Accompagner la fin de vie




Tribune signée par Régis Aubry, médecin, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, Claude Evin, député de Loire-Atlantique, ancien ministre, Paulette Guinchard-Kunstler, députée du Doubs, ancienne secrétaire d'Etat aux personnes âgées (mars 2001- mai 2002), Louis Puybasset, médecin, membre du groupe de réflexion éthique de la Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR), parue dans le quotidien Le Monde daté du 29 avril 2005



Claude
Evin


Paulette
Guinchard
Kunstler




Nous savons combien en commission, puis lors du vote au Sénat, les débats ont été animés et ont débouché sur une abstention du groupe socialiste. Pour notre part, nous aurions souhaité une issue plus harmonieuse et nous nous proposons de justifier cette position.

Après l'émotion suscitée par l'affaire Vincent Humbert, un travail de fond a été réalisé par la mission parlementaire créée à cette occasion et a permis de déboucher à l'Assemblée nationale sur une proposition de loi consensuelle. Dans le sillage de la loi sur les droits des malades du 4 mars 2002, le texte qui vient d'être adopté affirme le refus de l'obstination déraisonnable définie par les critères d'inutilité et de disproportion. Il affirme un droit de refus de traitement par le malade conscient. Il s'agit là d'une garantie essentielle pour le patient, qui se voit prémuni contre toute forme d'activisme médical qui irait contre son intérêt, mais aussi pour le médecin, pour qui ces pratiques étaient souvent motivées par la peur d'une mise en cause judiciaire.

Contrairement à ce qu'affirment ceux qui déjà revendiquent la mise en chantier d'une autre loi, nous estimons que le texte qui vient d'être adopté permettra de répondre aux situations les plus complexes, telles que celles rencontrées dans le cas de quelques rares pathologies médicales. Certaines personnes atteintes de " locked-in syndromes ", de tétraplégies hautes, de maladies de Charcot en fin d'évolution ou de certaines formes de sclérose en plaques au stade terminal peuvent se trouver dans la situation où, conscientes et porteuses d'un handicap majeur, elles expriment le désir de mourir mais ne peuvent pas se suicider.

Même dans ces cas extrêmes, le texte de loi offre des solutions en faisant droit à leur demande d'arrêt des soins curatifs habituels et en leur prodiguant des soins palliatifs. Ces patients nécessitant souvent des soins importants pour être maintenus en vie, leur simple arrêt conduit le plus souvent au décès sans qu'il soit nécessaire d'arrêter l'alimentation, une solution qui reste néanmoins possible en ultime recours. Dans ce cas, le malade ne meurt en aucun cas de faim, comme on l'a trop entendu, mais des conséquences de sa maladie initiale.

Lorsque le patient est inconscient, maintenu artificiellement en vie, et que son pronostic est désespéré, la recherche de sa volonté prime sur tout autre démarche : elle se traduit par la prise en compte des directives anticipées, de l'avis de la personne de confiance que le patient aurait préalablement désignée, de la famille et des proches.

Le choix a été fait de ne pas faire porter la décision exclusivement sur les familles, tout en prenant en compte leurs souhaits. Cette solution répond très bien à l'expérience médicale, qui nous apprend que leur demande le plus fréquemment exprimée est de ne pas être directement responsables de la décision.

Par ailleurs, la décision n'est pas solitaire, mais elle est prise en concertation avec toute l'équipe. C'est la bonne pratique clinique.

Enfin, la transparence de la procédure est garantie par son inscription motivée au dossier médical, se prémunissant ainsi de tout arbitraire médical. Cela est d'autant plus important que les progrès dans le champ de la santé, le vieillissement de la population française, vont amener à une augmentation de la fréquence de situations nouvelles et complexes, où la question éthique sera centrale.

On le voit, cette loi se situe donc délibérément dans l'amont des situations difficiles. Ce faisant, elle se centre sur le véritable enjeu d'aujourd'hui, qui est de prévenir ces situations avec la meilleure expertise possible, mais aussi avec la plus grande humanité.

Ce qui est ainsi posé est de permettre à tous de pouvoir vivre avec un sentiment de dignité jusqu'à la fin. Pour cela, deux éléments nous semblent essentiels : l'assurance que la personne soit entendue dans son souhait de ne pas vivre une situation qu'elle jugerait inacceptable et qu'elle soit assurée de ne pas souffrir. Il est maintenant nécessaire de faire en sorte que cette loi puisse être appliquée, car nous pensons qu'elle contribuera à une vraie évolution sur notre rapport à la fin de vie. Donnons-nous le temps pour évaluer si son application et les moyens mis en oeuvre entraînent les changements attendus et font progresser cette question essentielle centrée sur le respect de l'homme.

La légalisation de l'euthanasie, à l'instar des législations hollandaise et belge, aurait-elle été une meilleure solution ? Nous pensons que non, et cela pour plusieurs raisons.

Alors que certains trouvent que la loi française fait la part trop belle au " pouvoir médical " , comment ne pas voir que paradoxalement la loi hollandaise, en l'autorisant à tuer, donne au médecin un pouvoir prométhéen, dont nous ne voulons à aucun prix. L'extension de l'euthanasie aux patients atteints de démence, de pathologies psychiatriques, voire à ceux qualifiés de " souffrants de la vie " est aujourd'hui demandée aux Pays-Bas.

La dérive est réelle, et rien ne nous permet d'avancer que nous serions plus prémunis de ce risque que nos voisins. L'euthanasie à la demande d'un tiers des mineurs handicapés et des majeurs sous tutelle serait inacceptable. Elle est cependant incluse dans diverses propositions de loi visant à légaliser l'euthanasie qui ont été déposées en France depuis de nombreuses années. Pourtant, la protection de ces personnes est un des fondements de notre société.

Certains ont pris position dans ce débat au nom de la liberté de pouvoir disposer de sa propre vie. Face aux situations souvent difficiles que rencontrent les personnes souffrantes ou très âgées, il est pour nous un principe encore supérieur à cette revendication d'autonomie, c'est l'obligation de la solidarité.

Nous ne nous résignerons pas à ce que cette demande de liberté signe l'abandon du lien social. La fin de la vie appelle une attention plus grande de notre société et des choix plus affirmés dans nos politiques publiques pour garantir la mise en oeuvre d'une véritable égalité d'accès en tout point du territoire à des soins adaptés et à un accompagnement personnalisé pour chacun.

La loi française sur la fin de vie garantit les principes fondamentaux des droits de la personne en même temps qu'elle est une exigence pour davantage d'humanité.
© Copyright Le Monde


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