28 mars : ce n'était pas un accident !

François Rebsamen



Entretien avec François Rebsamen, maire de Dijon, directeur de la campagne du PS pour les régionales, paru dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur daté du 8 avril 2004
Propos recueillis par François Bazin
 

Le 28 mars, au second tour des régionales, la gauche a été majoritaire dans le pays. Cela vous étonne ?
Soyons honnête : l’ampleur de cette poussée, avec les conséquences que l’on sait sur les présidences de région, m’a bien sûr un peu surpris. Cela dit, j’y ai aussi vu l’infirmation de thèses qui depuis quelques années étaient répétées à l’envi par de nombreux observateurs de la vie politique mais aussi par certains responsables socialistes : la France était censée glisser à droite; le PS en particulier et la gauche en général avaient perdu crédibilité et audience dans les milieux populaires.

Qu’est-ce qui vous permet d’être aussi catégorique ?
Les chiffres, tout simplement. Ils sont d’autant moins probants que huit Français sur dix se sont rendus aux urnes entre le 21 et le 28 mars. Ce qui, soit dit en passant, relativise grandement le discours sur la crise de la démocratie représentative et le désintérêt pour la politique. La gauche a franchi au second tour la barre des 50 %. Près de 70 % des milieux populaires ont voté pour ses listes. Excusez du peu !

Comment expliquer ce retour de flamme ?
Mais précisément, pour moi, ce n’est pas un retour de flamme

Alors de quoi s’agit-il ?
Pour comprendre, il faut remonter un peu en arrière, lors des municipales de 2001. Le bilan pour la gauche est alors plus que mitigé. Paris, Lyon ou Dijon - trois conquêtes parmi d’autres - masquent difficilement un échec global. S’imposent à cette époque deux idées simples. La première est que le besoin de sécurité, exprimé de manière évidente dans les quartiers populaires, atteste que la société française est en train de basculer à droite. La seconde est que pour espérer gagner, malgré cette sécession de ses bases naturelles, la gauche doit recentrer son projet en s’adressant en priorité aux classes moyennes. Or à partir d’un diagnostic partiellement faux a été élaborée une stratégie dont les conséquences vont se révéler désastreuses.

Pourquoi ?
Je parle ici d’expérience, comme maire de Dijon. Dans les rares villes que nous avons conquises en 2001, la victoire n’a été possible que grâce à la mobilisation d’un électorat populaire qui n’avait pas oublié le rendez-vous des urnes. On s’est obnubilé sur le seul vote des bobos en oubliant un peu trop vite les performances de nos candidats dans les quartiers les plus populaires de Paris, de Lyon ou de Dijon. Sur cette première erreur s’en est greffée une autre lorsqu’on a confondu un besoin de protection avec un désir de sécurité : comme si l’aspiration à la tranquillité publique des milieux populaires devait être considérée comme une valeur de droite !

Les conséquences de ces erreurs ?
La plus flagrante a été le positionnement de notre candidat à la présidentielle. A partir du moment où nous jugions collectivement que la France était de droite, il était logique de construire, avec Lionel Jospin, une campagne qui dès le premier tour efface le marqueur socialiste et tente de limiter la casse sur le terrain de la sécurité plutôt que de montrer nos différences sur le terrain social. On connaît le résultat. Après la présidentielle, ces mêmes erreurs d’analyse ont conduit certains à proclamer la mort de notre parti - d’où le slogan d’un nouveau PS - ou à courir derrière l’extrême-gauche au motif qu’une posture de pure résistance était seule capable de freiner le rouleau compresseur de la normalisation libérale.

Tout cela a quand même débouché sur une victoire historique de la gauche et du PS !
Les facteurs de cette victoire sont multiples. L’un d’entre eux me paraît essentiel. Quand elle ne se trompe pas de ligne et qu’elle affirme un réformisme social-démocrate, la gauche est encore capable de mobiliser une France qui continue à se reconnaître dans son projet. On nous disait que les fils de ces solidarités étaient rompus. Or je constate qu’ils peuvent être renoués.

Reconnaissez toutefois que dans cette affaire la droite vous a bien aidés !
Elle a reproduit à sa manière nos erreurs antérieures. Elle aussi a cru que la France était de droite en oubliant le score de Chirac au premier tour de la présidentielle (19 %). Elle s’est surtout convaincue que la large victoire de l’UMP aux législatives de juin 2002 marquait non pas le refus d’une nouvelle cohabitation mais l’adhésion des Français à un projet libéral-autoritaire. Ce qui - on le sait maintenant - est une totale illusion.

Jospin-Chirac : même erreur, même sanction ?
Je ne personnalise pas comme vous le faites car, s’agissant de Jospin, la faute a été collective, les responsabilités partagées et les leçons - je l’espère - tirées. Mais au-delà de la formule, je crois que ce diagnostic est le bon.

© Copyright Le Nouvel Observateur


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