Le PS, ce n'est pas l'armée


Entretien avec Michel Rocard, député européen, paru dans Le Parisien daté du 18 juillet 2004.
Propos recueillis par Bernard Mazières


 

Jacques Chirac a décidé d'organiser un référendum sur la Constitution européenne. C'est bien ce que vous vouliez...
Oui. La ratification parlementaire aurait probablement été plus simple, mais tout le monde admet que le sujet est d'importance. Il faut en finir avec les hésitations et les doutes. Trancher par référendum donnera de l'autorité à la suite

N'y a-t-il pas un vrai risque que le non l'emporte ?
Si, bien sûr, mais il n'y a pas de politique sans risque ! La démocratie, c'est le fait d'assumer collectivement ces risques au lieu de les prendre sur la tête d'un seul. Et puis à la limite, la persistance d'une politique européenne poussant à plus d'intégration sans ratification populaire serait encore plus risquée. Cela aurait fini par exploser quelque part.

Comment expliquer le trouble de beaucoup de socialistes alors que le PS s'est toujours battu pour l'Europe ?
Mais le trouble, il est dans le peuple français. Les socialistes en sont de bons représentants : ce ne sont pas des extraterrestres. D'ailleurs, on peut comprendre le doute actuel sur la construction européenne. La compétence des institutions européennes porte sur l'économie, les finances et le commerce, ce que le général de Gaulle appelait l'intendance. Cela ne suscite pas l'enthousiasme, mais c'est indispensable. Cela dit, si nous n'étions pas en train de faire l'Europe nous serions commercialement une colonie américano-chinoise. Lorsque la France s'est retrouvée unanime derrière son Président pour déclarer son hostilité à la guerre en Irak, le pays aurait dû faire face à une tornade monétaire impitoyable si nous avions encore eu le franc. C'est l'euro qui nous a protégés. Notre indépendance nationale est liée à la force de l'euro.

Comprenez-vous les réserves de Laurent Fabius ?
Il a exprimé des inquiétudes que tout le monde partage, y compris moi. Ce que je lui reprocherais, c'est de ne pas les avoir assez pondérées par les facteurs d'espoir.

Des socialistes appellent déjà à voter non...
Lorsqu'un débat démarre, il y a des avis divergents, c'est la nature humaine. Le PS, ce n'est pas l'armée. Mais notre parti sait comment faire, au terme d'un long processus de confrontations et d'échange d'arguments, pour parvenir à prendre une décision que tout le monde devra respecter.

Vous, c'est le oui...
Je suis résolu à me battre, et d'abord pour un motif essentiel : l'Europe est-elle suffisamment solide pour résister à un coup d'arrêt ? Je ne le pense pas. Rien n'est irréversible et je crois vraiment qu'on peut faire tout sauter. D'autant que des processus de dislocation de l'Europe sont déjà en œuvre, maniés par un certain nombre de gouvernements, la Grande-Bretagne, le Danemark, la Suède, la Pologne, qui se considèrent comme gênés de ce qu'on a en a déjà trop fait en matière d'intégration. On ne doit pas jouer aux apprentis-sorciers en votant non pour une soi-disant clarification politique. Ce serait un naufrage historique.

Avez-vous été surpris par la rudesse des propos du chef de l'Etat vis-à-vis de Nicolas Sarkozy ?
La querelle Chirac-Sarkozy ne grandit ni la démocratie ni la France. Je pense que Jacques Chirac réglerait mieux cette affaire en contrôlant davantage ses nerfs.

« Le Président décide, le ministre exécute », est-ce une formule que vous approuvez  ?
C'est constitutionnellement correct.

Selon vous, Sarkozy aurait-il dû démissionner ?
Je n'en sais rien, je ne connais pas les mœurs de l'UMP. Mais je mets en garde : nous vivons une phase dangereuse de méfiance de l'opinion vis-à-vis de la classe politique. Les gens veulent que l'Etat fonctionne. Ils détestent les pinaillages entre responsables politiques qu'ils interprètent comme une bataille pour le partage de zones d'influence. Tout ce qui en rajoute là-dessus aggrave le discrédit.

Sur les 35 heures, Chirac souhaite un assouplissement ...
Je suis un partisan de longue date de la réduction du temps de travail. J'ai beaucoup souhaité qu'elle se fasse de façon très souple parce que cela correspond au sens de l'évolution historique. La loi sur les 35 heures répondait à un besoin. Mais on a eu recours à la contrainte pour obtenir des effets rapides et cela s'est traduit par des difficultés notamment dans les PME. Reste que cette loi a brisé le tabou, créé 250 000 à 300 000 emplois et rendu perceptible le fait que le temps libre peut faire partie du bonheur de vivre. Il y a là quelque chose qui touche à l'idée que l'on se fait de l'homme, et ce fin renard de la politique qu'est le président sait bien qu'il vaut mieux ne pas y toucher.

Il y a tout juste vingt ans, François Mitterrand nommait Laurent Fabius à Matignon. Etait-ce le bon choix  ?
Oh, sûrement...

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