Et si la France dit non au référendum

Bernard Poignant

Point de vue de Bernard Poignant, député européen, paru dans le quotidien Libération daté du 22 mars 2005


 
Imaginons : le traité établissant une Constitution pour l'Europe est rejeté par les Français. Le dixième référendum de la Ve République a échoué. Ce vote n'interrompt pas le processus de ratification dans les autres pays. Il ne suffit pas que la France dise non pour que tout s'arrête. Plusieurs pays ont déjà ratifié le traité comme l'Espagne, l'Italie, la Hongrie, la Slovénie, la Lituanie, la Grèce en avril, l'Allemagne le 12 mai. Tous comptent bien défendre la décision prise par leur peuple directement ou par ses représentants.

Déjà, le soir du dimanche 29 mai sur les plateaux de télévision, l'échange est vif. Les partisans du non, sourire aux lèvres, entament une vive polémique sur la paternité de ce résultat. Les communistes, hostiles à tout traité depuis 1951, tiennent enfin une victoire : le non est le mien dit Marie-George Buffet. Faux, réplique de Villiers, les Français ont dit non à la Turquie, donc ce non est à moi. Erreur, répond Besancenot, ils ont rejeté l'Europe libérale et ils veulent revenir sur le marché commun devenu unique.

Jean-Marie Le Pen n'est pas en reste et voit dans ce vote un triomphe de ses thèses : les Français ne veulent pas de cette Europe qui accueille des immigrés et ils viennent de le faire savoir. Jean-Pierre Chevènement tente de trouver sa place dans cette dispute d'appropriation, mais ses forces politiques sont très faibles. Mélenchon et Emmanuelli sont gênés par ce compagnonnage baroque, en fidélité avec leur histoire et en loyauté avec la formation politique qui a leur sympathie.

Quant aux partisans du oui, évidemment, ils sont abattus, à la fois tristes et furieux. Chacun tente de mettre la responsabilité sur l'autre mais le cœur n'y est pas.

Les regards se portent alors sur tous ceux qui ont voté non dans les pays qui ont déjà ratifié ou s'apprêtent à le faire. Quatre référendums sont annoncés : Pays-Bas le 1er juin, Luxembourg le 10 juillet, Pologne le 24 septembre, Danemark le 27 septembre. A chaque fois, la configuration est la même : l'extrême gauche vote contre, ou s'apprête à le faire. Les nationalistes aussi. Deux extrêmes qu'il est impossible de rapprocher : l'impasse est là totale.

Peut-on compter alors sur le couple franco-allemand pour relancer la machine européenne, comme ce fut si souvent le cas. Cette fois, tout le monde en convient, c'est impossible. L'Allemagne a dit oui, la France a dit non : le divorce est consommé pour la première fois depuis 1950. Fini la poignée de main Mitterrand-Kohl, fini l'accolade Chirac-Schröder. L'Europe est bloquée : la panne est totale.

Que faire alors ? D'abord attendre la ratification des 25 pays. Après tout si elle est négative dans deux ou trois pays seulement, il n'est pas interdit aux autres de poursuivre leur chemin ou de demander à la France de reconsidérer sa position si elle se trouve très minoritaire.

On peut aussi en rester aux traités actuels et abandonner tout projet de Constitution. L'Europe avancerait en boitant, elle serait moins unifiée, elle regarderait passer le train de la Chine et de l'Inde, et toujours celui des Etats-Unis. Cela n'empêcherait pas la directive Bolkestein de poursuivre sa route.

Au contraire, ceux qui la combattent ne pourraient plus s'appuyer sur un traité qui reconnaît les services publics. Les ultralibéraux seraient très contents. Beaucoup de Britanniques souriraient en cape de voir les Français se tirer une balle dans le pied.

Il faut tout renégocier disent certains. Renégocier sur des bases de gauche évidemment. Mais, le tour de piste est vite fait : il n'y a aucun ministre communiste ou trotskiste dans un des 25 gouvernements. Il n'y a aucun chef de gouvernement socialiste, aucun Parti socialiste, aucun syndicat autre que français qui ait appelé à voter non. Tous sont porteurs d'un oui ratifié. Finalement, tous en conviennent : on a voté non pour ne pas voter comme Chirac mais c'est à lui qu'on confie le soin de renégocier un traité... à gauche. Au total, voter non a été une marque de confiance à son égard. Comprenne qui pourra !

Dans le cas d'une renégociation, des voix s'élèvent déjà en Europe pour en profiter. La CSU bavaroise, le parti des familles catholiques polonaises, le Parti populaire espagnol encouragé par l'Eglise demandent à nouveau d'introduire Dieu dans le traité et de ne faire référence qu'au seul christianisme. Dieu revient par la fenêtre que les non lui ont ouverte. Les conservateurs britanniques saisissent l'occasion pour revenir à la charge sur la charte des droits fondamentaux : elle doit être sortie des traités pour ne pas avoir de valeur juridique. Exit les droits sociaux !

Peu à peu les conséquences d'un vote négatif se font jour. La troisième partie du traité consacrée aux politiques communes est la seule qui subsiste. C'est pourtant elle qui a alimenté la critique sur le libéralisme de cette Constitution. Les libéraux se frottent les mains : tout ce qui équilibrait l'Union économique et monétaire dans la première partie par les nouveaux objectifs et dans la seconde par la charte des droits fondamentaux est passé par pertes et profits. Voter non aura consisté à abandonner les parties positives du traité et à garder ce qui déplaisait le plus.

Bref, le dimanche se termine dans la cacophonie. Les oui sont tristes pour l'avenir ; les non sont contents mais sans avenir. Seule la Fête des mères peut réconcilier les familles.
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