Contribution thématique
sur l'Europe

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000,
présentée par Henri Nallet, secrétaire national aux relations internationales, et la commission Europe.


 
Une grande confusion règne aujourd'hui dans les esprits sur les objectifs à donner à l'Union européenne. Les expressions fortes de Fédération d'Etats-nations, d'Europe des régions, de Constitution européenne, de noyau dur, d'avant-garde, de centre de gravité, de groupe pionnier s'entremêlent sans que l'on sache ce qu'elles impliquent par rapport à l'acquis communautaire, au fonctionnement des institutions européennes et au devenir de notre pays dans l'Union européenne.

Lever cette confusion apparaît indispensable aux socialistes, car l'alternative qui est posée aujourd'hui est bien d'accepter la dilution de l'Europe dans un vaste ensemble de libre-échange ou d'œuvrer au contraire à son renforcement, là où les Etats ont de plus en plus de mal à agir seuls, et à la correction de ses défauts. Face à la mondialisation libérale, l'Union européenne doit être un relais efficace pour réaliser plus de créations d'emploi, plus de justice sociale, plus de sécurité intérieure et extérieure et pour mieux protéger l'environnement. La gauche a besoin de plus d'Europe car elle aspire à plus de régulation. Il y a là, pour la gauche, un enjeu décisif pour son avenir.

Ce débat à la veille de l'élargissement doit être mené dans la clarté, en évitant les anathèmes ou les guerres de religion, en disant clairement ce que nous voulons, en respectant les positions de nos partenaires européens, en prenant en compte les aspirations et les inquiétudes de nos concitoyens, en étant conscient enfin des responsabilités de l'Europe dans le monde et, au premier chef, vis-à-vis des pays du Sud.

Poursuivre notre action
sur la scène européenne

Le programme du Parti socialiste en vue des élections législatives du printemps 1997 avait précisé les conditions de notre engagement en faveur du passage, dès 1999, à la monnaie unique, dans la perspective d'un véritable projet économique et politique. Cet engagement a été tenu.

En effet, les conditions posées pour le passage à l'euro ont été respectées, le pacte de stabilité a été rééquilibré pour prendre en compte la croissance et l'emploi, l'Euro 11, embryon de gouvernement économique, a été instauré, des programmes nationaux pour l'emploi ont été mis en œuvre, la réforme institutionnelle a été remise en chantier grâce à la déclaration belgo-italo-française.

Mais d'autres combats ont été livrés avec succès, pour la défense du service public en s'appuyant sur l'acquis du Traité d'Amsterdam, pour une meilleure sécurité alimentaire devant les risques de contamination (dioxine, vache folle, OGM), pour l'adoption d'une charte des droits fondamentaux, pour un rééquilibrage de l'Europe de la sécurité intérieure par une Europe de la justice dont les bases ont été jetées lors du sommet de Tampere en novembre 1999.

Dans la perspective des élections européennes, la convention Nation-Europe de mars 1999 a précisé les étapes ultérieures de l'action des socialistes au niveau européen et s'est prononcée très clairement en faveur de la fédération d'Etats nations proposée par Jacques Delors pour caractériser la forme institutionnelle originale de l'Union européenne.

Le manifeste du PSE pour les élections européennes de juin 1999, avec ses 21 propositions, doit beaucoup à l'apport des socialistes français, en particulier en ce qui concerne l'adoption de la Charte des droits fondamentaux, l'égalité des chances et des droits entre les femmes et les hommes, la protection et la promotion du modèle social européen et des services publics face aux défis de la mondialisation. Dans ce texte, nous affirmions que l'Europe devait assurer aux citoyens une participation équitable aux fruits de la prospérité commune retrouvée, et traiter en priorité des questions qui les concernaient le plus. Nous disions aussi que l'Europe devait garantir les intérêts communs de ses peuples et promouvoir ses valeurs de démocratie, de solidarité et de liberté dans le monde et réaliser les réformes institutionnelles nécessaires à une Union élargie et ouverte, plus démocratique et plus efficace.

Il n'est pas exagéré de dire que, depuis lors, la croissance retrouvée grâce à l'euro et les progrès enregistrés dans différents domaines de la construction européenne (meilleure coordination des politiques économiques au sein de l'euro 11, contrôle du Parlement sur la Commission, défense et politique extérieure communes, justice et affaires intérieures, ...) ont confirmé et conforté nos analyses et notre engagement.

Les priorités de la présidence française pour le second semestre 2000 s'inscrivent clairement dans cette perspective, tant par l'accent mis sur les préoccupations citoyennes que par la volonté de mener à bien la réforme des institutions et d'adopter la charte des droits fondamentaux.

Mais au-delà de cette échéance, nous sentons bien, pour l'avoir nous-mêmes, à de nombreuses reprises, appelé de nos vœux, que le débat sur l'avenir de l'Union exige de notre part une prise de position claire sur les nouvelles étapes de la construction européenne.

Enrichir le formidable acquis
de l'intégration communautaire

Pour nous, tout débat sur l'avenir de l'Europe doit partir du formidable acquis de l'intégration communautaire, qui est d'abord le résultat d'une volonté politique constante de partager un destin commun et d'œuvrer à la paix et à la sécurité sur le continent qui nécessite une vigilance continue. Il a été rendu possible grâce à des transferts de souveraineté librement consentis et à une " méthode communautaire " originale.

On ne doit jamais oublier que si la France a réussi sa modernisation grâce à ses efforts propres, elle le doit aussi à l'Europe. Elle ne serait sans doute pas aujourd'hui l'une des premières puissances agricoles, la quatrième puissance industrielle du monde, le deuxième exportateur mondial de services sans les règles et disciplines communautaires librement acceptées, sans les effets salutaires d'une concurrence maîtrisée au sein du grand marché, sans les avantages qu'elle ait su tirer des politiques communes, sans la solidarité de ses partenaires européens. On ne saurait oublier pour autant qu'il reste beaucoup à faire pour équilibrer la politique de concurrence par une intégration plus poussée en matière fiscale et sociale.

Quand on rapproche l'état de la France d'aujourd'hui de celui d'avant le traité de Rome ou même d'avant l'Acte unique, on prend sans doute la mesure de la remarquable capacité de notre collectivité nationale, mais on se félicite aussi qu'elle ait su s'engager résolument dans l'aventure communautaire.

Mais nous savons que le prix social de cette modernisation a été élevé, que l'exode rural s'est poursuivi, que de nombreux travailleurs ont été confrontés à des plans sociaux à répétition, que partout en Europe les chômeurs de longue durée ont payé un lourd tribut à la mondialisation, que la globalisation financière a considérablement aggravé les inégalités et la précarité.

Nous savons aussi que la croissance vigoureuse, qui s'est installée dans la zone euro et permet à la France, grâce à l'action du gouvernement, de revenir au-dessous de la barre des 9 % de chômeurs dès la fin de l'année, crée de nouvelles attentes pour toutes celles et tous ceux qui n'ont pas encore retrouvé un emploi ou vivent d'un emploi précaire.

Nous sommes conscients enfin qu'il reste beaucoup à faire pour rétablir l'équilibre entre l'ouverture sur l'extérieur et l'adaptation à la mondialisation, d'une part, qui sont au cœur du fonctionnement du marché unique, et la solidarité, d'autre part, qui irrigue les politiques communes comme l'action extérieure de l'Union européenne.

C'est pourquoi nous entendons préserver, enrichir et corriger, là où c'est nécessaire, cet acquis de l'intégration communautaire et le mettre au service de l'intérêt général et des questions d'avenir.

Notre projet pour l'Europe s'articule donc autour de quatre considérations centrales :

 en réponse à la mondialisation, faire de l'Europe un pôle de justice sociale et de régulation, d'équilibre et de solidarité ;

 face au déficit démocratique de la construction européenne, renforcer le rôle des citoyens dans la détermination des orientations de l'Union ;

 contre les chantres d'une Europe toujours plus libérale et les tenants d'un souverainisme ombrageux, étendre à de nouveaux domaines l'intégration communautaire ;

 devant l'attente des pays candidats, créer les conditions d'un élargissement réussi.

Assumer pleinement
la mission historique
d'unifier l'Europe

Plus de dix ans après la chute du mur de Berlin, la réunification de l'Europe, qui est notre mission historique, doit être conduite à son terme. Y travailler est croire en la promesse d'un destin commun, assumer nos responsabilités politiques et défendre nos intérêts stratégiques et économiques. La proposition de confédération européenne faite par François Mitterrand en décembre 1989 de même que la création de la BERD et la négociation des accords d'association avec les pays d'Europe centrale et orientale s'inscrivaient déjà dans cette démarche.

Aujourd'hui, il faut aller plus vite et plus loin sur la voie de l'intégration, parce que ces pays aspirent à partager le modèle de développement économique et social européen, parce que leur rattrapage économique s'accélère, parce qu'ils ont déjà consenti beaucoup d'efforts pour adapter leur législation nationale, restructurer leur économie et construire un Etat de droit, parce que notre intérêt économique et notre sécurité l'exigent.

Mais l'opinion publique a besoin de comprendre ce qui est en jeu dans ces négociations dont elle ne pressent que les risques pour l'emploi et la sécurité intérieure.

Il faut en parler, expliquer que l'instabilité aux frontières de l'Union européenne est dangereuse pour la paix, que le développement économique de ces pays offrira à nos entreprises des débouchés nouveaux, que leur participation à part entière aux politiques communes, à commencer par la politique agricole commune et les fonds structurels, est une question de solidarité et d'intérêt mutuel, que la reprise de l'acquis communautaire est un gage de concurrence loyale sur un marché élargi.

Il est aussi de notre responsabilité de dire que les efforts d'adaptation prolongés demandés à ces pays ont nécessairement pour contrepartie l'acceptation d'une réelle solidarité financière, comme ce fut le cas lors des élargissements précédents. Nous plaidons donc pour que le budget communautaire dispose des ressources propres suffisantes, au-delà du plafond de 1,27 %, pour garantir le bon fonctionnement des politiques communes.

Il est enfin essentiel de montrer que ce nouvel élargissement implique, par lui-même, une transformation de la nature du projet politique européen.

C'est pour toutes ces raisons que la décision d'élargir l'Union européenne et celle de mener à son terme une réforme institutionnelle ambitieuse d'ici la fin de l'année sont intimement liées et constituent deux actes politiques majeurs. Il faut, d'une part, prendre le temps de traiter à fond, avec chacun, tous les problèmes qui se posent, en privilégiant les solutions les plus respectueuses de l'unicité du marché intérieur, en aidant les pays candidats à s'adapter aux règles et disciplines de l'Union, en les amenant à la fois à mieux comprendre le fonctionnement des institutions européennes et à rentrer dans la culture de la négociation. Il faut, d'autre part remettre en ordre de marche les institutions européennes.

Le Conseil européen de Nice doit être à même, au vu des résultats de la CIG, de faire le point des négociations et de tracer des perspectives du chemin qui reste à parcourir avec les différents pays candidats, au moins pour les plus avancés d'entre eux. Comme l'a affirmé récemment Lionel Jospin devant la représentation nationale, notre objectif est de faire en sorte que l'Union européenne puissent être prête à accueillir les pays candidats qui le pourront à partir du 1er janvier 2003.

Bâtir un projet d'avenir
sur un socle institutionnel solide

Une Union élargie doit avoir des institutions en état de marche, les capacités de mettre en œuvre les valeurs communes ancrées dans son histoire et ouvertes sur la modernité, une volonté de bâtir un projet politique d'avenir.

Réformer la " gouvernance " de l'Union par le rétablissement d'un équilibre institutionnel

La gouvernance de l'Union est malade. La Commission européenne n'a pas encore complètement surmonté la crise qui a conduit à la démission du collège en mars 1999, les différentes formations du Conseil s'enlisent dans des discussions techniques sans capacité d'arbitrage politique, le Parlement croule sous le poids d'ordres du jour pléthoriques sans réelle volonté de sérier ses objectifs politiques sauf lorsqu'un différend inter-institutionnel est en cause.

Ce mauvais fonctionnement du triptyque institutionnel est clairement perceptible par l'opinion publique, alors que, dans le même temps, les méthodes intergouvernementales produisent des résultats sur des sujets réputés difficiles, comme la défense. Il est aussi un handicap majeur pour le renforcement des politiques communes et la capacité de régulation de l'Union européenne.

Seule une très ferme volonté politique permettra de surmonter cet affaiblissement. Trois objectifs essentiels doivent être, à cet égard, poursuivis :
     La Commission doit retrouver la plénitude de ses capacités d'impulsion et de proposition et assumer avec détermination et dans une collégialité renforcée son rôle de gardienne des traités ;

     Le Conseil doit travailler plus efficacement et de manière plus coordonnée entre ses différentes formations. Cela implique que le Conseil Affaires générales retrouve sa fonction de coordination et d'arbitrage sur les affaires communautaires et de préparation des travaux et des orientations du Conseil européen. En conséquence, nous proposons que pour tenir compte de l'importance croissante des dossiers traités par les ministres des affaires étrangères dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, soient distinguées deux formations du Conseil Affaires générales : un Conseil Affaires étrangères, composé des ministres des affaires étrangères et un Conseil Affaires communautaires, composé des ministres des affaires européennes chargés de la coordination des questions communautaires au sein de leurs gouvernements. Les ministres des affaires européennes pourraient ainsi se réunir une à deux fois par mois pour évaluer les blocages dans les différentes formations du Conseil et réaliser les arbitrages politiques qui s'imposent ;

     Le Parlement européen doit exercer pleinement ses pouvoirs de codécision et de contrôle. Il doit être plus à l'écoute des préoccupations des opinions publiques nationales, ce qui implique de mettre en place une procédure électorale qui soit, sinon uniforme, du moins l'expression d'une relation plus directe entre les élus européens et leurs concitoyens. À cet égard, nous demandons que le projet de modification du mode de scrutin aux élections européennes, présenté par le gouvernement en 1998, fasse l'objet d'une nouvelle consultation des partis politiques. Nous proposons aussi que le droit de vote aux élections au Parlement européen soit étendu aux étrangers qui n'ont pas acquis la nationalité de l'un des Etats membres de l'Union et qui y résident depuis plus de cinq ans.

Réussir la CIG

Mais pour éviter la paralysie qui menace déjà les institutions de l'Union européenne et qui risque de les emporter avec le grand élargissement par l'effet mécanique du nombre, le succès de la CIG est essentiel et préalable.

Le gouvernement s'est fixé un objectif à la fois clair et ambitieux qui est de dégager un accord au sein de la conférence intergouvernementale avant le Conseil européen de Nice sur les quatre points qui figurent à son ordre du jour : composition de la Commission européenne, extension du vote à la majorité qualifiée, réexamen de la pondération des voix au Conseil, assouplissement des coopérations renforcées.

Nous pensons que le parti doit peser de tout son poids, au sein du PSE comme dans les contacts bilatéraux, pour que l'accord se fasse de manière indissociable sur les principes suivants :
     La majorité qualifiée et la codécision qui lui est attachée doivent devenir la règle et l'unanimité l'exception ;

     Le processus de décision au Conseil doit respecter les principes fondateurs du traité de Rome, avec une véritable repondération des voix ;

     La Commission doit, par sa composition, refléter l'intérêt général de l'Union. Le président de la Commission doit être proposé dans la majorité politique issue des élections européennes, ce qui permettra aux citoyens de voir clairement le résultat de leur vote. Il doit aussi avoir une plus grande latitude pour composer le collège en relation avec les Etats membres ;

     Les coopérations renforcées doivent être conçues comme un moyen, pour ceux des Etats membres qui veulent avancer plus vite, de le faire, sans compromettre le bon fonctionnement de l'Union et en demeurant ouvertes à tous les Etats membres qui le souhaitent. La Commission doit toujours y être associée selon des modalités adaptées à la nature des sujets traités, et le Parlement et le Conseil doivent êtres tenus informés de leur développement. Leur champ d'application doit s'étendre aux trois piliers moyennant des mécanismes adaptés à chaque type de coopération. Leur déclenchement ne doit être subordonné à aucun veto et leur fonctionnement doit être assoupli.

Donner à la Charte des droits fondamentaux une portée à la fois politique et juridique

Au moment où le congrès du parti se réunira, la Convention aura terminé ses travaux et une Charte des droits fondamentaux aura été rédigée.

Ce texte doit devenir un texte de référence pour les gouvernements des Etats membres, les citoyens européens, les tribunaux nationaux et les Cours de Justice de Luxembourg et de Strasbourg. Il doit aussi permettre de faire progresser les libertés publiques fondamentales, les droits du citoyen et les droits économiques et sociaux, ainsi que les nouveaux droits qu'appellent les progrès de la science et des techniques.

Sa bonne application doit être vérifiée. Un mécanisme de révision doit être prévu pour adjoindre de nouveaux droits ou mieux défendre des droits existants.

Le mode d'élaboration de ce texte, qui associe représentants des gouvernements, parlementaires européens et nationaux et qui consulte dans la plus grande transparence les organisations de la société civile, peut ouvrir des perspectives pour un renouvellement des méthodes démocratiques qui soient adaptées à la finalité de l'Union.

Pour manifester l'importance des valeurs auxquelles l'Union européenne adhère et pour approfondir l'état de droit et la démocratie dans tous nos pays, nous demandons que la Charte des droits fondamentaux fasse partie intégrante du préambule du traité ou d'une future Constitution européenne que nous appelons de nos vœux. Nous proposons enfin qu'elle devienne pour l'Union européenne un texte de référence dans ses relations avec le reste du monde.

Bâtir un projet d'avenir

Pour nous, l'Union européenne ne se limitera jamais à un grand marché encadré par quelques règles destinées à assurer les conditions d'une concurrence loyale.

L'Union européenne doit avoir pour ambition de faire progresser d'un même pas la démocratie, la modernisation des structures économiques et sociales, la protection de l'environnement et la lutte contre l'exclusion et la pauvreté. Il y va de la cohésion des communautés nationales et régionales qui la composent, condition de la paix civile et de la justice sociale.

Nous proposons que les décisions prises sous présidence portugaise en matière économique et sociale soient mises en œuvre et que les agendas économiques et sociaux soient mieux coordonnés. Pour garantir une continuité et une plus grande efficacité dans la conduite des politiques de l'Union, des programmes triennaux d'actions pourraient être présentés sous la responsabilité des trois Etats membres de la Troïka et de la Commission et adoptés par le Conseil et le Parlement après un débat devant chaque Parlement national.

Nous proposons aussi que la politique extérieure de l'Union reflète la même ambition. L'Union européenne doit se projeter, dans le cadre de la mondialisation, comme un modèle régulé et soucieux de redistribution des richesses en son sein comme avec les pays du Sud. Elle doit être porteur d'une alternative au modèle américain aux plans économique, commercial ou financier comme en matière de protection de l'environnement. C'est sans doute l'un des enjeux du prochain cycle de négociations commerciales multilatérales dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, de la réforme des institutions financières multilatérales et des grandes négociations sur l'environnement (climat, biodiversité). Dans un monde multipolaire, elle doit devenir une force de proposition et d'intermédiation crédible dans la solution des conflits régionaux ou ethniques (Moyen-Orient, Asie de l'Est, Afrique) et doit être au premier rang dans la lutte contre le terrorisme, la corruption et le blanchiment.

L'Union doit aussi renforcer sa capacité d'entraînement et de conviction auprès de ses différents partenaires, non pour imposer des choix qui seraient conformes à ses seuls intérêts mais pour promouvoir une gouvernance mondiale, à la fois adaptée aux enjeux de la mondialisation et aux aspirations des pays du Sud, notamment des plus pauvres d'entre eux. Chaque Conseil européen de fin de présidence devrait donc approuver l'agenda international de l'Union pour les six mois suivants en couvrant aussi bien les grandes négociations internationales que les négociations bilatérales et en veillant à une meilleure coordination entre les politiques d'aide au développement des Etats membres et celle de l'Union.

Ce projet d'avenir dans ses deux volets, interne et externe, pourrait utilement faire l'objet d'une concertation avec les pays candidats dans le cadre de la conférence européenne qui réunit les Quinze et les pays candidats.

Jeter les bases opérationnelles
d'une avant-garde

La constitution d'une Europe à 25 ou à 30 oblige dès maintenant à explorer de nouvelles voies pour faire avancer d'un même pas l'intégration européenne et l'élargissement de l'Union. Nous ne voulons pas que l'une se fasse au détriment de l'autre et nous ne voulons exclure personne.

Plusieurs propositions récentes ont relancé opportunément le débat sur l'avenir à long terme de l'Union.

Nous nous reconnaissons dans la perspective de l'avant-garde, car elle est la plus respectueuse de l'identité de l'Union européenne et du processus d'élargissement tout en respectant les choix politiques et les intérêts des Etats membres qui ne peuvent ou ne veulent pas avancer au même rythme.

Pour nous, cette avant-garde doit regrouper les Etats membres qui sont prêts à mettre en commun de nouveaux champs de compétence, à utiliser, partout où cela paraît possible, la méthode communautaire et à ne recourir à la méthode intergouvernementale qu'à titre subsidiaire. Nous proposons d'utiliser la procédure des coopérations renforcées issue de la CIG pour mettre progressivement en place cette avant-garde. Nous proposons aussi d'associer la Commission européenne à tous les travaux menés à cette fin.

L'avant-garde doit avoir pour rôle et pour ambition de montrer la voie, de tracer une perspective d'essence fédérale, qui respecte les identités nationales et dans laquelle tous les Etats membres, anciens et nouveaux, ont vocation à s'engager à leur rythme. Pour nous, le contenu de ce que nous voulons faire ensemble est premier par rapport au cadre institutionnel et par rapport à l'idée même de constitution européenne, perspective que nous avons depuis longtemps soutenue, sous la réserve qu'il ne s'agisse pas d'une machine de guerre contre l'esprit et la pratique communautaire.

Si l'on ne peut pas avancer à quinze, quatre grands axes d'action nous paraissent relever prioritairement de ce nouveau projet porteur d'avenir.
     Tout d'abord, une coordination plus étroite des politiques économiques au service du modèle social.
    La zone euro ne pourra maintenir une croissance durable et susceptible de ramener le plein emploi que par un renforcement du pilier économique face au pilier monétaire. La coordination des politiques économiques des pays de la zone euro doit servir le modèle social européen. L'Eurogroupe doit être à même de régler les affaires économiques et financières d'intérêt commun aux pays participants. Des progrès sont nécessaires dans l'harmonisation des politiques prudentielles, budgétaires et fiscales comme dans l'échange de bonnes pratiques en matière de politiques de l'emploi et de réformes structurelles. Une politique de recherche et développement ambitieuse en constitue le complément indispensable.

     Deuxièmement, la mise en œuvre d'un Traité social.
    Les conditions de travail et de rémunération, l'éducation et la formation tout au long de l'existence, la protection sociale, la lutte contre la pauvreté et l'exclusion et le dialogue social sont autant de domaines où une plus grande convergence est possible dans le respect des identités nationales.

     Troisièmement, la constitution d'un espace judiciaire commun.
    Afin d'équilibrer le développement de la coopération policière et en capitalisant les acquis du sommet de Tampere, nous souhaitons la constitution d'une structure de concertation et d'action (EUROJUST pendant d'EUROPOL) permettant aux magistrats instructeurs et aux parquets d'échanger des informations. Nous demandons également qu'une politique harmonisée de migration et d'asile garantisse la liberté de circulation et le respect des droits des étrangers résidant dans l'Union.

     Une politique étrangère et de sécurité qui aille au-delà de la PESC et intègre les questions de défense.
    Il faut à la fois tirer les conséquences des limites du cadre de la politique étrangère et de sécurité commune issu du Traité de Maastricht et capitaliser les progrès accomplis en matière de défense depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo et au Conseil européen d'Helsinki.
    Dans un premier temps, la coopération se limiterait à la poursuite des travaux sur la défense et à la mise en œuvre d'un maximum d'actions communes, menées avec des moyens communs et financées par un budget ad hoc.


La mise en commun de ces quatre axes suppose une volonté politique forte et passe par l'adoption d'un cadre institutionnel et de procédures de décision qui soient adaptés aux spécificités de chacun de ces domaines et marient au mieux l'efficacité politique et le contrôle démocratique, la lisibilité pour nos opinions publiques et le respect de nos traditions nationales.

Nous pensons qu'il faut doter cette avant-garde d'un cadre institutionnel et de procédures de décision s'inspirant de la méthode communautaire et adaptés à son fonctionnement spécifique. Le débat doit s'ouvrir sur ce point dès lors qu'un consensus suffisant sera acquis avec nos partenaires sur la finalité de l'avant-garde, le contenu des politiques à conduire ensemble et son articulation avec le reste de l'Union. À titre exploratoire, nous suggérons quelques pistes de réflexion et de principes :

 La Commission européenne aurait les mêmes attributions sur les différents domaines de compétence que dans l'Union européenne ;

 Le Conseil serait composé des représentants des Etats membres de l'avant-garde. La règle de vote serait la majorité qualifiée. La présidence en exercice du Conseil de l'Union, quand elle ne serait pas exercée par un des Etats membres participant à l'avant-garde, serait associée aux travaux sans voix délibérative ;

 Le Parlement serait composé des députés du Parlement européen appartenant aux Etats membres qui participent à l'avant-garde et de représentants élus par les Parlements nationaux de ces mêmes Etats membres. Il devrait développer des relations de travail étroites avec le Parlement européen pour s'assurer de la compatibilité de son action législative avec celle de l'Union européenne. Il aurait le dernier mot sur les problèmes de subsidiarité ;

 La Cour de Justice de Luxembourg serait compétente sur les problèmes d'interprétation relatifs à la compatibilité des actes de portée juridique issus des délibérations des institutions de l'avant-garde avec les traités existants.

Il va de soi, une fois encore, que l'avant-garde sera ouverte à tous les Etats membres qui souhaiteraient en faire partie et en accepteraient les disciplines.

Cette démarche permet de ne pas poser le préalable de la négociation d'un traité, celui-ci consacrant, le moment venu, le bon fonctionnement d'une avant-garde qui se serait trouvée.

*****

Par cette contribution, nous entendons aider la réflexion du parti sur l'avenir de l'Union européenne élargie qui manifeste notre désir d'avancer vers plus de solidarité et de justice sociale.

Le bon fonctionnement de l'Europe communautaire et de l'Union élargie est indissociable d'une dynamique d'approfondissement enfin retrouvée.

L'avant-garde pour laquelle nous militons ne se construira pas sur les ruines de l'Union européenne. Elle se nourrira au contraire de son dynamisme retrouvé pour permettre d'aller encore plus loin sur la voie d'une Union sans cesse plus étroite des peuples de l'Europe. C'est pourquoi il est essentiel que la Conférence intergouvernementale réussisse.

– Signataires –

Jean-Marc AYRAULT  Olivier BAJALUNA   Alain BARRAU  Pervenche BERES  Jean-Louis BIANCO  Dominique BOCQUET  Pascal BONIFACE  Didier BOULAUD  Maurice BRAUD  Gwenegan BUI  Marie-Arlette CARLOTTI  Jean-Michel CASA  Gérard CAUDRON  Philip CORDERY  Danièle DARRAS  Michel DELEBARRE  Marie-Madeleine DIEULANGARD  Geneviève DOURTHE  Olivier DUHAMEL  Claude ESTIER  Raymond FORNI  Jean-Claude FRUTEAU  Gérard FUCHS  Nadia GANEM  Georges GAROT  Marie-Hélène GILLIG  Elisabeth GUIGOU  Sylvie GUILLAUME  Catherine GUY-QUINT  Adeline HAZAN  Jean-Paul HUCHON  Guy LABERTIT  Pascal LAMY  Patrick LEFAS  Louis LE PENSEC  Véronique LEVIEUX  François LONCLE  François MANCY  Béatrice MARRE  Pierre MAUROY  Louis MERMAZ  Pierre MOSCOVICI  Hugues NANCY  Jean NESTOR  Joseph PARRENIN  Régis PASSERIEUX  Nicole PERY  Jean-Pierre PHILIPPE  Bernard POIGNANT  Paul QUILES  Guy RAFFI  Michel ROCARD  Martine ROURE  Gilles SAVARY  Dominique STRAUSS-KAHN  Michel THAUVIN  Catherine TRAUTMANN  Christine VERGER  François ZIMMERAY



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