Genève, l'accord majeur

Paul Quilès
Point de vue de Paul Quilès, député du Tarn, paru dans le quotidien Libération daté du 13 février 2004


 
Le président Bush n'a pas dit un seul mot dans son grand discours sur «l'état de l'Union» à propos du conflit israélo-palestinien, alors qu'une grande partie de son intervention a été consacrée à l'Irak et à la lutte contre le terrorisme. Pas un mot non plus sur la tentative courageuse des initiateurs de l'accord de Genève pour trouver les voies de la paix. Raison de plus pour revenir sur les grands mérites de cet accord.

Un adage prétend que « le diable est dans les détails ». Ici, c'est au contraire le salut qui se cache dans l'énoncé détaillé de toutes les conditions de la paix. Jusqu'à présent, les négociateurs ont en effet cru pouvoir construire la paix sur des ambiguïtés et des non-dits. Ils ont concentré leur attention sur le processus de paix en laissant dans le vague le résultat politique auquel il doit conduire. Ces tentatives ont voulu instaurer la confiance entre les deux parties, mais sans leur demander au préalable de s'entendre clairement sur les buts de la négociation. Il y a là une contradiction qui ne peut conduire qu'à l'échec.

L'accord de Genève propose une démarche inverse. Il définit le contenu du futur accord de paix, sans évacuer aucune des questions-clés sur lesquelles les positions des uns et des autres apparaissaient jusqu'à présent inconciliables. Sur chacune de ces questions ­ celle du tracé des frontières, celle des implantations, celle des réfugiés et celle du statut de Jérusalem ­, des solutions claires et équitables, parce que conformes aux intérêts fondamentaux des uns et des autres, sont proposées. L'une des caractéristiques essentielles de l'accord est en effet qu'il réclame à chacune des deux parties la quantité de sacrifice juste suffisante pour lui permettre de sauvegarder l'essentiel. Ainsi, en contrepartie de la renonciation au droit systématique au retour, les Palestiniens obtiennent leur Etat sur l'essentiel du territoire de la Cisjordanie d'avant 1967, une grande partie de Jérusalem et la reconnaissance du préjudice subi avec les expulsions. De son côté, Israël obtient, en contrepartie de la renonciation à la plupart des implantations, la garantie de son caractère juif, la paix et la sécurité de ses frontières.

Cet accord offre un grand espoir à tous ceux qui mesurent les enjeux de la paix entre Israël et les Palestiniens. La paix, dont on semble si loin aujourd'hui, rendrait bien sûr à des millions de personnes l'espoir de retrouver une vie humaine et digne. Elle mettrait fin à plus d'un demi-siècle de souffrances, de violences et de terrorisme. Mais elle ouvrirait aussi la voie au règlement des multiples conflits qui font du Moyen-Orient un foyer de guerre permanent et qui retirent toute perspective de développement véritable aux peuples de la région. Je pense en particulier au conflit entre Israël et la Syrie, à l'occupation syrienne du Liban, aux tensions au Sud-Liban.

La paix entre Israéliens et Palestiniens est une des conditions du succès dans la lutte contre le terrorisme international. Car tant que cette paix ne sera pas conclue, les recruteurs du terrorisme trouveront un argumentaire facile et efficace dans le refus de reconnaître aux Palestiniens le droit de vivre dans leur Etat, dans la situation de misère et de chômage où le conflit les place et dans le cycle interminable des attentats et de la riposte militaire.

La paix entre Israéliens et Palestiniens permettrait aussi d'envisager de manière réaliste une participation de la Syrie et de l'Iran à un accord global de sécurité pour le Grand Moyen-Orient. Elle améliorerait de manière décisive les perspectives de stabilisation politique en Irak. Elle créerait des conditions incomparablement plus favorables pour la restauration de la souveraineté irakienne et pour le départ à terme des forces d'occupation. Face à ces immenses enjeux, les tentatives de règlement du conflit israélo-palestinien ont été dramatiquement insuffisantes, tout particulièrement depuis l'échec des négociations de Camp David et de Taba et l'arrivée au pouvoir d'Ariel Sharon.

L'inaction de l'administration Bush est patente. Les partenaires des Etats-Unis au sein du Quartet semblent avoir renoncé à toute initiative propre et paraissent gagnés par le fatalisme. De leur côté les extrémistes des deux camps font prévaloir leurs méthodes : multiplication des attentats d'un côté, développement de la colonisation, construction du mur de sécurité et incursions armées de l'autre.

Dans cette situation apparemment bloquée et chaque jour plus dégradée, l'accord de Genève a l'immense mérite d'énoncer clairement les conditions objectives de la paix. Il appartient à présent à l'Autorité palestinienne et au gouvernement Sharon de prendre clairement position sur chacun des points de l'accord. Les réactions de rejet global que l'on a pu entendre ne suffisent pas. Chacune des parties doit dire clairement ce qu'elle refuse et ce qu'elle propose en lieu et place des clauses refusées.

Elle devra, dans sa réponse, tenir compte d'ores et déjà des aspirations d'une population lasse du conflit et très largement désireuse de paix. Un sondage récent a demandé à 1241 Israéliens et Palestiniens leur position sur les dispositions de l'accord de Genève, sans en indiquer l'origine. La réponse est très encourageante. Selon ce sondage en effet, plus de 50 % des Palestiniens et des Israéliens paraissent soutenir le contenu de l'accord.

L'Union européenne ne doit pas rester inactive face à cet espoir nouveau. Elle doit saisir le Conseil de sécurité de l'ONU du contenu de l'accord de Genève. Elle doit demander au Conseil de sécurité d'établir un mandat international dans les frontières attribuées par l'accord de Genève au futur Etat palestinien en vue d'y déployer rapidement une force d'interposition crédible dont le commandement pourrait être confié aux Etats-Unis.

Parallèlement, elle doit demander au Conseil de sécurité d'intervenir directement dans le règlement du conflit et de mettre sur pied dans ce but une conférence internationale chargée d'élaborer, en accord avec les parties israélienne et palestinienne, un règlement de paix sur la base des clauses de l'accord de Genève. Ce règlement de paix devra être accompagné d'un accord général de sécurité associant l'ensemble des pays de la région. Il devra également être complété par un vaste plan de reconstruction économique sous l'égide notamment des Etats-Unis et de l'Union européenne.

Espérons que l'Europe saura assumer les responsabilités que lui créent les développements actuels de la situation. Elle s'est trop longtemps contentée des seconds rôles dans les négociations sur la paix au Moyen-Orient. Il lui appartient aujourd'hui de vouloir et d'agir. Sur cette question vitale pour la paix, le PS doit s'exprimer sans ambiguïté. Ici aussi, comme dans l'élaboration de l'accord de Genève, le diable n'est pas « dans les détails ». Il ne faut pas hésiter à aller au-delà de formules générales de soutien à cette initiative historique, dire clairement ce que nous soutenons, ce que nous dénonçons. C'est ainsi que nous démontrerons le mieux la fermeté de nos convictions.

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