Traité constitutionnel :
Dire oui, parce que l'Europe est une construction fragile


Entretien accordé par Michel Rocard, ancien premier ministre, député européen, au quotidien Libération daté du 2 juillet 2004.
Propos recueillis par Jean Quatremer


 

Le PS devient-il un parti eurosceptique ?
C'est un peu excessif mais il est clair que nous avons une remontée d'huile eurosceptique dans nos rangs. Mais rien n'est encore réglé : nous allons avoir un débat sur la Constitution, un débat qui sera plus tendu que d'habitude. Je pense que le malaise à l'intérieur du PS est assez représentatif de celui qui traverse l'opinion française : l'Europe a le malheur de n'avoir pour compétence que des sujets qui relèvent de l'intendance, comme l'aurait dit le général de Gaulle, mais n'a guère de pouvoir en matière de politique étrangère. Pour comprendre ce que cela veut dire, il n'y a qu'à regarder les engagements militants de la jeunesse d'aujourd'hui : de moins en moins dans les partis et les syndicats, jamais dans les mouvements fédéralistes européens mais, en revanche, un engagement fort dans les ONG. Les courages, les dévouements, vont vers le traitement de la souffrance du monde et se veulent à compétence mondiale. Or, l'Europe apparaît au milieu de tout cela comme un club de gestion des intérêts des pays riches, ce qui n'est pas de nature à mobiliser les enthousiasmes. A cela s'ajoute, un second problème : une confusion mentale rend l'Europe coupable d'une mondialisation mal maîtrisée alors que la mondialisation se serait faite même sans l'Europe. J'ajoute même qu'elle est la construction juridique d'un outil de défense relative par rapport à cette mondialisation.

A vous entendre, Laurent Fabius serait en quelque sorte le porte-parole des altermondialistes ?
C'est beaucoup dire. Laurent s'est exprimé comme il l'a fait car il sent une très forte inquiétude. Mais au lieu d'y répondre frontalement par une explication forte, il donne l'impression qu'il est prêt à coller à ce mouvement d'inquiétude. Cela étant, il n'a pas dit ce qu'il allait faire et je ne désespère pas qu'il se rallie à la fin à la Constitution. L'erreur dramatique que font les socialistes qui prônent le non à la Constitution est que cela induit un décrochage par rapport à la tradition socialiste. Le PS a toujours eu la volonté d'améliorer la construction politique en Europe pour la rendre capable d'être un outil de résistance à la mondialisation. Nos eurosceptiques internes d'aujourd'hui renoncent à cette ligne avec une analyse extrêmement étrange : ils font l'hypothèse implicite que l'Europe est du béton armé et que l'on peut s'amuser à en faire un instrument au service de préoccupations de politique intérieure. Nos minoritaires ne se rendent pas compte qu'ils se trompent, qu'ils jouent avec le feu car l'Europe est une construction fragile que beaucoup de gens aimeraient démolir. S'il est un individu qui souhaitait ardemment aujourd'hui un affaiblissement de l'Europe, c'est bien le président Bush.

N'avez-vous pas été surpris par le long silence de François Hollande ?
Surpris n'est pas le mot. Je le regrette mais je comprends que François soit prudent et se réserve pour les moments du combat.

On a connu des patrons du PS plus engagés sur la question européenne...
Moi notamment, Pierre Mauroy aussi. Il faut bien voir que nous avons un problème : ce débat est mal daté puisque nous dépendons du calendrier de la ratification qui sera fixé par le président de la République. Se précipiter n'a donc pas grand sens. Mon souci, pour éviter que le débat ne dérape, est de fournir de l'argumentation, notamment d'insister sur le fait qu'il ne faut pas donner la priorité à des attitudes franco-françaises.

Allez-vous vous engager dans la bataille interne en faveur du oui ?
Naturellement oui, mais il faut savoir qu'il n'y a plus d'intimité interne des sociétés politiques puisque les médias sont omniprésents. La bataille se passe dans les médias. Ce facteur aggrave la violence des affrontements et le recours nécessaire à une argumentation symbolique. Or, en dehors de dispositions générales et de l'ordre des voeux, cette Constitution n'est qu'un règlement intérieur de l'Europe, à peine amélioré par rapport à celui de Nice. Il faut donc, pour le transformer en un monument satanique ou en un objet de culte, délibérément fausser ce qu'il est, alors qu'il ne mérite ni tant d'honneur ni tant d'indignité.

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