On n'a pas encore repris tous nos esprits


Entretien avec Michel Rocard, député européen et président de la commission culture du Parlement de Strasbourg, paru dans Le Parisien daté du 16 octobre 2003.
Propos recueillis par Bernard Mazières


 

Approuvez-vous Lionel Jospin quand il traite le tandem Chirac-Raffarin de « mystificateurs » ?
Oui. J'ai trouvé que le mot était heureux. Aujourd'hui, la France est placée dans une situation difficile par MM. Chirac et Raffarin. Les dérives budgétaires et le peu de cas qu'ils font des contraintes européennes que la France a choisies ne grandissent pas notre image, à l'extérieur. Et ne favorisent pas, à l'intérieur, la paix sociale.

Son intervention est-elle utile ?
Toutes les contributions sont bonnes. Nous avons en commun, Lionel et moi, de savoir ce que veut dire le mot « gouverner ». Cela donne du poids à nos paroles.

Ne brouille-t-il pas le jeu au sein du PS ?
Pourquoi ? Lionel n'est candidat à rien, à ce que je sache !... Il est libre de s'exprimer. On n'est pas dans l'armée. Il n'y a pas d'obligation de réserve. Ce n'est pas : Tous unis derrière le chef, et silence dans les rangs ! Débattre et discuter, c'est notre fierté au PS. Cela peut faire désordre... Un parti politique, c'est, d'abord, une machine à produire trois-quatre décisions politiques lourdes par an. C'est, ensuite, une réunion de militants, plutôt nerveux et réactifs, qui ont des idées et les expriment. Il n'y a aucune raison statistique de penser que tout le monde va être d'accord. C'est, enfin, un rassemblement d'ambitions concurrentielles. Quoi de plus naturel, dans ces conditions, que de les voir s'exprimer ?

Le PS ne semble pas apprécier votre liberté de parole, notamment quand vous critiquez la méthode employée par « madame Aubry », selon votre formule, pour les 35 heures...
Qu'on enterre cette mauvaise polémique ! En 1996, je me battais pour la semaine de quatre jours. On ne peut donc pas sérieusement affirmer que je suis contre la réduction du temps de travail. J'ai juste exprimé un mini désaccord technique sur la façon de faire une partie de cette loi. Je reste un socialiste hyperactif. Mais je ne raterai jamais une occasion de dire : Là, il faut faire mieux ou différemment. Je suis un perfectionniste.

Vous reprochez aussi au PS sa frilosité sur le projet de Constitution européenne...
Oui. Je suis inquiet de voir qu'un tiers de nos camarades se disent prêts à ne pas ratifier le texte, qui n'est pas encore définitif, sous prétexte qu'il serait trop libéral. Une Constitution, c'est neutre. C'est un outil. Elle serait parfaitement compatible avec la social-démocratie. En plus, ils renonceraient, c'est quand même poétique, à un héritage précieux : celui de François Mitterrand. Or l'Europe était l'un des grands choix où l'accord était quasi général dans le parti, notamment entre Mitterrand et moi.

Certains au PS veulent vous sanctionner, en vous privant d'une investiture aux élections européennes...
Ce sont des bavardages de gens sans responsabilités. J'en irrite certains, mais ma liberté de parole restera totale, comme ma fidélité au socialisme. Et c'est infiniment moins grave que la rupture de la ligne pro-européenne.

La gauche est-elle à nouveau en état de marche ?
On n'a pas encore repris tous nos esprits après le sale coup à l'estomac du 21 avril 2002. Une certitude pourtant : plus nous nous mettrons à courir après l'extrême gauche, plus nous assurerons notre défaite électorale prochaine. Ce sont les classes moyennes qui font gagner l'élection, appuyées par l'acceptation de la gauche ouvrière et même de l'extrême gauche. En dehors de ce schéma, pas de victoire possible.

Les ingrédients qui ont provoqué le 21 avril 2002 sont-ils encore réunis ?
Malheureusement, oui. Il y a un ralentissement économique, le chômage repart à la hausse et les Français doutent de leurs politiques. Il y a une vraie inquiétude. En prime, nous sommes sur un volcan financier car la reprise américaine est artificielle et incertaine. Elle s'appuie sur un déficit public énorme et un déficit extérieur encore plus colossal.

Quelle est votre position sur le foulard islamique dans les écoles ?
Je suis pour une laïcité intransigeante : il ne doit pas y avoir d'exception. D'autant que les lois françaises protègent ces jeunes filles, notamment d'une éventuelle polygamie et d'un statut de la femme inférieur. Dans le respect de leur foi, je suis donc partisan de beaucoup d'explications. Mais j'ai la faiblesse de penser qu'il y a assez de lois comme cela sans en ajouter une nouvelle.

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