui unifie progressivement nos règles de droit, et une certaine coopération politique. Ce qui n'est déjà pas si mal ! La plupart des fédéralistes cherchent à se rassurer en imaginant une avant-garde ou des coopérations renforcées dont, on ne voit pas très bien, pour l'instant, le contour et les acteurs. Sauf à faire, pour le coup, une vraie fédération avec quelques-uns. Mais qui en veut ?

Tout cela est connu et a été dit par certains d'entre nous, au moins depuis 1997, mais jamais approfondi car il aurait fallu alors s'interroger sur la fin de « l'Europe puissance » à-la-française et la perte rapide et considérable de notre influence, y compris dans les rangs de la social-démocratie, au sein du concert européen, parce que nous ne concevons l'Europe unie que sous la figure d'une plus grande France qui s'oppose aux Etats-Unis, inspire la politique étrangère, impose ses standards sociaux, étend ses services publics à l'ensemble du nouvel espace, etc. Cette conception, peut-être concevable dans les années 50, est aujourd'hui complètement minoritaire, même si elle a encore, dans notre espace national, un certain impact, dès lors qu'elle flatte l'ego national ou partisan avec des mots ronflants.

Après ce détour, qui est le fruit à la fois de ma conviction que l'Europe fédérale est la seule forme de gouvernance opposable à la sauvagerie de la mondialisation et de mon expérience gouvernementale et partisane, il me paraît souhaitable de défendre le projet soumis à la CIG tout de suite.

Le texte de Giscard a toutes les faiblesses et les insuffisances d'un projet très marqué par les idées libérales, mais il est politiquement inespéré. Lisons-le bien, car, jamais plus nous ne verrons sortir de la machine institutionnelle un texte aussi « fédéral » à la manière française. Pourquoi alors poser des exigences ou des conditions, qui auraient plus leur place dans un programme de parti que dans une Constitution, et dont on sait qu'elles n'ont à peu près aucune chance d'être réalisées ? Pour préparer un «non» ou une habile abstention à un éventuel référendum ? Ou par adhésion à la stratégie de la crise, réminiscence de la gaulliste «chaise vide» qui ne fera, cette fois, que hâter la décomposition ?

Quant à la prudence de certains, parce qu'ils veulent s'en remettre aux militants ou parce qu'ils ne « sentent » pas les électeurs sur le sujet, on leur dira, toujours avec déférence, que, sur une question pareille, ceux qui aspirent à gouverner ne peuvent pas s'en remettre au vent qui passe... Il faut même être plus ferme encore : tout faire pour que le paquet bouclé par la Convention ne soit pas déficelé par la CIG. Des ajouts, des améliorations, oui, des modifications de ce qui est acquis, sûrement pas, car alors il ne resterait bientôt plus rien de cette tentative, sans doute ultime, de sauver ce qui peut être sauvé du projet fédéral d'origine...

Et pour montrer la détermination d'une partie des européens à doter l'Union de ce pacte de base qui lui fait défaut, nous devrions appeler à une grande manifestation populaire avec les partis du PSE, les Verts, les altermondialistes, le Mouvement européen, les démocrates-chrétiens, les syndicalistes, etc., rassemblant des centaines de milliers de personnes lors du sommet de Rome ou de Dublin, pour exprimer leur soutien à une Europe plus fédérale, plus généreuse, plus ouverte et aussi s'interroger sur la nécessité d'un référendum.On se rappelle la terrible campagne de 1992. Observons qu'il n'est juridiquement pas nécessaire puisqu'il s'agit d'un traité qui peut être ratifié par le Parlement et nous sommes, très régulièrement, des partisans enthousiastes de la réhabilitation des droits du Parlement... Enfin, il s'agit d'une décision du seul Président. Laissons-le se débrouiller, qu'il prenne ses responsabilités et son risque, et nous prendrons les nôtres. Mais pourquoi fermer si vite la voie parlementaire ?

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