Réformer l'Etat, c'est accorder l'autonomie régionale

Jean-Jack Queyranne



Point de vue signé par Jean-Jack Queyranne, président du conseil régional de Rhône-Alpes, paru dans le quotidien Le Monde daté du 5 septembre 2005.
 
Le nombre et la qualité des projets de pôle de compétitivité ont contredit les lieux communs sur l'inexorable déclin économique de notre pays. Le fossé se creuse de plus en plus entre une société d'initiatives en quête de mouvement et un Etat aux abois, incapable de se réformer mais qui persiste dans sa volonté d'omnipotence.

Elaborés dans les régions, grâce à la collaboration des entreprises, des laboratoires de recherche, des partenaires sociaux et des élus, ces projets ont suscité une telle effervescence d'idées que le gouvernement - confronté à des difficultés d'arbitrage - a dû revoir ses critères de sélection. C'est aussi au sein des régions que les institutions culturelles ont trouvé des interlocuteurs attentifs, acquis à la création artistique et favorables à la rencontre avec le public, quand, là encore, après la crise sur le statut des intermittents du spectacle, l'Etat se dérobe et désinvestit le champ de l'art et de la culture.

De son côté, le gouvernement a accumulé les décisions à courte vue. En lançant la privatisation des autoroutes aux fins de compenser un déficit budgétaire de plus en plus accablant, il a dangereusement compromis le financement des infrastructures de transports. En approuvant la décision de la SNCF de réduire les liaisons interrégionales (les trains Corail), il a conforté la logique d'un système ferroviaire organisé depuis le XIXe siècle pour faire converger toutes les lignes vers Paris.

Quant aux difficultés d'exécution du plan Borloo pour l'emploi, elles prouvent combien, sans l'implication des territoires, les meilleures intentions sont vouées à l'échec. C'est bien que quelque chose ne fonctionne pas dans le choix de solutions nationales et dans leur mise en oeuvre.

Un Etat bloqué, une société d'initiatives : le paradoxe français est frappant. De plus en plus, les régions sont les lieux où s'expriment les projets, s'échangent les expériences, se nouent des dialogues fructueux entre les partenaires qui, au niveau national, restent figés dans des jeux de rôles corporatistes. C'est dans le cadre des régions que s'expriment de nouvelles formes de démocratie. Les citoyens y retrouvent une place d'acteurs sur de grandes questions comme l'emploi ou l'environnement, alors qu'ils se défient de plus en plus de l'Etat.

Contre le chômage, priorité des Français, les batailles décisives se mènent en régions. En Rhône-Alpes, nous avons imaginé un dispositif souple : les contrats d'aide et de retour à l'emploi durable (Cared). Pour les entreprises ou les branches professionnelles qui éprouvent des difficultés de recrutement, la région finance la formation et l'accompagnement des demandeurs d'emploi. En un semestre, 1 500 Cared de qualité ont été négociés dans les travaux publics, l'ameublement, les téléservices, la mécanique, l'horticulture ou les métiers de la montagne.

Sur les énergies renouvelables, dont il faut souligner le retard français par comparaison aux autres pays d'Europe, les régions pallient les approximations de l'Etat. Que, dans la loi de finances 2005, la création d'un crédit d'impôt destiné à favoriser le recours aux énergies " propres " porte des objectifs louables, soit ! Mais dans la réalité, pour les panneaux solaires, par exemple, la mesure n'intègre pas les coûts d'installation et se révèle défavorable et injuste.

Les régions doivent intervenir pour modérer les effets pervers de cette mesure en trompe-l'oeil. Cet exemple traduit manifestement le manque de convictions des gouvernements Raffarin puis Villepin sur l'écologie et le développement durable. Il révèle aussi l'inadéquation entre une mesure prise à Paris et sa pertinence d'application sur le terrain. Loin de " faire avec ", l'Etat avance seul.

Nous pourrions évoquer bien d'autres domaines, comme l'apprentissage ou le soutien aux créations d'entreprises. Partout se dessine l'image d'une France où les capacités d'innovation, de créativité, de solidarité ne demandent qu'à s'exprimer. Mais elles se trouvent confrontées à une organisation et à une culture centralisées qui ne correspondent plus aux nécessités de notre époque.

En 2002, M. Raffarin avait semblé en saisir l'importance. Sa "mère des réformes", qui devait ouvrir le deuxième acte de la décentralisation, ne fut qu'un coup manqué ! Au lieu de simplifier la répartition des compétences, la loi du 13 août 2004 s'est contentée de transférer de nouvelles charges aux conseils régionaux comme aux conseils généraux, sans leur accorder pour autant les moyens suffisants.

Elle apparaît davantage comme une manoeuvre plus propice à alléger le budget de l'Etat et à lisser les déficits qu'à consolider le rôle des collectivités territoriales. Il est vrai qu'entre-temps, les victoires de la gauche aux élections régionales de mars 2004 ont incité le gouvernement et sa majorité à reprendre ce qu'ils avaient promis.

La mission de chef de file du développement économique qui devait revenir aux régions s'est réduite comme peau de chagrin au fur et à mesure de l'examen législatif. Ce texte, censé permettre à la France de rattraper son retard par rapport à l'Allemagne, à l'Italie, à l'Espagne et même au Royaume-Uni, n'aura finalement semé que la confusion.

Pour répondre aux attentes du pays, il faut très vite remettre l'ouvrage sur le métier. A condition de ne pas se contenter de demi-mesures, mais d'entreprendre une véritable régionalisation. Elle impose de faire sauter quatre verrous. D'abord, il faut pouvoir légiférer au niveau local. Le transfert des pouvoirs normatifs vers les régions est l'une des premières grandes évolutions dont nous avons besoin. Ils restent aujourd'hui la prérogative de l'Etat, alors que la diversité des situations justifierait, comme en Espagne ou en Italie, que l'élaboration de certaines lois ou règlements revienne aux conseils régionaux.

Ce qui vaut pour les énergies renouvelables vaut aussi pour les aides à l'économie, le fonctionnement des services de proximité ou l'adaptation du droit de l'urbanisme aux singularités territoriales. Ainsi, les communes imaginent dans leurs plans locaux d'urbanisme des mesures visant à préserver leur tissu hôtelier familial. Ce faisant, elles se situent à la frontière du droit.
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