Ne touchez pas à l'APA

Paulette Guinchard-Kunstler

Le gouvernement semble vouloir remettre en cause l'allocation personnalisée d'autonomie, sous prétexte de dérives financières.

Point de vue de Paulette Guinchard-Kunstler, ancienne secrétaire d'Etat aux personnes âgées, députée du Doubs, paru dans le quotidien Libération daté du mardi 13 août 2002


 
Depuis plusieurs semaines, l'Association des départements de France relayée par le gouvernement s'alarme de la montée en charge très rapide de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et du risque de dérives financières. Le ministre des Affaires sociales vient d'annoncer sa volonté d'en réduire le coût.

Il est de bon ton dans ces périodes d'alternance politique d'invoquer l'incurie et l'irresponsabilité du gouvernement précédent. L'allocation personnalisée d'autonomie n'échappe donc pas à cette critique en règle même si, au passage, on fait l'amalgame entre pseudo-révélations et véritables informations. En effet, les chiffres annoncés sont ceux à partir desquels nous avions travaillé pour la mise en place de cette nouvelle prestation ; certains font semblant de découvrir que l'APA, ­ comme toute politique sociale ambitieuse ­ a un coût, un coût si important que le gouvernement socialiste aurait voulu le cacher. N'en déplaise à ceux-là, les débats conduits à l'Assemblée et au Sénat par Elisabeth Guigou et moi-même ont été d'une totale transparence et les enjeux, tant institutionnels que budgétaires, ont été mis sur la table.

Je rappelle que les départements bénéficient, pour financer l'APA, d'une aide de l'Etat représentant la moitié de l'effort supplémentaire nécessaire, alors qu'ils assuraient seuls la charge de la prestation spécifique de dépendance (PSD) et de l'allocation compensatrice tierce personne (ACTP). De plus, le législateur peut décider, à l'occasion du bilan prévu par la loi, de changer les clés de répartition entre financements départemental et national. Tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, j'avais annoncé qu'il serait sans doute nécessaire de retenir un financement égalitaire entre la solidarité nationale et la participation des conseils généraux.

Oui, nous savions que cette prise en charge allait « coûter cher ». La donnée nouvelle, c'est la montée en charge qui est beaucoup plus rapide que prévu ; ainsi, les Côtes-d'Armor ont, en six mois, atteint le nombre de bénéficiaires qui était prévu en deux ans. La suppression du recours sur succession a sûrement permis de libérer la véritable demande des personnes âgées, et nous a permis de découvrir combien les familles étaient seules, souvent épuisées dans la prise en charge de leurs parents ; le mérite de l'APA est de rendre enfin publique la réalité du besoin d'accompagnement dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées.

J'aimerais élargir le débat. J'ai toujours été impressionnée par la grande difficulté de notre société à dépasser l'approche uniquement financière de ce problème. Ainsi, malgré les promesses de Jacques Chirac, le gouvernement Juppé avait reculé et laissé les sénateurs présenter le dispositif de la PSD, qui était un vrai recul par rapport au système précédent. Nous devons défendre clairement la nécessité de l'effort financier demandé aux Français et le relativiser. Ainsi, en ce qui me concerne, l'augmentation, pour répondre aux demandes d'APA dans le Doubs, se traduira sur ma propre feuille d'impôts par une hausse de 27 euros pour une année. Quand on connaît l'immense demande des familles, quand on connaît le coût d'hébergement dans les maisons de retraite, quand on sait les conditions de travail et les salaires des aides à domicile, on relativise mieux l'effort demandé aux Français.

Je reste confondue par cette approche exclusivement budgétaire. Comment ne pas voir que l'APA, au-delà de son coût, est aussi une formidable occasion en matière d'aménagement du territoire, et une chance de création d'emplois locaux sur la base d'une vraie reconnaissance des professionnels, en particulier des aides à domicile. Ainsi, on estime que près de mille emplois peuvent être créés dans le département de la Creuse grâce à l'APA.

Comment ne pas voir l'aide dont vont pouvoir bénéficier les familles et les attentes que l'APA suscite ? Comment ne pas voir que l'APA est un moyen unique de créer du lien social entre des personnes en situation d'isolement familial et social tout en consolidant le tissu associatif dans un partenariat renouvelé ? Comment ne pas comprendre que l'APA est, pour les départements (à un moment où la Région a le vent en poupe), une occasion de faire la preuve de leur capacité à gérer les politiques sociales dans la proximité ? Comment ne pas saisir qu'on ne peut pas à la fois demander un approfondissement de la décentralisation et refuser à la première occasion d'assumer les conséquences financières d'une telle politique ? Certes, on nous a dit découvrir que certains départements auront des difficultés à financer l'APA. Ces départements sont ceux qui bénéficient déjà d'une dotation minimale de fonctionnement, témoignage de leur fragilité budgétaire. Ça sera en urgence pour ces départements qu'il faudra trouver une solution.

Au-delà de cette allocation, j'avais lancé un travail, certes modeste, sur la reconnaissance de la gériatrie dans les hôpitaux, sur la formation, sur le manque de personnel dans les maisons de retraite, sur la nécessaire mise en place de l'Institut national du vieillissement et des lieux d'information aux personnes âgées et à leurs familles.

A vous, messieurs du gouvernement, qui cherchez comment réduire le coût de l'allocation personnalisée d'autonomie en étudiant la possibilité de rétablir le recours sur succession, ou en réfléchissant à une plus grande participation financière de la personne âgée, je puis vous assurer que la meilleure manière de diminuer les coûts, c'est de tout faire pour réduire la dépendance en lançant un grand programme de recherche sur la maladie d'Alzheimer, et de prévention contre les maladies chroniques et les causes d'entrée dans la dépendance, en formant le personnel qui accompagne les personnes âgées. Cela nous concerne tous, c'est notre devoir envers nos aînés mais aussi envers les familles qui, tous les jours, accompagnent leurs parents, envers les aides-soignantes, les aides à domicile, les infirmières qui sont confrontées au domicile comme en établissement aux besoins d'écoute, de paroles, de communication, de dignité des personnes âgées.

Je m'étais résolument engagée dans la mise en place de l'APA parce que j'avais la conviction que la prise en charge ambitieuse de la perte d'autonomie des personnes âgées était une des conditions pour construire la société de tous les âges, reposant sur une solidarité intergénérationnelle réfléchie et acceptée, y compris sur le plan financier.

Si j'avais pu, monsieur le secrétaire d'Etat aux personnes âgées, faire une passation de pouvoir, c'est cela que je n'aurais pas manqué de vous expliquer.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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