Pour le choix d’un nouveau modèle économique et social

Régis Passerieux

 Contribution générale au congrès national du Mans présentée par Régis Passerieux, conseiller général de l'Hérault (juillet 2005).

 
Le Parti socialiste souffre, ses élus et ses militants aussi : en cela, il est au diapason de la société française. Il ne comprend pas les hauts et les bas qui ont fait se succéder, à un rythme incompréhensible, le 21 avril, les incroyables victoires des régionales et des européennes, et le cinglant désaveu du 29 mai. Il ressent les désillusions de la société française, sa fatigue et ses craintes, mais, pas plus qu’elle, ne parvient à comprendre le monde nouveau qui nous domine, et à y faire face.

Il est maintenant devant un moment de vérité, face à la division de son électorat entre un repli archaïque sans débouchés et une adhésion au modernisme qui n’entraîne plus qu’une part de la société, urbaine et insérée.

Avec la dernière ligne de dépassement brisée, celle de l’utopie d’un modèle européen nouveau, qui devait, à travers l’Europe puissance, nous permettre de concilier le rapport à la mondialisation et notre modèle social, nous voilà face à la brutale réalité d’une société française en désarroi, qui nous interpelle dans l’urgence. Nous avons largement dépassé le stade de la peur, qui implique de rassurer et d’accompagner, mais atteint celui d’un essoufflement, d’un découragement et d’un abattement de la société française, y compris au coeur des classes moyennes, qui suscite une colère rentrée mais violente, dont nous ne sommes plus épargnés.

Nous ne pouvons plus faire faire l’impasse sur cet épuisement et les divisions de notre société au seul prétexte de nouvelles conquêtes européennes : après la « pause » de 1982, qui de parenthèse est devenue la ligne de continuité de la gauche de gestion, nous avions placé notre horizon collectif sur l’édification d’une Europe sociale, et focalisé sur ses succès les attentes de la société française. Aujourd’hui, il faut faire un constat sans concession : nous ne reprendrons, avec l’accord de tous les français, les chemins de l’aventure européenne qu’après avoir fait face et traiter les difficultés de l’économie et de la société française. Nous ne pourrons proposer un modèle à l’Europe qu’à condition de savoir nous même où nous voulons aller. Tel sera l’enjeu des élections à venir : quelle France dans quelle Europe ? Nous sommes, face à la force des faits, à la fin d’un cycle politique et historique. Nous ne repousserons pas plus loin les échéances.

La stratégie classique de la conquête du pouvoir par la gauche ne pourra, face à cet ordre de priorité, se contenter de la stratégie classique qui consiste à rassembler à gauche, puis à convaincre, pour élargir ce rassemblement, de notre capacité à une meilleure gestion. La société française a compris que des choix nouveaux devaient être résolument posés et assumés pour faire face efficacement à l’ordre du monde et se remobiliser.

Il nous faut renouveler nos idées et proposer avec franchise et clarté, face à la droite et face au modèle blairiste, notre vision d’un nouveau modèle social, global et cohérent.

L’affirmation directe de ce modèle, qui est susceptible d’être partagé par une très large majorité de français dans le contexte d’une crise exceptionnelle, est le seul fondement possible d’un vrai et efficace rassemblement. Les français ne doivent nous sentir ni repliés sur des vieilles recettes, ni tièdes. Ils doivent nous sentir résolus et déterminés à conduire les changements qui s’imposent. Nous nous tromperions à ne proposer qu’une forme nouvelle de nos projets traditionnels. La période n’est pas propice aux seules habilités tactiques. Elle exige du courage et de la sincérité. Il nous faudra rebâtir la société française pour rebâtir l’Europe.

Dans ce climat grave, le Congrès ne peut se résumer en un combat stérile : celui de la confrontation entre ceux qui se revendiquent d’une gauche intransigeante et repliée sur le camp du « non » et ceux qui se revendiquent du modernisme et de l’Europe, crispés sur un regret du « oui », qui peut vite être compris comme de l’arrogance.

A ce jeu, nous aggraverions stérilement les divisions de notre électorat, chaque composante du parti gérant égoïstement sa base, sans offrir à l’électorat de la gauche les perspectives nouvelles qu’il attend : celles d’une société française réconciliée avec elle-même autour d’un modèle économique et social qui donne à chacun sa chance et que nous pourrions traduire dans un nouvel idéal européen.

Nous sommes maintenant placés au pied du mur : il nous faut dire quelle société nous voulons, en dessiner les règles, et fixer les limites de ce que nous pouvons concéder, pour que nos partenaires européens le sachent et qu’avec eux, un dialogue sans faux semblants puisse s’installer.

Pour cela, il nous faut de la franchise et du courage : faire un constat sans concession de la société telle qu’elle est, devenue insupportable au plus grand nombre ; faire des choix économiques et sociaux clairs, même s’ils sont douloureux ; se donner les moyens de les mettre en oeuvre en changeant nos institutions républicaines et en disant quelle Europe nous voulons.



Faire un constat sans concession
de la société dans laquelle nous vivons

 
Nous en sommes dans nos constats trop restés à la surface des choses : en mettant l’accent, dans nos analyses successives sur l’individualisation des comportements dans la société française, nous avons confondu les causes et les conséquences : l’individualisme croissant n’est pas la cause des évolutions économiques et sociales ; il en est la conséquence, non maîtrisée, et, pour le plus grand nombre des français, surtout issus des classes populaires, non désirée. La société française a soif d’engagement collectif.

Les causes de cette dissolution du lien collectif sont doubles : l’abandon sans résistance à un modèle économique d’une part ; la crise propre de l’identité française d’autre part. Il faut porter un regard lucide et sans concession sur ces deux moteurs de la fracture pour pouvoir y apporter de réelles et efficaces réponses politiques.

1) L’abandon sans résistance à un modèle économique

Depuis la chute du mur de Berlin, un nouvel équilibre stratégique conditionne notre vie quotidienne : l’effondrement de l’empire soviétique a par ricochet favorisé la toute puissance d’un modèle fondé sur l’échange sans freins. Le modèle projeté au début des années 80 par Reagan et Thatcher a rencontré les conditions stratégiques de son déploiement sans limites à partir du début des années 90.

Depuis lors, la concurrence totale par les coûts est devenu la règle et s’impose sans qu’aucune réelle régulation n’assure le respect et la conciliation avec cette concurrence des exigences fondamentales d’équilibre social, d’éthique, de préservation des ressources écologiques, qui sont pourtant essentielles à la bonne vie des sociétés.

L’institution des règles nouvelles de l’Organisation Mondiale du Commerce aboutit à une ouverture totale des marchés, sans précaution, qui nous fait exporter vers les pays émergents des technologies qui croisées avec les bas coûts salariaux, induisent par un mécanique de ricochet l’effondrement de pans entiers de notre industrie patiemment construits pendant des décennies. Contrairement à ce qui est affirmé, là réside la cause de notre délitement économique, et non dans l’adhésion au marché communautaire des anciens pays de l’Est, qui sont un marché de proximité profitable pour nos biens et services, et dont le standard de vie est parfaitement susceptible de se rapprocher du notre en quelques années.

Seuls ou presque les Etats-Unis ne pâtissent pas de cette situation car un effet de domination stratégique leur permet de peser à leur profit sur le système international pour ne pas subir les conséquences des règles du jeu qu’ils contribuent à imposer : leur poids leur permet la dissuasion commerciale et le financement de leur déficit par le reste du monde. Cette position particulière, les critères de leur politique internationale en fournit chaque jour illustration : la politique américaine se concentre quasi-exclusivement sur les zones de ressources énergétiques, Moyen-Orient, Asie Centrale, Afrique de l’Ouest, et sur le cantonnement de la Chine, afin d’obliger cette nouvelle superpuissance à composer avec les seuls intérêts américains, à notre détriment.

Quant aux petits pays qui ont su obtenir des résultats économiques positifs, Danemark, Norvége, Suéde ou Irlande, tout en sauvegardant leur modèle social, ils n’ont du souvent cette position bénéfique qu’à l’occupation de niches industrielles ou financières grâce à leur taille. Cette situation risque de n’être que provisoire, comme le montre l’exemple de la Hollande, présenté il y a à peine un peu plus de cinq ans encore comme le modèle salvateur. Dans tous les cas, de telles réponses ne sont pas pertinentes à l’aune des grandes nations industrielles. Le modèle nordique fournit sans aucun doute des éléments d’exemples utiles pour le traitement du chômage, mais pas plus.

Le projet européen a été profondément déstabilisé par ces évolutions : les anciens pays du bloc de l’Est, il nous faut le comprendre, ont adhéré sans réserve, après des décennies de totalitarisme, à une vision sans nuance de la liberté économique. L’Europe n’avait pas atteint le degré d’intégration et de consensus politique pour pouvoir encore apporter une réponse collective à un tel bouleversement. Enfin, la Grande-Bretagne a su exploiter la situation pour imposer sa vision de toujours de l’Europe, celle d’une zone de libre-échange, par une politique remarquable et efficace de pénétration et d’influence au sein des instances de décision communautaires.

Les conséquences de ces bouleversements sur l’économie et la société française sont considérables. L’effondrement de pans entiers de nos industries induit un chômage de masse jamais connu sur une si longue période. Le financement de ce chômage, allocations et prises en charge des dépenses de santé, dans un contexte où l’essoufflement économique assèche les ressources financières et où il faut financer les dépenses de retraites de générations âgées nombreuses, fait peser sur les classes moyennes une charge de financement devenue intolérable.

Seuls les classes supérieures bénéficient d’une progression de la valeur des patrimoines au bénéfice des nouvelles règles financières internationales, et les inégalités n’ont dès lors jamais atteint un tel degré, entre les classes et entre les générations. De même, les grandes entreprises de service et industrielles positionnées sur les marchés internationaux en croissance (eau ; environnement ; énergie ; automobile ; aéronautique ; armement ; grande distribution) tirent leur épingles du jeu et présentent des profits exceptionnels en violent contraste avec la morosité de l’économie générale. A l’inverse, les PME et les secteurs artisanaux, de commerce et de service, confrontés à des coûts et charges insurmontables, ne peuvent prospérer dans une atmosphère de concurrence dynamique et créative. Elles souffrent.

Dans ce contexte de rétrécissement de la richesse, chacun tente de survivre et de se sauvegarder : l’individualisme croissant puise dans les ressorts du modèle économique. Il est attisé par le nouveau modèle de consommation, qui cherche de nouveaux débouchés, malgré l’essoufflement du pouvoir d’achat, dans la proposition de nouveaux produits, toujours plus différenciés : notre société de poches de pauvreté n’ a jamais vu un tel étalage publicitaire d’abondance. Notre société délitée est une société d’hyper-consommation. Le désir attisé multiplie les frustrations dans une société d’inégalités croissante et de précarité.

Quel que soient les alternances, les classes actives se sentent abandonnées par leurs dirigeants aux conséquences de ce modèle économique. C’est dans ce contexte, qui lie la problématique sociale à la problématique internationale, qu’il faut lire les enseignements des scrutins du 21 avril 2002 et du 29 mai 2005 qui ne sont nullement en rupture avec les votes des élections locales et européennes du printemps 2004 : ils sont tressés du même fil d’une demande de contestation du modèle économique aujourd’hui dominant, auquel les forces politiques n’ont pas répondu.

2) La crise de l'identité française

Ces bouleversements touchent d’une manière radicale la société française parce que le modèle politique de notre pays est particulièrement vulnérable à ces évolutions.

Le modèle républicain est bâti depuis l’émergence de la question sociale sur trois piliers solidaires : un modèle institutionnel centralisé animé par une administration innovante ; une citoyenneté fondée sur l’adhésion à un projet politique national ; un système de prévoyance social remplaçant les solidarités naturelles des communautés et des territoires autour de la sécurité sociale.

C’est la force du mouvement socialiste que d’avoir apporté à la République ce troisième pilier et de l’avoir fusionné avec les deux autres. Notre socialisme est républicain, et non social-démocrate, car il s’appuie sur ce modèle public et institutionnel et non directement sur les corps intermédiaires.

Ce modèle n’est pas celui de la majorité de nos partenaires européens : la Grande-Bretagne a construit sa société sur des classes sociales plus étanches et le pacte d’égalité n’est pas constitutif du pacte politique ; son projet, insulaire et océanique, est tourné vers le grand large.

L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne sont historiquement des pays fortement décentralisés où les solidarités régionales prédominent, rassemblent et mobilisent. Les pays scandinaves puisent leur énergie collective dans une communauté solidaire et naturelle. Les petits pays européens, Belgique, Hollande, Danemark, vivent une proximité politique quotidienne qu’ils ne veulent voire diluer.

Nous souffrons ainsi plus que les autres de la disparition, sous la pression du nouveau modèle économique, des solidarités institutionnelles : aucune solidarité de voisinage, régionale ou communautaire, ne les remplacent lorsqu’elles s’effacent sous la pression de la mondialisation et de l’intégration européenne.

La carte des votes est à cet égard édifiante : là où il y a encore un projet collectif et des moyens financiers et économiques puissants pour le mener à bien, Paris et les grandes villes, où là où les solidarités naturelles et culturelles sont encore vivaces, la Région Bretagne par exemple, le vote positif l’emporte encore; là où le projet national ne parait plus s’incarner, dans les petites villes, les banlieues et les campagnes, le vote de rejet est massif. La France traverse avec la crise sociale une crise des territoires, et les territoires qui se sentent « lâchés » y puisent un attachement plus vivace que jamais aux services publics, vécus comme l’un des derniers liens, bien au-delà du seul service rendu, de rattachement à un destin collectif.

Il ne faut dès lors pas s’étonner que le Front National, qui s’est saisi de cette question sociale et à travers elle de la question nationale, par un choquant retournement du modèle républicain, ait été présent au second tour des élections présidentielles de 2002.

Il ne faut pas s’étonner non plus que notre pays ait le premier et le plus bruyamment apporté un veto au nouveau modèle économique du monde par son vote du 29 mai, en mêlant un vote nationaliste et un vote social.

Le parti socialiste ne peut aujourd’hui faire l’impasse de la question républicaine au seuil nécessaire d’une nouvelle intégration européenne.



Faire des choix clairs
autour d’un nouveau modèle social

 
Le degré de la crise est aujourd’hui tel que la question du modèle économique et social est posée. Elle est indissolublement liée à la question internationale et européenne : il ne peut plus être fait par les responsables politiques un constat d’impuissance face aux désordres du monde. Les lignes de défense de notre modèle de société doivent être portées vers les problématiques internationales. Il nous faut donc débattre de ce modèle social, l’actualiser, et traduire en termes clairs, concrets et cohérents nos choix en terme de politique économique, de politique sociale, puis, en conséquences, de politique européenne et de positionnement international.

1) La question du modèle économique et social

    a) la crise du modèle sociale laisse le champ libre à des solutions radicales
    Nous n’échapperons plus à l’effort de la définition d’un nouveau modèle économique et social. L’immense et impardonnable responsabilité historique de Jacques Chirac, au lendemain du traumatisme et du message du 21 avril, c’est, avec 80 % des voix, de ne pas avoir eu la capacité de faire des choix nouveaux et courageux et de respecter l’effort de rassemblement qui s’était manifesté. Nous payons aujourd’hui collectivement cette incapacité historique de Jacques Chirac d’un double prix : celui de la menace qui pèse désormais sur le projet européen et celui d’une crise de régime. Mais, nous même, n’avons pas pris toute la mesure de la gravité des choses, en ne proposant pas depuis trois ans des solutions nouvelles et offensives aux français. C’est pourquoi nous payons nous aussi le prix de la crise.

    Le risque est de voir émerger à droite une réponse dangereuse à la crise : celle, proposée par Nicolas Sarkozy, de l’abandon pur et simple du projet républicain pour se mouler dans l’ordre inégalitaire du nouveau modèle économique d’échanges. A la crise économique, sera apportée la réponse de la dérégulation, au prix de la précarité organisée et de l’acceptation d’une société d’inégalités. A la crise de l’identité française, sera apportée la réponse sécuritaire, par un maillage policier du territoire et un attisement de la peur de l’étranger.

    Il ne faut plus sous-estimer le péril de voir cette option politique trouver une base électorale majoritaire : le degré d’épuisement et de désespérance de pans entiers de la société française a atteint un tel niveau et le degré de la crise politique un tel sommet que le besoin de changement peut s’orienter vers l’abandon radical des piliers du modèle républicain. Le discours contre l’immobilisme porte.

    Face à cette situation, notre responsabilité est écrasante : devant la multiplication des abus du nouveau capitalisme, qui voit des responsables de grandes entreprises s’octroyer des primes et retraites de dizaines de millions d’euros et refuser des augmentations minimes de salaires, devant la fatigues des classes moyennes salariés et indépendantes, écrasées de charges, devant la crise de financement de nos services publics et collectifs, exsangues, devant l’illisibilité et la complexité de nos institutions, sourdes aux requêtes des citoyens, devant la désespérance de la jeunesse, les solutions moyennes ne sont plus de mise. Elles ne seront pas écoutées.

    Nous devons poser les bases d’un nouveau modèle social, et définir, en fonction des objectifs qui en découlent, de manière réaliste mais ferme, nos rapports aux questions européennes et internationales.

    Face à la crise de la croissance et de l’insertion dans l’échange international, la réponse positive des socialistes doit être celle d’une société du développement.
    b) Notre réponse : une société du développement contre la société marchande de consommation
    Nous sommes dans une société où les choix publics ne sont plus opérés. Dans le respect de leurs valeurs et d’un modèle républicain rénové, les socialistes doivent se décider à opposer au modèle de l’économie marchande de concurrence totale le modèle d’une société du développement, conciliant protection, initiatives, création de richesses et préservation des ressources.

       Une société du développement, c’est une société qui fait de la santé, de l’éducation, du logement et des transports collectifs ses priorités.

    Il est absurde de continuer à tolérer une situation dans laquelle on préfère, sous la pression continue du modèle d’hyper-consommation dominant, changer souvent son véhicule ou son téléphone portable, plutôt que de bénéficier des nouvelles possibilités de la technique médicale, investir sur l’intelligence, ou bien se loger.

    Nous devons réorienter des ressources financières massives vers les secteurs de la santé, de la lutte contre les handicaps, de l’éducation et de la recherche, du logement, et des transports publics. Cela implique un effort sans précédent de redéploiement budgétaire vers l’hôpital, l’école, les transports urbains et la politique de logement social et d’allégement des charges foncières et immobilières. Cela implique aussi de relegitimer la dépense publique et de faire des choix prioritaires et assumés dans les missions de service public.

       Une société du développement, c’est une société qui n’accepte pas la disparition de ses branches industrielles.

    Les dirigeants de notre pays ont accepté le délitement de pans entiers de notre outil productif, et les français ne l’acceptent pas. Cet abandon du tissu industriel mine notre développement, attise le chômage, et assèche la richesse nationale, et en conséquence le financement de nos systèmes de prévoyance et de solidarité.

    Nous devons placer des limites et exiger des règles à la compétition par l’abaissement des coûts : il n’est plus possible d’accepter un système de commerce international non régulé. Les pays émergents doivent pouvoir commercer avec nous, mais sur des bases prenant graduellement en compte leur accession légitime aux standards sociaux.

    La compétition entre entreprises sur le plan européen, au-delà des différences des systèmes fiscaux et sociaux, est soutenable si nous savons consacrer les moyens d’un budget européen conséquent au rattrapage des nouveaux accédants. Sous cet angle, ce n’est pas la question de l’élargissement qu’il faut poser d’abord mais celle de l’Organisation Mondiale du Commerce.

       Une société du développement, c’est une société qui favorise son tissu d’entreprises artisanales et de service.

    Les petites et moyennes entreprises peuvent créer des millions d’emplois qui répondent aux besoins de consommation de proximité des français. La structure et le poids des charges ne le permettent pas. Il faut changer les mécanismes de financement collectif pour libérer cette activité et assurer, par un contrat d’activité garanti par l’Etat et adossé au contrat de travail, à la fois la stabilité des statuts sociaux et professionnels et la souplesse de recrutement.

       Une société du développement, c’est une société qui mobilise ses richesses en hommes.

    Jamais le gâchis des compétences et des savoir-faire n’avait atteint un tel degré dans nos sociétés, dont la jeunesse et les expériences acquises sont sacrifiées d’un même mouvement. La mobilisation de toutes nos forces pour mettre en oeuvre un système mutualisé de formation professionnelle permanente, autour du contrat d’activité, est un impératif national qui exige des solutions innovantes.

       Une société du développement, c’est une société qui n’abandonne pas ses territoires.

    La politique d’aménagement du territoire doit redevenir une grande ambition nationale. Une grande loi cadre de service public doit définir les missions, les objectifs et les moyens des outils publics pour garantir à tous et partout l’accès au développement. Cette action est inséparable d’une grande réforme de l’Etat qui diffusent les moyens publics vers les territoires, régions, départements et ensembles urbains et communautaires, moteurs de la diffusion d’un développement partagé, et qui pour redéployer les moyens, doit clarifier une imbrication devenue trop complexe et stérilement coûteuse des administrations.

    Notre modèle de progrès est en crise, et avec lui le modèle républicain sur lequel il était fondé. Nous devons réévaluer notre conception du progrès pour rénover notre modèle républicain. Alors que la droite est prête à l’abandonner et à le sacrifier pour l’adhésion sans réserve au modèle d’hyper-consommation et d’hyper-competitivité, la gauche doit offrir une alternative claire : proposer à la République un nouveau modèle de développement. C’est à travers cette nouvelle orientation politique la conception même de la croissance qui est en cause : il va falloir avoir le courage d’en donner une nouvelle définition.

2) Des choix courageux et prioritaires

Un modèle doit s’incarner et se traduire dans des mesures immédiates : La société française est en état d’urgence. Elle a besoin de la part de ses dirigeants d’une véritable volonté d’agir. En même temps, la réalité brutale de l’héritage du gouvernement, qui ne se sera pas effacée en 2007, c’est, en résultante d’une politique qui a étouffé le pouvoir d’achat et la croissance, l’absence de toute marge de manoeuvre financière. C’est à la fois une contrainte, mais cela peut être aussi, dans une certaine mesure, une chance, car la situation ne permettra plus d’éluder les reformes de fond nécessaire.
    a) Financements : des prélèvements plus juste et plus efficaces
    La structure des prélèvement est absurde : elle frappe les salariés, de manière de moins en moins progressive et juste, et les entreprises qui embauchent. Elle favorise donc le chômage, qui lui-même alourdit les prélèvements, créant une spirale sans fin du sous-emploi.

    Le temps des demi-mesures est passé. L’impôt sur le revenu se rétrécit alors que les cotisations proportionnelles, et d’abord la CSG enfle. La CSG et les cotisations salariés d’assurance-maladie, familiales et chômage doivent être fusionnées avec l’impôt sur le revenu pour établir un seul prélèvement, à la source, progressif, concernant tous les revenus, y compris ceux du capital. Cet impôt financera l’ensemble des systèmes de prévoyances et il sera pour cela affecté aux caisses d’assurance maladie et familiales. L’impôt foncier local, scandaleusement injuste, sera remplacé par une taxe additionnelle à cette nouvelle cotisation générale à la source sur le revenu.

    En contrepartie, et pour assurer l’équilibre du budget de l’Etat, les déductions de charges sociales multiples, complexes et inefficaces, prises en charge par le budget général, seront supprimées. Afin de rendre plus juste et efficace les cotisations employeurs, celles-ci seront, à l’exception des cotisations retraites, assises sur la valeur ajoutée. Elle seront minorées pour les entreprises qui recrutent et majorés pour les entreprises qui licencient ou délocalisent malgré des résultats positifs.
    b) Contrat de travail et chômage : mise en oeuvre d’un contrat d’activité
    Le service public de l’emploi et de la formation professionnelle n’est pas organisé à la mesure de la dimension du chômage : les mécanismes de retour à l’emploi sont touffus, peu efficaces ; les structures de formations professionnelles et de requalification complexes, sédimentées, coûteuses et peu harmonisées. La perte d’emploi est dans ce contexte le commencement d’un parcours du combattant le plus souvent décourageant.

    Le service public de l’emploi et de la formation professionnelle sera unifié dans des agences régionales, dont les objectifs et les moyens seront définis par une loi nationale. Ces agences seront dotées d’un conseil d’administration tripartite rassemblant élus des territoires, représentants des entreprises, syndicats. Elle signeront avec chaque demandeur d’emploi un contrat d’activité prévoyant une indemnisation assortie en contrepartie d’une formation couplée avec une activité à temps partiel, en entreprise ou en collectivité.

    Ce contrat d’activité se substituera au RMI et à l’ensemble des formes d’indemnité chômage.
    c) Réforme de l’Etat, aménagement du territoire et service public : de nouvelles ambitions
    La réforme de l’Etat est une urgence : trop de structures sédimentées forment un dédale pour le citoyen et pèsent sur les financements publics. Un rassemblement des structures publiques, autour d’une logique d’objectifs, s’impose, qui sera discuté et négocié avec les organisations syndicales de fonctionnaires. L’arrivée des classes nombreuses de fonctionnaires à la retraite doit être l’occasion d’un redéploiement des moyens vers les secteurs prioritaires : il faut plus d’infirmières, de juges, de praticiens hospitaliers, de puéricultrices. La gauche ne doit pas laisser le thème de la réforme de l’Etat à la droite, car pour cette dernière, elle signifie démantèlement et privatisation. La mission de la gauche est de remobiliser les agents publics. Répondre à la crise de la société, c’est aussi répondre avec courage à la crise de l’Etat.

    L’aménagement du territoire doit voir ses moyens d’action simplifiés : les moyens locaux de financement de grandes infrastructures doivent être concentrés vers les régions, qui doivent recevoir de l’Etat de nouvelles compétences et de nouveaux moyens pour redynamiser économiquement les zones en sous-activité et en recul. Les départements doivent être confirmés dans leur action de solidarité et de proximité. Cet aménagement du territoire doit être plus juste : une loi d’égalité doit enfin assurer une stricte égalité financière entre collectivités pauvres et collectivités riches. Face à la gravité de la crise des territoires, la République ne doit plus tolérer de si criantes inégalités de ressources entre territoires riches et territoires pauvres.

    Le service public doit devenir l’un des grands chantiers des dix années à venir, non pour le défendre, dans un sentiment que le recul est acquis, mais pour le dynamiser, le stimuler et le moderniser. Ses missions et ses grands objectifs doivent être définis en considération des grands enjeux du futur en terme de développement : formation, logement, transport, nouvelles technologies, recherche. Son organisation doit être celle de la personnalité publique chaque fois que l’accès à un bien ou un service essentiel est en cause, et il faudra revenir sur les privatisations partielles d’EDF et GDF car les services essentiels ne peuvent être indexés sur les marchés boursiers. Enfin, il faut être clair vis-à-vis de nos partenaires européens : chacun en Europe doit être libre de décider, en fonction du consensus social propre à chaque nation, ce qui doit être libéralisé ou non. Le service public est au coeur du pacte social. Il faudra nous opposer désormais à l’échelon communautaire à toute libéralisation imposée de ce que nous aurons défini, dans une loi cadre de service public, comme ressortant du bien commun, et non du marché.

    Une grande loi cadre de réforme de l’Etat, d’aménagement du territoire et de service public doit refonder, après un large débat national, l’action publique dans une République rénovée et plus décentralisée.
    d) Un dialogue social assumé dans la République
    Il faut se le dire : la République, en confiant à l’Etat, au nom des citoyens la mission de forger et de porter le projet collectif n’a laissé aux organisations syndicales qu’une place étroite dans l’innovation sociale en comparaison de nos partenaires européens.

    La République doit évoluer : elle doit fixer le cadre des grands projets mais débattre avant d’agir et d’appliquer. Pour cela, il faut des syndicats forts et enracinés partout sur le territoire, proches des entreprises de toutes tailles. Dans les territoires éloignés des grandes métropoles industrielles, l’esprit de proximité des bourses du travail doit être retrouvé. Les territoires sont une nouvelle force du syndicalisme.

    Il est grand temps de passer à l’acte et de donner au syndicalisme les moyens d’agir : la Nation doit donner aux syndicats représentatifs, comme il le fait pour les partis politiques, dans des règles objectives et de stricte garantie de l’indépendance, des moyens à proportion des formidables enjeux sociaux qui se dessinent.
    e) L’Université et la recherche
    Le retard de la France dans le domaine universitaire et de la recherche est une injure à l’avenir. En cinq ans, dans l’espace d’une seule mandature, la France doit avoir comblé ce retard et s’être doté d’outils et d’institution performants dans les domaines du savoir universitaire et de la recherche. C’est avec la lutte pour l’emploi, et au même rang, la première priorité nationale.
    f) Economie et industrie
    La question de l’appareil productif est redevenue centrale alors que les délocalisations, les démantèlements successifs menacent nos savoir-faire et contribuent au sinistre de territoires entiers. La question est l’une des plus difficile qui nous soit posée : Est-il nécessaire de remettre en cause une partie de nos engagements dans le commerce international pour permettre à la France de demeurer une Nation industrielle et technologique ? Cette question, grave et lourde de conséquences, doit être posée sans tabou et faire l’objet d’un grand débat national. Il serait absurde qu’elle concerne le grand marché européen, qui est pour nous une chance, et dont la concurrence n’est pas destructrice, bien au contraire, avec des pays qui sont proches de nos standards de développement.

    Rien ne saurait être plus absurde que le repli, prélude à une fossilisation de l’esprit d’entreprise et d’innovation, et à l’appauvrissement. Mais à l’inverse, il est désormais patent qu’il n’ y a plus, face aux pays émergents, d’avantages compétitifs durables par la seule maîtrise des produits et technologie de nouvelles générations : les avantages commerciaux de l’innovation sont devenus courts et éphémères vis-à-vis de pays qui disposent d’une matière grise efficace et faiblement rémunérée. Dans quelques années, ces pays iront, comme la Corée d’aujourd’hui, vers des standards sociaux qui nous sont proches et qui équilibreront les conditions de l’échange avec eux : mais d’ici là, aurons nous encore conserver notre tissu industriel et nos savoir-faire ? N’est-il pas d’ailleurs nécessaire, y compris pour les pays émergents, que la focalisation d’une concurrence sur les marchés extérieurs par les coûts ne les détourne de la construction d’un grand marché intérieur et d’une meilleure rémunération de leurs salariés ?

    Une régulation est devenue nécessaire, qui remet en cause les formes de notre engagement au sein de l’OMC, question incontournable mais complexe, car nous avons délégué à l’échelon communautaire cette question, et l’imbrication de nos économies européennes dans l’échange rend peut crédible et efficace une action solitaire. La discussion d’une nouvelle politique industrielle à l’échelon communautaire est imbriquée dans les choix communautaires face à l’OMC.
    g) la question de la croissance et de la société d’hyper-consommation
    La recherche forcenée d’une croissance nominale forte et continue laisse penser que là se trouvera la réponse définitive au chômage de masse. Pourtant l’expérience des trente dernières années démontre le contraire, et laisse au français un goût amer d’épuisement.

    La création de richesses est nécessaire, mais nous devons avoir une conception nouvelle de la richesse, qui soit plus qualitative, plus partagée et plus durable. Chacun constate qu’une croissance effrénée n’est plus tenable, pas assez créatrice d’emplois, destructrice des hommes et de la nature.

    Des mesures concrètes doivent conduire l’économie non pas seulement à produire plus mais à produire mieux : des normes de solidité, de durabilité, de sécurité sanitaire doivent être imposées de manière rigoureuses sur le marché national, et défendues par la France à l’échelon communautaire. Une législation sévère sur les emballages, le gaspillage des ressources naturelles et les produits polluants doit être édictée. Produire mieux implique aussi un droit de la concurrence et de la consommation plus juste et moins favorable aux très grandes entreprises : les petites entreprises sont étranglées par les grands donneurs d’ordre de l’industrie et de la distribution et ne bénéficient pas des même armes pour profiter des dispositifs d’aides. Un droit économique et de la concurrence juste doit se donner pour objectif de favoriser la créativité économique et l’emploi. Lutter pour l’introduction de normes dans l’échange international est évidemment une priorité, mais rien n’empêche, dans l’immédiat, de les mettre en oeuvre dans l’économie réelle dont nous avons, quoi qu’on en dise, la maîtrise : l’économie nationale.

    Cette action doit être mesurable : la Comptabilité Nationale, qui fournit l’indice de la croissance n’est plus adaptée à elle seule aux exigences politiques de notre temps. A l’indice de croissance doit être assorti désormais un indice annuel de développement, base de l’évaluation des politiques conduites.

    Un nouveau modèle économique et social durable doit se fonder sur une conception nouvelle du progrès. Il nous faut, dans le projet d’une société du développement, nous libérer d’une conception étriquée de la compétitivité et dégager nos sociétés d’une conception du bonheur marchandisée.
    h) Dénouer l’angoisse des retraites
    La peur des retraites paralyse les générations actives. Elle est trop abordée sous le seul angle étroit et comptable de l’équilibre des caisses de retraites. Le problème est cependant beaucoup plus large et ne peut être séparé des problématiques du plein emploi, de l’héritage par les futures générations de la dette publique, et des inégalités de patrimoine, notamment immobilier.

    La perspective des retraites est donc inséparable d’une politique de rétablissement progressif de l’égalité des patrimoines entre les générations et les groupes sociaux et d’une autre organisation de l’économie, tournée vers la production de biens plus durables et plus essentiels. Elle est la résultante d’une politique globale. Mais des signes immédiats doivent être donnés : les déduction profitant à la capitalisation pour les hauts revenus, déjà détenteurs de patrimoine, doivent être supprimés ; dans le cadre d’un choix reconfirmé pour le régime de répartition, les sommes qui y sont consacrés doivent être réorientées vers les régimes complémentaires pour les salaires bas et moyens. L’option pour une retraite à la carte, avec l’allongement de l’espérance de vie, doit être affirmée et prendre en compte de manière marquée la pénibilité des tâches et la réalité de l’usure professionnelle.



Une nouvelle démocratie dans la République pour se donner les outils politiques du changement

 
La question de la démocratie est maintenant clairement posée, à la fois dans le fonctionnement de la République et à l’échelon de l’Europe. Une politique de choix implique une adhésion populaire, un débat permanent et non confisqué, une continuité dans l’action qui implique une légitimité. Or la Véme République centralisée, pyramidale, hiérarchisée et distante, complexe dans l’imbrication de ses territoires, est en crise : Elle ne porte plus les aspirations concrètes des citoyens. Elle ne sait plus écouter et entendre. Nos institutions européennes apparaissent éloignées et bureaucratiques. Nos partis sont coupés des citoyens : trop centralisés et insuffisamment réactifs, peu innovants, il ne se saisissent pas assez vite des préoccupations nouvelles des électeurs. Le temps des réformes courageuses est venu.
    a) Des institutions plus proches et plus vivantes
    L’accès de couches nouvelles et plus jeunes aux responsabilités politiques est une urgence : elle passe par une interdiction stricte et immédiate des cumuls de mandats. Cette mesure appelle en contrepartie un vrai, clair et simple statut de l’élu : chaque gestionnaire de collectivité doit bénéficier de la rémunération du plus haut fonctionnaire de la collectivité.

    Le débat doit devenir permanent et refléter la réalité des sociétés : le scrutin proportionnel doit devenir la règle pour les élections parlementaires. L’argument du risque de l’éloignement du terrain est néanmoins pertinent : la proportionnelle doit s’opérer à l’échelon des régions ou des grandes régions.

    La séparation de pouvoir entre le délibératif, l’assemblée, et l’exécutif, le maire ou le Président, doit devenir la règle dans le fonctionnement des collectivités locales, comme partout ailleurs dans les démocratie européenne.

    La démocratie locale doit être simplifiée et consolidée : il est devenu temps que les élus d’intercommunalité, détenteurs désormais de pouvoirs importants, soient élus au suffrage direct, le même jour que les maires.

    La sécurité dans la République est un devoir des institutions, et la gauche, si elle n’en fait pas comme la droite un thème de manipulation, ne s’est pas montrée dans les faits moins attentive et efficace que la majorité actuelle dans sa volonté de lutte contre la délinquance. Cette protection est inséparable, contrairement à la vision de la droite, de toutes les autres protection que la société doit au citoyen : celles du social, de la santé, de la protection sanitaire. Il n’ y a pas de hiérarchie entre ces sécurités : le devoir des institutions, c’est de garantir une société libre et pacifiée, et par l’exemplarité morale de ceux qui en sont en charge, de conforter les repères.
    b) L'Europe devant des choix historiques
    Le rythme de la construction européenne était paralysée, bien avant le référendum du 29 mai, par une opposition radicale entre deux conceptions : celle d’un grand marché, fondée sur le mécanisme d’une concurrence toujours plus étendue ; celle d’une union politique, soucieuse de mettre en place et de partager des outils de régulation politique. Il faut être lucide : à la faveur de l’élargissement et de la domination internationale des conceptions libérales, les tenants du premier camp ont remporté des succès considérables. Ils ont su les consolider par une politique de présence politique et d’intransigeance qui nous a fait défaut. Il ne faut pas oublier que le dernier grand saut de l’intégration, la monnaie unique, comme l’espace Schengen s’est fait sans l’accord, ni la participation des tenants d’une autre conception. Où a-t- on vu que l’Europe n’était pas déjà à plusieurs vitesses ? Bien avant le référendum, l’Europe était déjà divisée, dans les esprits et dans les faits, et le sens du « non » est dans une large mesure un refus d’acter ce qui a été ressenti par beaucoup comme un déséquilibre réel et déjà présent que la Constitution ne paraissait pas susceptible de rétablir.

    L’adoption de la nouvelle Constitution aurait renvoyée à son application la réponse quant à savoir quelle conception était destinée à l’emporter. Bien de ceux qui ont voté oui l’ont fait malgré un doute à cet égard. Beaucoup de ceux qui ont voté non l’ont fait parce qu’ils était convaincu que cette application n’aurait pas été conforme à une lecture sociale et intégrée du contenu, souvent ambigu du traité. Mais désormais, le non l’ayant emporté, nul ne peut plus éluder un conflit frontal de conceptions quant à la vision de l’Europe.

    Une renégociation portant sur la recherche d’un nouveau point moyen est vaine : elle aboutira au même résultat, nul n’étant prêt à abandonner devant ses peuples des convictions historiques ancrées et nul cosmétique, après une épreuve de vérité aussi crue, ne pouvant plus masquer la réalité d’une divergence fondamentale. Toute continuation du processus de ratification est désormais privée de sens politique.

    La seule voie qui demeure ouverte est la plus difficile : celle qui consiste désormais à assumer, au moins pour quelques décennies, l’Europe à deux vitesse. Le noyau dur existe : c’est celui de la monnaie unique, constituée des peuples qui ont fait le pari de l’intégration d’une part de leur souveraineté. Chacun peut le rejoindre, et en particulier, dès les acquis du rattrapage confortés, les nouveaux arrivants : il est par principe ouvert. Il doit désormais se consolider des autres attributs d’une vraie politique économique : politique industrielle, politique de recherche, avec un vrai budget, harmonisation des conditions de production, politique de coopération économique internationale et peut être, le point est à débattre, la politique commerciale extérieure. Il se peut que ce mécanisme de noyau dur ne puisse faire consensus immédiatement au sein du groupe des pays ayant choisi la monnaie unique et ne se mette en place que lentement : il n’en demeure pas moins désormais la seule voie réaliste de long terme pour faire avancer l’Europe autrement qu’en apparence.

    Le deuxième cercle sera celui de l’intégration commerciale et de quelques politiques partagées : PAC, co-développement, concertation sur les questions stratégiques, lutte contre la criminalité internationale, droits de l’homme, libre circulation des citoyens. Ce cercle a vocation à pouvoir accueillir la Turquie, aussitôt qu’elle satisfera pleinement aux critères dits de Copenhague et que son niveau de développement aura atteint un seuil garantissant que le continent ne subira pas un choc concurrentiel.

    La nécessité d’une coordination institutionnelle appellera autour cette architecture un nouveau traité, reprenant pour l’essentiel les dispositions institutionnelles du projet de Constitution pour tous, et un vrai gouvernement économique, armé d’un vrai budget, autour d’une politique de développement et de croissance, pour ceux qui auront choisi de franchir une nouvelle étape.

    Quelque soient les choix institutionnelles de demain, il ne faudra pas oublier les leçons d’une demande de plus grande démocratie. Il n’est plus acceptable, devant des peuples majeurs, que les conseils de chefs d’Etat et de gouvernement, décisionnelle, continue à oeuvrer dans un huis clos diplomatique et secret: les conseils sont un organe législatif représentant par leurs gouvernements les peuples. Ils doivent débattre et voter dans la transparence et en public, sous le regard de tous.

    Les élections de 2007 relieront les conceptions sur le modèle social à la conception de l’Europe : comme risquent de le faire les conservateurs de la CDU, la droite française, en cohérence, privilégiera la conception anglo-saxonne de l’Europe si elle prône l’abandon du modèle social français. Elle composera donc avec les tenants d’une analyse de la construction européenne qui n’est pas la notre. Avez-vous entendu Nicolas Sarkozy plaider pour une Europe de l’harmonisation sociale et fiscale ? Il reviendra donc à la gauche de se rassembler et de rassembler au-delà tout à la fois sur un autre modèle sociale et sur d’autres ambitions pour l’Europe.
    c) Un parti du mouvement enraciné dans la société
    La crise politique frappe tous les partis et toutes les organisations. Le Parti socialiste n’est pas épargné. Il doit renouer un lien fort avec la société, les forces sociales et le monde des idées. Un vrai congrès sur le projet doit en être l’occasion, à la condition d’aller librement au fond des débats.

    Mais au-delà, rassemblés demain sur une nouvelle ligne politique, il va falloir apprendre à la rendre vivante au jour le jour et à ne plus jamais interrompre le lien de dialogue avec la société. Nous ne devrons pas oublier comment, encore une fois, les soucis et les pressions de la gestion ne nous ont pas permis de percevoir, avant le choc du 21 avril, les craintes et les difficultés de la société française.

    Il faut que dès le lendemain du Congrès, le Conseil National deviennent un lieu permanent d’écoute et d’approfondissement de nos propositions. Le Conseil National doit vivre et jouer un rôle de relais et d’ancrage dans le territoire. En son sein, de grandes commissions permanentes doivent rassembler élus, responsables fédéraux et dirigeants nationaux du parti pour ausculter la société française, ressentir ses réactions et aider le parti à réagir. Dans chaque fédération, ces commissions doivent trouver relais de débat et d’animation politique. Les fédérations ne sont pas que l’ossature de l’appareil, elles sont aussi l’ossature du projet.

    Cette règle de fonctionnement ne doit pas seulement être celle des temps d’opposition : au pouvoir aussi, il nous faut aussi travailler en permanence sur des idées et propositions nouvelles, réagir dans une société en mouvement avec les camarades qui sont au plus proche du terrain et des réalités, mesurer les conditions d’application des orientations que nous avons proposé sans laisser notre gouvernement seule, dans un face à face avec ses cabinets et ses administrations centrales. Faire vivre la politique, c’est aussi et d’abord animer et revivifier les forces qui portent des idées.

    Dans le même esprit, et comme dans la majorité des démocraties, le Premier Ministre, chef de la majorité parlementaire doit être le premier secrétaire du parti, assisté d’un secrétaire général, participer et débattre dans ses instances, s’irriguer du terrain et irriguer le terrain. Rompre avec les pratiques hautaines et éloignées de la Véme République, c’est aussi faire vivre le parti, en faire l’outil de l’application de la politique qu’il a proposée et pour lequel il a reçu mandat des électeurs.

    Pour rassembler la gauche, et au-delà pouvoir rassembler les français, il nous faut un projet fort. Si nous hésitons à être audacieux, le réformisme de gauche ne sera perçu que comme une gestion sage et prudente d’un existant que les français veulent voire changer. Nous ne créerons pas alors un effet d’entraînement à gauche.

    Pour être écoutés en Europe, il faut que nos partenaires sachent où nous voulons aller, et comment nous sommes résolus à affronter les défis nouveaux de la mondialisation. Il nous faudra certes convaincre, composer, mais de manière crédible, au nom d’un projet lisible et clair.

    Le Parti socialiste, face à une droite qui voudrait nous placer dans le camp de l’immobilisme, doit apparaître aux français comme le parti du mouvement autour de la rénovation de la République, d’un nouveau modèle de progrès, dans une Europe qui aura clarifié ses choix. Un projet fort pour une France en crise.


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