Un social-libéral
est aussi de gauche

Bernard Poignant

Qui est socialiste, qui ne l'est pas ? Evitons la chasse aux sorcières qui menace.

Point de vue de Bernard Poignant, député européen socialiste, paru dans le quotidien Libération daté du lundi 30 septembre 2002


 
Les mots pèsent lourd en politique, car elle est le monde du verbe, plus que celui des chiffres. Certains sont faits pour décrire, d'autres pour convaincre. Certains sont utilisés pour bâtir, d'autres pour nuire ou démolir. Quelques-uns sont fabriqués pour montrer du doigt ou clouer au pilori, comme un délit ou un crime de trahison.

Les socialistes sont en train de retrouver cette vieille méthode de stigmatisation, à travers l'expression accusatrice de « sociaux-libéraux ». Ceux-ci sont désormais le diable personnifié. Ils sont le ver dans le fruit. On peut même leur donner des noms : Strauss-Kahn, Fabius, Bockel... Bientôt on les dira valets du capital. C'est une position commode : celui qui accuse l'autre de ne pas être assez à gauche se dispense de dire ce qu'il entend par là. Je me souviens d'une phrase entendue de François Mitterrand, il y a exactement vingt-cinq ans : « Du socialisme je ne suis pas juge, seul le peuple l'est ! » Il n'y a pas de honte à être socialiste et à accepter l'économie de marché. Il n'y a pas de trahison à considérer que la nationalisation des biens de production et d'échange n'est pas un système idéal. Le Parti socialiste a retiré cet objectif de sa déclaration de principes. C'était à son congrès de Lille au printemps 1987 : Lionel Jospin était alors Premier secrétaire.

Dans les années 70, on ne parlait pas encore des « sociaux-libéraux ». Les traîtres à la cause s'appelaient « sociaux-démocrates ». Il était impossible de se réclamer de la social-démocratie sans être stigmatisé. Pour les uns, c'était un retour à la Troisième Force de la SFIO de Guy Mollet, c'est-à-dire à l'alliance avec le centre et une partie de la droite, donc un renoncement à la stratégie de l'Union de la gauche. Pour les autres et parfois les mêmes, c'était un signe de soumission à la gauche américaine et notamment au Parti démocrate. Et la trahison était portée à son comble lorsque le libéral Giscard d'Estaing avait pour ami et complice le social-démocrate Helmut Schmidt, chancelier allemand. Pourtant, cette social-démocratie a apporté aux peuples d'Europe beaucoup de bien-être et elle n'a pas inventé le goulag. Mais les inspecteurs généraux du socialisme français de l'époque la vilipendaient. Les sociaux-libéraux d'aujourd'hui subissent le même dénigrement que les sociaux-démocrates d'hier. Je fais le pari que dans dix ou vingt ans, ceux qui les combattent aujourd'hui s'en réclameront demain.

Dans les années 20 et 30, il y eut une autre expression repoussoir : les « sociaux-traîtres ». A leur tête, Léon Blum, l'homme qui a voulu garder la «vieille maison» et dont tout le monde se réclame aujourd'hui. C'est une stigmatisation issue du congrès de Tours de 1920. Le procureur était alors le Parti Communiste. C'est lui qui prétend fixer la norme et la ligne. C'est lui qui dit qui est de gauche et qui ne l'est pas. Il est la Bible et les Pères de son Eglise excommunient ceux qui ne pensent pas comme lui. Certains socialistes tomberont dans le piège et trembleront devant la menace de ce juge du tribunal du socialisme. Il n'y a pas besoin de développer l'analyse pour voir qui le peuple a choisi, à qui il a donné raison et où il a mis sa confiance.

Sociaux-traîtres avant hier, sociaux-démocrates hier, sociaux-libéraux aujourd'hui... les mots sont différents : la méthode est la même. Va-t-elle fonctionner ? Elle part de l'idée que le peuple a la mémoire courte et qu'à distance, on peut toujours lui repasser le même film.

Deux leçons pour l'immédiat : il faut déjouer la manoeuvre qui se prépare et casser ce procès en sorcellerie. Les socialistes sont des républicains parce que l'égalité est leur fil conducteur. Ils sont démocrates parce que la liberté a toujours guidé leur pas. Ils sont libéraux dans le sens où ils reconnaissent l'économie de marché mais ils refusent de la subir. Ils cherchent à lui donner des règles et à organiser les solidarités entre les hommes et les territoires.

Il n'y a là rien de choquant. Quand je fais un retour sur ce qu'ils ont fait, Mitterrand, Mauroy, Rocard, Delors ont été de grands sociaux-libéraux ! Mais ce sont peut-être de mauvaises références pour certains d'entre nous. Pas pour moi !

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
© Copyright Libération


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]