La Corse et la République


Rapport au Bureau national du Parti socialiste présenté par Christian Paul et Vincent Peillon, secrétaires nationaux.


Christian Paul
Christian
Paul



Vincent
Peillon



Depuis vingt ans, à plusieurs reprises, les gouvernements successifs ont été confrontés à ce qu'il faut bien nommer la crise corse.
Sur cette île méditerranéenne de la République, dotée d'une histoire et d'une culture singulières, une revendication identitaire s'est exprimée, cédant le pas à la violence et au terrorisme.
La recherche d'une issue a emprunté à la fois les voies d'une réponse statutaire, du soutien au développement économique et de la promotion du patrimoine et de la langue corse.
En 1982, avec François Mitterrand et Gaston Deferre, la reconnaissance de la spécificité insulaire s'est traduite par un premier statut particulier. En 1991, à l'initiative de Pierre Joxe, un second statut a approfondi la décentralisation des pouvoirs aux institutions locales.

La tâche du gouvernement de Lionel Jospin s'avéra plus redoutable encore. Les affrontements meurtriers des mouvements nationalistes ont accru leurs divisions tout au long des années 90. L'assassinat du préfet Claude Erignac a été perçu par tous les Français comme un crime impardonnable. La permanence de la violence, qui n'a pas connu de trêve durable, mais aussi l'affaiblissement de l'esprit public et le climat de corruption et d'affairisme, ont fait de la question corse l'un des défis importants à relever par le gouvernement.

Assumer notre responsabilité, ce doit être récuser la violence et œuvrer pour le respect de la légalité républicaine, ce que le gouvernement depuis 1997 a fait plus qu'aucun autre.
Mais c'est aussi, et tout autant, d'agir pour créer les conditions politiques d'une amélioration durable de la situation dans l'île, tout en favorisant son développement économique, qui reste l'une des clés d'une stabilité retrouvée.

La politique menée en Corse doit être appréciée par le PS au regard de deux exigence.
La première, évidente, c'est le respect des principes qui fondent notre République.
Disons d'emblée que si la recherche de ces solutions avait conduit à altérer ou à affaiblir les fondements de notre République, les socialistes n'auraient pu y souscrire. Les propositions du gouvernements pour mieux prendre en compte les spécificités de la Corse ont su éviter ce risque, et respectent les principes qui constituent le ciment de l'unité républicaine.
La seconde exigence, c'est bien sûr la recherche d'une démarche efficace et conforme à l'honneur pour l'État républicain trop souvent bafoué en Corse.
Les propositions du gouvernement ne se sont vues, à ce jour, opposer aucune alternative crédible.
Aussi, le Parti socialiste peut-il fonder ses prises de positions sur trois engagements :

1 - Soutenir un processus incontestable

La méthode choisie puise sa force et son impact dans le respect de la transparence la plus totale : les points de vue de chacun ont été débattus publiquement. L'expression des idées a eu lieu dans des instances élues par les citoyens, hier l'Assemblée de Corse, demain le Parlement de la République.
C'est un combat juste de la démocratie contre la violence en Corse qui a été mené.

Le gouvernement n'a pas " négocié avec les nationalistes " ; il a, et cela est essentiel, ouvert des discussions avec tous les élus de l'île, dont certains professent des opinions nationalistes, et les acteurs sociaux. En associanr à ce dialogue publique et ouvert, toutes les composantes élues de l'Assemblée de Corse et les parlementaires, en rapprochant les points de vue de ceux qui, la veille encore, se divisaient, voire se combattaient, le gouvernement a construit une première étape, qui n'est pas une fin, mais un socle.

C'est en tout cas un fait politique majeur, sans précédent depuis vingt ans.

Après avoir regretté l'incapacité des élus de l'île à exercer leurs responsabilités, nous ne saurions négliger leur adhésion commune au cadre proposé. Nous entendons aussi dire à ces élus que c'est à l'épreuve de la durée que sera mesuré leur engagement.

Si cette démarche courageuse est crédible en Corse, et majoritairement acceptée dans l'île, c'est qu'elle vient d'autres périodes qui virent trop souvent alterner la fermeté sans dialogue, et le dialogue sans fermeté.

On ne dira jamais assez combien la pratique des négociations et des compromis occultes, qu'illustrèrent tristement Charles Pasqua, puis Jean-Louis Debré a accrédité à propos de la Corse l'idée de l'impuissance de l'État et de l'impunité des actions criminelles. La dignité de nos institutions fut alors bafouée. La République y perdait très sûrement son honneur, sans que certaines des voix qui s'élèvent aujourd'hui aient cru bon alors de s'exprimer.

2 - Garantir des réformes conformes aux principes républicains

Plusieurs questions sont posées depuis juillet dernier, dans l'opinion et aussi au sein de la gauche. Elles sont bien sûr légitime, aussi longtemps qu'elles expriment une inquiétude devant un dossier difficile, et un chemin semé d'embûches. D'autres critiques le sont moins, qui travestissent le contenu et le sens des réformes proposées ou misent sur un échec du processus engagé.

Nous devons donc clarifier, lors du débat parlementaire, prévu au début de l'année 2001, les choix débattus récemment entre le gouvernement et l'Assemblée de Corse.
  1. Ce que contiennent les propositions du gouvernement et pourquoi elles sont acceptables :

    La simplification de l'organisation administrative

    La sur-administration de la Corse, et cela vaut pour l'État, les collectivités locales ou les organismes consulaires, s'accompagne d'un émiettement des responsabilités et d'une inefficacité chronique que les récentes commissions d'enquête parlementaires ont soulignés. En divisant la Corse en deux départements en 1975, après Aléria, la droite a contribué à cette impuissance publique. La suppression des deux départements et la création d'une collectivité territoriale unique, puis la réorganisation sur cette base, de l'ensemble des services publics sont des avancées indispensables.

    Le pouvoir d'adaptation des lois sous le contrôle du Parlement

    Le statut actuellement applicable à la Corse prévoit, dans son article 26, que l'Assemblée de Corse peut demander au gouvernement de proposer au Parlement l'adaptation de dispositions législatives pour la Corse ; mais ce mécanisme assez lourd a mal fonctionné.
    Il est donc proposé que l'adaptation soit réalisée par l'Assemblée de Corse elle-même, mais sur délégation et sous le contrôle du Parlement. Il s'agit bien d'adaptation et il y a bien contrôle du Parlement, dans la première comme dans la deuxième phase. Ces actes, à caractère règlementaire, sont également contrôlables par le juge administratif.

    Depuis 1946, et la Ve République a poursuivi en ce sens, des délibérations sont prises par les territoires d'outre-mer dans des domaines relevant du domaine législatif (art. 34 de la Constitution).
    Il ne s'agit pas, pour la Corse, d'un point d'arrivée identique, encore moins d'une fuite en avant mais d'une démarche très maîtrisée, en deux étapes :

     Avant 2004

    Il s'agit d'adapter des lois existantes ou nouvelles. Dans cette première phase, le Parlement indiquera, après chaque échange avec l'Assemblée de Corse, dans les lois publiées, les dispositions qui pourraient faire l'objet d'adaptation par l'Assemblée de Corse pour la Corse, en raison de sa situation particulière, à l'exception des " principes ", comme le précise le texte adopté. il ne pourra naturellement s'agir que de dispositions législatives intervenant dans les domaines de compétences de l'Assemblée de Corse qui excluent, maintenant ou après le vote de la prochaine loi statutaire, toutes les questions relatives aux libertés publiques, aux principes de notre organisation sociale en même temps que les compétences régaliennes. Ainsi, par rapport au TOM, la fiscalité comme les questions de droit social sont exclues. L'idée, souvent évoquée, selon laquelle il pourrait y avoir par décision de l'Assemblée de Corse une " corsisation " réglementaire des emplois n'a aucun sens puisque cette matière n'est pas et ne sera pas dans la compétence de l'Assemblée de Corse. Jamais le Parlement n'ouvrirait une faculté d'adaptation qui conduirait à une disposition contraire au préambule de la Constitution et qui srait donc annulée par le juge.

    Le Parlement fixera les conditions de l'adaptation : champ, modalités, délai. Par exemple deux ans, au terme desquels, il évaluera les adaptations réalisées par l'Assemblée de Corse et pourra les confirmer, les modifier ou les annuler. Aucune de ces adaptations ne subsistera au-delà du délai fixé par le Parlement sans que celui-ci l'ait expressément décidé.

     Après 2004

    Dans la deuxième phase qui serait ouverte par la révision constitutionnelle, le Parlement continuerait de fixer précisément sa délégation mais il ne fixerait plus de délai imposant un examen systématique des adaptations réalisées.
    Le Parlement pourra toujours cependant revenir sur les textes votés par l'Assemblée de Corse dans le champ de compétences de la loi puisque la loi reste en tout état de cause supérieure aux actes votés par l'Assemblée de Corse, même lorsqu'ils interviennent dans le domaine de la loi.

    L'enseignement de la langue corse

    La demande unanime des élus de l'Assemblée de Corse était de permettre l'enseignement généralisé de la langue corse. L'initiation offerte dans l'horaire scolaire normal (enseignement maternel et primaire) pourra être suivie par tous les élèves, sauf volonté contraire des parents.
    Le point d'équilibre ainsi obtenu préserve plusieurs objectifs :
       il permet de contribuer concrètement à la vitalité, voire à la survie de cette langue, élément constitutif de la culture et de l'identité corses
       il veille également à préserver le choix des familles, et bien sûr celles des résidents dans l'île originaires d'autres régions françaises.

    Le soutien au développement économique

    Loin des pratiques de saupoudrages mal contrôlés et jamais évalués qui ont souvent caractérisé l'intervention publique en Corse, les propositions du gouvernement contiennent deux orientations essentielles :
       une programmation sur 15 ans d'opérations d'infrastructures de désenclavement, routes et voies ferrées, indispensables au développement local et trop longtemps différées.
       des modifications du statut fiscal, dans un souci d'efficacité et à enveloppe constante pour le dispositif d'incitation à l'investissement. la suppression progressive des avantages fiscaux (droits de succession) issus des arrêtés Moit n'est plus contestée.

  2. Ce que n'est pas le plan Jospin adopté par l'Assemblée de Corse :

     il est absurde d'évoquer un abandon de souveraineté, dès lors qu'aucun des domaines essentiels de la souveraineté n'est concerné.
    La loi reste l'expression de la souveraineté nationale. Les compétences dévolues à l'Assemblée de Corse n'affectent ni la sécurité ni la justice, pas plus que l'impôt.

     il est excessif de parler d'un transfert du pouvoir législatif, alors que, même après 2004, le Parlement pourra annuler les adaptations votées par l'Assemblée de Corse s'il les juge néfastes.
    C'est en fait un déplacement de la ligne entre pouvoir réglementaire et pouvoir législatif qu'il s'agit. Les collectivités territoriales ont déjà un pouvoir réglementaire. Or la répartition entre les domaines de la loi et celui du règlement a évolué dans le temps. Il ne s'agit donc pas d'une remise en cause de la loi mais d'une modification de la frontière entre loi et règlement qui n'engage en rien les principes.

     il n'est pas fondé d'évoquer une rupture d'égalité devant la loi, puisque depuis toujours, et le Conseil constitutionnel le reconnaît, l'égalité n'est pas l'uniformité. La loi fiscale est nourrie - trop peut-être - de régimes spécifiques. les lois de décentralisation admettent des cas particuliers sur le continent (Alsace-Moselle, Île-de-France, PLM...). Les textes sur l'aménagement du territoire reconnaissent des discriminations positives au profit de zones franches urbaines ou de zones de revitalisation rurale. Personne, alors, n'y voit la négation de l'idée républicaine.

3 - Affirmer un passage obligé :
la fin de la violence

La démarche proposée offre en quelque sorte une " prime à la paix civile ". La paix civile en Corse est le point de passage obligé de ce processus politique.
Son retour durable doit rester impérativement la condition résolutoire du processus, et de toute évolution constitutionnelle, qui, au demeurant, nécessitera une large majorité au Parlement ou le vote des Français.
Le moment du bilan venu, il faudra apprécier ce retour à la paix civile, sa fiabilité et son caractère durable.
En ce sens, la condamnation explicite des actes terroristes par l'ensemble des élus insulaires doit être désormais systématique. Les réactions unanimes de condamnation des derniers attentats vont dans ce sens, chacun l'a noté.
Ce n'est pas suffisant. A l'évidence, des groupes divers, peut-être marginalisés par le processus en cours, peuvent estimer avoir intérêt à le compromettre.
Le renoncement définitif des mouvements clandestins à l'usage de la violence doit intervenir au plus tôt.

Pour le Parti socialiste, c'est cette prochaine étape, attendue par tous, qui consolidera la démarche engagée.
La République est un patrimoine commun à tous les Français. Nul n'en a le monopole. Surtout, nul ne saurait en faire un dogme ignorant l'évolution des réalités.
Les socialistes ont su après 1981, contre la droite, engager le mouvement de décentralisation. Ils ont ainsi fait évoluer le rapport entre l'État et les collectivités territoriales.

Plus généralement, le Parti socialiste souhaite une nouvelle étape de décentralisation qui sera discutée, le moment venu, à partir des conclusions de la commission présidée par Pierre Mauroy.
Mais, aujourd'hui en responsabilité des affaires du pays, le gouvernement que nous soutenons a aussi l'obligation de trouver pour la Corse toute sa place dans la République.
Cette île n'est pas un laboratoire de la décentralisation.
Sans dissocier son évolution du mouvement général vers plus de pouvoirs confiés aux régions, c'est une réponse spécifique qu'il convient d'apporter à une situation singulière et à une crise qui n'a pas d'équivalent en France.

Le 29 août 2000



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