Tout le monde
va nous rire au nez


Entretien avec Michel Rocard, député européen et président de la commission culture du Parlement de Strasbourg, paru dans Le Parisien daté du 6 septembre 2003.
Propos recueillis par Philippe Martinat


 

Par ses choix budgétaires, Jean-Pierre Raffarin va-t-il déclencher une tempête en Europe contre la France ?
Oui. On peut, en effet, assister au niveau diplomatique à une vraie colère de nos partenaires de la zone euro. Comme toujours, les Français apparaissent comme arrogants, donnant la leçon à tout le monde, faisant ce qu'ils veulent et ne respectant pas les pactes qu'ils ont passés. Cela provoque un climat désagréable. En se moquant des autres, le gouvernement Raffarin fragilise la position diplomatique d'une France qui voudrait rouvrir les négociations pour obtenir une meilleure coordination des politiques économiques en Europe. Tout le monde va nous rire au nez. C'est une bien mauvaise affaire.

Les choix du gouvernement vous ont-ils surpris ?
Je suis un social-démocrate endurci qui refuse absolument de pratiquer une opposition systématique. Je l'ai montré en défendant récemment la réforme des retraites, ce qui m'a valu quelques reproches de mon parti. Je suis donc tout à fait libre pour dire que j'en veux beaucoup aujourd'hui à Jean-Pierre Raffarin et Francis Mer. Leur politique n'a pas grand sens. Choisir de baisser uniquement les impôts sur le revenu ne bénéficie qu'à 10 % ou 15 % des ménages français les plus aisés. Ceux qui ne consommeront pas plus mais vont épargner.

Vous ne croyez pas à leur efficacité ?
Contrairement au discours officiel, cela n'aura aucun effet sur la relance mais aggravera inutilement nos déficits. Dans le même temps, le Premier ministre pose un acte de mépris rigolard, et en fait d'indiscipline forte, à l'égard de l'Union européenne. Jusque-là, la France était considérée comme un pays plutôt sérieux. Au moment où l'Union s'élargit à des partenaires qui ont une tradition bien moindre de solidité administrative et de rigueur, l'exemple que nous donnons en ne respectant pas les accords passés est dangereux.

Le Premier ministre assure qu'il « n'est pas là pour faire des équations »...
C'est une phrase inadmissible : tout gouvernement doit faire constamment des équations. Loin d'aboutir à une vraie relance d'expansion, la politique budgétaire de Raffarin se résume à un cadeau électoral, et c'est plutôt le suivi d'un ordre présidentiel inconséquent.

Faut-il reprocher à Jacques Chirac de tenir une de ses principales promesses électorales ?
Les impôts, c'est une masse énorme et il y a tout dedans. Le choix qui a été fait n'est ni solidaire, ni efficace, ni diplomatiquement acceptable : cela fait beaucoup de défauts. D'autant qu'il n'est pas si simple de réaliser des économies sur les dépenses publiques. Je nourris une colère profonde contre tous ceux qui nous répètent qu'il faut baisser les impôts sans jamais dire ce qu'on supprime. Ce n'est pas correct.

La France va-t-elle être sanctionnée par l'Europe ?
Oui, si l'on se place du point de vue de la lettre du pacte de stabilité et de croissance. Il y a un certain nombre de pays comme l'Irlande ou l'Espagne qui ont fait des efforts tout à fait considérables pour équilibrer leurs finances alors qu'ils auraient eu un vif intérêt à faire autre chose. Si la France n'est pas sanctionnée, on tombe dans la règle deux poids deux mesures. On se met en tout cas dans la plus mauvaise posture pour intervenir l'an prochain et demander une réouverture des négociations sur une réécriture de ce pacte. La civilisation, c'est le droit : même mauvais, il faut respecter un accord tant qu'on ne l'a pas modifié.

Cette affaire peut-elle avoir des conséquences sur le plan intérieur ?
C'est probable car nous allons devoir ratifier le projet de Constitution européenne. Or faire un hymne à l'Europe, après s'être assis dessus dans des conditions assez désobligeantes et discourtoises, ne relève pas d'une très grande cohérence. Il n'y a pas de vision d'ensemble. C'est d'ailleurs là le signe d'un gouvernement de court terme.

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