Élargissement de l'Europe :
nous exigeons un référendum !


L'atteinte au libre choix des peuples est violente et irréversible. Voilà pourquoi on nous permettra de présenter pour une fois aux citoyens français la facture de la décision avant la décision elle-même.


Point de vue d'Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, et Christian Paul, député (PS) de la Nièvre, paru dans les pages " Horizons " du quotidien Le Monde daté du 20 septembre 2002



Arnaud
Montebourg

Christian Paul
Christian
Paul




On nous explique que c'est fait. Pourtant, nous n'avons pas voté. On nous dit à droite mais aussi à gauche que c'est de toute façon décidé. Pourtant, nul d'entre ceux qui ont en charge la souveraineté, le peuple ou ses représentants, n'en a délibéré. On nous répète que, même si ceux-là avaient la volonté de résister et de dire qu'ils refusent l'élargissement de l'Union européenne, l'affaire est déjà bouclée.

D'ailleurs, à quoi bon consulter les Parlements nationaux ? Sert-il encore à quelque chose de demander aux représentants du peuple leur avis puisque les questions fondamentales liées à l'avenir de l'Europe se décident ailleurs, et en dehors d'eux, dans le dos des peuples et de leurs représentants légitimes ?

Personne ne peut prétendre sans rire que les deux dernières élections nationales valent mandat sur l'Europe pour les dirigeants français, tant cette question, comme beaucoup d'autres, est restée sur le banc de touche.

On peut rappeler que s'est déjà imposée de la sorte la mondialisation des échanges sans délibération sur ses conséquences, sous la pression des forces économiques hostiles à toute régulation. Et l'on voit à quel point ces choix, résignés ou assumés, ont été désapprouvés par le peuple des citoyens européens, aujourd'hui réfugiés dans la protestation électorale, furieuse et impuissante.

L'affaire de l'élargissement reproduit le même scénario. Tout sera déjà décidé au moment où l'on consultera formellement les représentants du peuple. La facture économique, sociale et politique de la décision sera présentée, plus tard, trop tard, alors que nul n'a eu le devis, lorsque plus personne ne peut y redire.

L'atteinte au libre choix des peuples est violente et irréversible. Voilà pourquoi on nous permettra de présenter pour une fois aux citoyens français la facture de la décision avant la décision elle-même.

Notre interpellation émane d'Européens fervents et non pas de nostalgiques crispés sur la souveraineté de l'Etat-nation. C'est bien parce que nous affirmons l'exigence d'une Europe forte que les conditions actuelles de l'élargissement nourrissent nos inquiétudes.

L'élargissement à vingt-cinq en 2004 puis à vingt-sept, c'est d'abord la victoire cruelle du marché sur les politiques communes. C'est l'abandon de toute politique agricole alors que l'urgence est à réorienter la PAC. C'est d'ailleurs le moyen inavoué qu'ont trouvé les élites technocratiques de notre pays pour régler une fois pour toutes leur compte aux agriculteurs subventionnés, qu'ils qualifient en chuchotant entre eux de " boulet ".

Les mensonges de Jacques Chirac et de ses hommes qui ont réussi, curieusement et provisoirement, à faire avaler à la FNSEA l'élargissement en promettant comme à l'habitude le beurre et l'argent du beurre, n'y feront rien : l'élargissement à douze nouveaux pays n'est pas finançable sur la base de l'acquis communautaire actuel.

Agriculteurs qui produisez du lait, qui avez fait l'effort de limiter vos quantités produites pour assurer votre revenu, qui avez investi pour assurer la sécurité alimentaire et sanitaire de votre lait, prenez votre ticket de la file d'attente des faillites annoncées ! Producteurs de viande, vous vous indignez aujourd'hui de l'arrivée de viande de l'Est sans les contrôles de traçabilité dans lesquels vous avez massivement investi, renchérissant vos coûts de production et de commercialisation ; tous ces efforts financiers dont vous souffrez encore seront anéantis par la libre circulation des viandes produites dans tous les nouveaux pays de l'Union.

Nous autres, députés des champs, faut-il nous préparer à voir les prairies disparaître au profit des friches et des forêts ? Vous autres, députés des villes, ce seront d'autres friches, industrielles, que vous aurez à repeupler.

Car s'il est déjà impossible d'obtenir un gouvernement économique européen et l'harmonisation sociale à quinze pays membres, qu'en sera-t-il des écarts de protection sociale entre vingt-cinq ? Devons-nous nous préparer à l'alignement sur les salaires polonais, bulgares et roumains que nos industries recherchent déjà ou, à l'inverse, à une accélération des délocalisations ? Combien d'entreprises partiront-elles avec armes et bagages, dont les contribuables français auront à financer les plans sociaux ?

Et vous, élus locaux, développeurs des territoires, attendez-vous à la disparition déjà programmée des fonds structurels européens que vous engagez dans vos politiques d'aménagement du territoire. Vos cantons ruraux, dépeuplés et déserts, devront se passer des aides européennes.

Qui pourrait d'ailleurs être exhaustif sur les coûts économiques et sociaux de l'élargissement si mal maîtrisé ? Qui pourrait évaluer les conséquences de l'installation d'un nouveau paradis fiscal, bancaire et judiciaire qu'est Chypre dans l'UE ? Qui pourra mesurer l'impact sur les politiques de libre circulation des personnes de l'entrée des anciens pays de l'Est dans l'Union ?

Ce que nous savons, c'est que ces douloureuses décisions auront un coût politique. Elles se paieront en impopularité supplémentaire de l'Europe, Europe que nous soutenons pourtant avec ferveur et que nous voulons avec passion achever de bâtir.

Elles se paieront en désespoir supplémentaire et en montée irrésistible du populisme. Combien de voix en plus allons-nous offrir sur ce plateau ruineux au Front national ? Ces citoyens qui se sentiront une fois de plus abandonnés par leurs représentants porteront leurs suffrages sur ce parti, non par adhésion mais par désespérance de ne s'être sentis représentés par personne d'autre.

Et tout cela, pourquoi ? Tous ces sacrifices pour quelle grande cause ? Le renforcement de l'Europe ? Il s'éloigne puisque aucune garantie n'est donnée.

A vingt-cinq dans le cadre ainsi tracé, c'est la fin des espoirs d'une Europe politique disposant d'une conduite et d'un pilote s'appuyant sur le peuple des citoyens européens. C'est la fin des espoirs de résistance politique à la mondialisation libérale. C'est le triomphe du grand marché passoire et ouvert aux grands vents mondiaux du libéralisme marchand. Ce sera la victoire de l'Europe espace marchand sur l'Europe puissance émancipatrice.

Face à l'affaissement du politique et à sa dilution dans le marché de l'Europe élargie, il ne nous reste que l'appel direct au souverain. Les urnes devront cette fois être plus fortes que le marché : soit l'Europe des Quinze est capable de se doter d'une direction politique qui prenne appui sur les peuples par une Constitution européenne, et l'élargissement se décidera alors sous leur contrôle exclusif, soit il n'en est rien et d'élargissement nous ne voulons point.

C'est pourquoi nous demandons, exigeons même d'ores et déjà du président de la République un référendum en France sur l'élargissement de l'Europe.

Nous placerons sous les yeux de chaque électeur la facture et nous leur demanderons s'ils veulent payer et pour quelles raisons et pour quelle cause.

Nous énoncerons les garanties préalables et indispensables. Des garanties pour les peuples : l'impact de la transition sur les droits sociaux ici et là-bas, les activités économiques et les politiques communes. Des garanties pour l'Europe : confirmation du destin démocratique des pays d'Europe centrale, engagement avec ceux-ci dans la résistance à la mondialisation libérale, installation d'institutions démocratiques européennes.

En l'absence de ces garanties-là, vous pouvez compter sur nous à cette occasion pour voter non et le faire amplement savoir.
© Copyright Le Monde Interactif


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]