| Les politiques publiques, en matière de logement, d’aménagement du territoire et
d’immigration, ont, depuis 50 ans, eu pour conséquence la création dans notre pays
de quartiers mais surtout de villes où domine l’habitat social. En raison de la crise
économique, de l’absence d’un entretien régulier et constant, d’une politique
d’immigration mal maîtrisée, d’une politique d’attribution et de contingentement des
logements irréfléchie, de la faiblesse des ressources des villes concernées, ces lieux de
vie sont devenues aujourd’hui des zones de relégation à la fois urbaines et sociales
d’une immigration qui n’est plus exclusivement post-coloniale. Cette concentration de la pauvreté et des inégalités sociales les plus criantes sur ces territoires de relégation, à laquelle les politiques publiques menées depuis vingt ans
sous l’égide de la Politique de la Ville ont tenté de remédier, reste aujourd’hui totalement inacceptable et socialement dramatique et dangereuse. Il serait injuste de dire que cette politique a échoué tant elle a apporté des réponses
positives aux difficultés qui s’expriment dans ces quartiers et a permis d’y modifier
et d’y améliorer des situations collectives et individuelles. La politique de la ville ne
saurait supporter à elle seule les échecs des politiques publiques de droit commun et
des reculs systématiques face aux assauts du marché et de la déréglementation. Non,
la politique de la ville n’a pas échoué, et il ne faut pas à chaque fois vouloir la remettre en jeu. Dans certaines villes qui ont mis en œuvre cette politique, il est aisé de constater que 20 ans après, l’urbanisme y a évolué, les liens sociaux s’y sont resserrés, la délinquance y a baissé, l’activité économique s’y est développée. Une conjonction de
facteurs a permis ces évolutions, autour de trois piliers indispensables aux conditions
de la réussite : une forte implication des élus, la mise en place d’une réelle
démocratie participative, pariant sans risque sur le potentiel humain et social de ces
quartiers et la mobilisation de moyens financiers importants, à la hauteur des enjeux. Cependant, la situation y est socialement toujours aussi difficile. Il faut encore faire face aux violences, à la délinquance, aux replis communautaires, au développement du phénomène religieux tout comme il faut également affronter la
misère, l’exclusion, la privation d’un accès au droit à la santé, au logement... La concurrence des territoires entre eux a renforcé leur aspect ségrégué : les quartiers sont les victimes d’un marché non régulé en termes de disponibilité et de coût foncier, en termes de développement et d’accès à l’emploi, en termes de présence de
services publics. L’attractivité de ces territoires est elle-même compromise par
l’image, souvent erronée, qui les stigmatise. La notion de territoire finit par
marchandiser le territoire lui-même en le soumettant à la loi de la valeur. Vouloir poursuivre la Politique de la Ville, c’est d’abord reconnaître ses défauts : elle a connu sur ces 20 ans trop de versions : des quartiers à la ville, de l’humain à l’urbain, de la rénovation à la reconstruction, de procédures en procédures, toujours
plus nombreuses et plus complexes, cette politique a besoin de suivi, de long terme et
de continuité. De même, la répartition de ses moyens s’est faite parfois au profit de
territoires qui ne devaient pas prioritairement bénéficier de ces dispositifs, ce qui a eu
pour conséquence de diminuer les crédits attribués à ceux qui en avaient un réel et urgent besoin... Cette politique devait être un complément à une politique de droit commun sur les quartiers et villes concernées. En fait, les moyens de cette politique sont venus remplacer des moyens de droit commun de moins en moins présents. Et surtout, dans les villes les plus exposées, les crédits de la politique de la ville sont venus compenser l’absence structurelle de
recettes pérennes, consécutives à la répartition fondamentalement inégale de la
ressource fiscale, aux manquements de la fiscalité locale et des mécanismes de péréquation nationaux. Dans ces quartiers où les effets positifs d’une politique de la ville efficace sont mesurables, un sujet n’a pu être traité efficacement, c’est celui du chômage. Même lorsque celui-ci descend au niveau national, il reste au-dessus des moyennes
nationales dans ces quartiers. Il y a à cette situation deux causes principales : Tout d’abord, ces quartiers, ces villes et leurs populations font l’objet d’une politique de ségrégation et de discrimination réelle et dramatique. Cette politique concerne toute la population avec une prédominance pour ses ressortissants qui sont issus de l’immigration. La deuxième, c’est qu’en raison des conditions de logement, de l’absence de moyens pour le système scolaire, de la crise économique et de la situation socialement extrêmement grave, une certaine partie de cette population n’est pas ou plus en
situation d’employabilité. Même lorsque la croissance est là, même lorsque des emplois sont créés ils ne
bénéficient pas à « ces populations ». Enfin, un nouveau phénomène, indépendant de la Politique de la Ville, est venu aggraver la situation : celui de la crise du logement qui frappe notre pays et particulièrement les classes sociales les plus défavorisées. Les populations exclues du logement viennent se loger en nombre dans les quartiers
et les villes les plus en difficultés. Dans le parc social public, tout d’abord, au travers de phénomènes de cohabitation et d’hébergement soit familiaux, soit crapuleux, traduit notamment par des situations de sous-location
de chambres. Ces faits conduisent à des phénomènes de sur-occupation et donc de tensions intra et extra familiales. Dans le parc privé ensuite, et notamment dans les copropriétés souvent dégradées,
devenues le refuge des « recalés » du logement social. Le parc social de fait se
développe, engendrant des situations d’habitat dégradé qui ont un coût pour la
collectivité, qui contredisent les normes d’hygiène et de sécurité élémentaires et qui
laissent toutes sortes de trafics se développer au profit des marchands de sommeil
devenus les négriers modernes. La question des copropriétés dégradées est
désormais une question politique majeure, qui interroge directement les politiques
publiques à conduire sur les territoires fragiles et les moyens qu’il convient d’y
mobiliser. Cette situation globale est intolérable et inacceptable. Elle est pourtant tolérée et
acceptée avec une sorte de fatalisme par notre pays et notre République qui n’ont
toujours pas trouvé les moyens de l’endiguer. Nous avons essayé de comprendre pourquoi aucun gouvernement successif n’avait pu mettre en œuvre les procédures et moyens nécessaires, pourtant simples parfois,
afin de mettre un terme à cette situation scandaleuse. La seule explication rationnelle que nous avons trouvée c’est que notre pays et ses dirigeants, qui ne connaissent pas ou peu concrètement ces situations, ont en fait peur et honte de la banlieue, des quartiers et villes « d’habitat social ». Quel gâchis pour la France et pour la Gauche. Gâchis pour la France, car dans ces villes se trouve notre jeunesse et donc notre
avenir, ainsi que des habitants dynamiques, créateurs, solidaires qui, dès que les
conditions sont réunies, libèrent leur énergie dans des conditions extraordinaires. Gâchis pour le Parti socialiste qui ne sait plus, en dehors de ses élus locaux, parler à ces gens et les écouter, alors qu’ils sont les nouvelles classes populaires que nous devons défendre, mettre en avant et à qui nous devons donner un avenir plus bleu.
Nous voulions en 1981 « changer la vie » ; nous devons, en 2005, donner un avenir à
ces quartiers et à leur population. Ce doit être à la fois l’ambition et la fierté de tout
socialiste, comme de notre parti qui devra s’il revient aux responsabilités, prendre
des engagements et les tenir. Alors comment faire, quoi faire ? Face à la force destructrice de la marchandisation et au délitement organisé de l’Etat, la Politique de la Ville a besoin de l’Etat, justement parce que celui-ci est le garant de la solidarité nationale, le protecteur des plus faibles et est le seul capable de briser les
forces centrifuges à l’œuvre sur ces territoires. La décentralisation, dans son acte 2, a
poussé très loin, trop loin, la logique du désengagement de l’Etat, dans des
domaines où il était absolument nécessaire qu’il conservât des prérogatives de
puissance publique. L’habitat, l’aménagement du territoire pour n’évoquer que ces
deux thèmes, ne sauraient être livrés à la seule logique de compétition entre les
territoires, car tous ne partent pas à égalité. Le rétablissement de l’égalité des chances
entre les territoires passe par la réaffirmation du rôle de l’Etat, au risque de rogner
sur le principe de la décentralisation. L’État a une responsabilité majeure. Celle de garantir à chacun les mêmes droits dans le cadre d’une société décentralisée. Les territoires ne sont pas exclus du champ des droits. L’État a également le devoir de moderniser ses propres services, son administration
pour faire en sorte qu’elle accroisse son potentiel à rendre du service public aux
usagers, où qu’ils se trouvent, sur la base de critères de qualité exigeants et avec les
moyens correspondants. Cela passe par une politique de redistribution des richesses au niveau national De
redistribution de la valeur ajoutée et donc des produits de la fiscalité, trop
d’inégalités subsistant encore en l’espèce. Les inégalités produisent et renforcent les
inégalités ; ce qui est fait pour les endiguer n’est pas suffisant par rapport aux processus en œuvre. De même, pour sortir certains territoires de l’exclusion, la modernisation des institutions locales est également un objectif à atteindre. Il convient de prendre en compte la réalité des exigences démocratiques de la démocratie représentative et
participative. Il faut également et rapidement adapter la réalité politique des
territoires au phénomène urbain en prenant en considération la montée conjointe du
phénomène intercommunal, dont on mesure à la fois qu’il souffre d’un déficit de
lisibilité et d’un déficit démocratique et qu’il est en même temps porteur des
compétences et des échelles pertinentes de l’intervention publique notamment en
matière de politique de la ville. Lui donner une consistance et une réalité politique
forte est un des éléments qui peuvent permettre de bâtir de nouvelles solidarités
entre territoires dès lors que l’Etat joue son propre rôle d’aménageur coresponsable du territoire. Il faudra enfin développer le contrôle et l’assistance aux collectivités les plus fragiles, celles dont justement l’attractivité n’est plus suffisante pour attirer des cadres, celles qui n’ont pas nécessairement les moyens de les attirer par une politique salariale et
indemnitaire qui compense la réalité de leur quotidien, celles qui, dès lors, souffrent
d’un manque relatif d’expertise là où les enjeux de leur territoire en exigent... Quelle politique les socialistes doivent-ils mener pour sortir les territoires de l’exclusion Paradoxalement, les mesures à prendre sont souples, peu coûteuses et connues de tous tant ce débat est animé dans notre pays depuis maintenant de nombreuses années. Il ne manque que la volonté politique pour passer aux actes et mettre en œuvre « le nécessaire traitement inégal de situations inégales ».
I - Doter les communes concernées de moyens suffisants Renforcer les mécanismes et dotations de péréquation en poursuivant la réforme
de la DSU et des dotations d’Etat Généraliser le principe du FSRIF à l’ensemble du territoire Réformer la fiscalité locale pour la rendre plus juste, progressive et adaptée aux
revenus du contribuable.
II - Recentrer la politique urbaine et sociale sur les villes les plus en difficulté Considérer ces territoires comme des zones prioritaires d’expérimentation, y compris dans les domaines de l’Education nationale. Resserrer les crédits de la Rénovation Urbaines et du FIV sur les 300 villes les plus
pauvres tout en favorisant des Contrats « État Région Conseil Général Ville et Intercommunalités » qui assurent une intervention massive, coordonnée et cohérente sur les territoires prioritaires.
III - Monter une politique de la ville pour les quartiers des autres villes
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