| « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux
huées fanatiques » Jean Jaurès (1903) Les élections se suivent et se ressemblent. Le 21 avril 2002 a été qualifié de « séisme » et le 29 mai 2005 de « tsunami ». Entre-temps, la droite avait essuyé le cyclone du printemps 2004. Point commun de ces scrutins, un double rejet : celui de la majorité sortante et, souvent, celui des partis de gouvernement. La crise de la démocratie représentative, constatée depuis des années, confirmée scrutin après scrutin, est ainsi devenue la faiblesse majeure et permanente de notre système. La question des institutions se pose depuis longtemps mais sa résolution est toujours différée,
reléguée, considérée comme secondaire. Les Français, certes, ont d’autres préoccupations.
Mais leur défiance envers leurs représentants alimente les autres formes de mécontentement.
Il n’est plus possible aujourd’hui de retarder la réflexion sur les réformes qui permettront de restaurer la confiance. La réforme institutionnelle est désormais le préalable à l’action de toute nouvelle majorité. Ce
qui est en crise en France, c’est bien le rapport au pouvoir. Les oppositions stériles entre
« France d’en bas » et « France d’en haut », entre le « peuple » et les « élites », font beaucoup de mal car elles nourrissent un populisme qui n’apporte pas la moindre réponse, et qui surtout met la démocratie en danger. Un président de la République socialiste élu en 2007 devra donc engager immédiatement une réforme institutionnelle ambitieuse. Elle devra s’articuler autour de mesures phares qui symboliseront la volonté forte et déterminée de changer le fonctionnement de notre vie publique. Pour surmonter les obstacles qui se lèvent à chaque fois que la gauche veut moderniser les institutions, il faudra agir en tout début de mandat. Le principe et le contenu de la réforme devront être débattus durant la campagne avec des engagements précis du candidat. Aussi le
président élu pourra-t-il considérer que ses propositions ont été validées par le peuple français et s’appuyer sur la légitimité des urnes. La rapidité sera la preuve d’une forte volonté politique. Elle permettra d’engager ensuite et sans attendre les réformes économiques, sociales et culturelles. Elle évitera aussi le risque d’enlisement du débat institutionnel et permettra de réduire autant que possible les résistances du Sénat. Ces considérations justifient le recours à la procédure référendaire dans les mois qui suivront l’élection présidentielle. |
Une crise sans précédent du politique |
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Une grave crise de la représentation qui remet en cause notre contrat socialLa crise du politique est devenue un leitmotiv sans pour autant que les conséquences en soient
tirées. Il n’est donc pas étonnant que les symptômes durent et s’aggravent au fil des scrutins :
l’abstention et le vote sanction sont devenus des constantes. Le sentiment que ni les partis ni
les élus n’ont les réponses aux problèmes de la société s’amplifie, et les suffrages se
transfèrent sur des formations contestataires. Le décalage entre la diversité de la société et le
relatif monolithisme de la classe politique accroît le malaise, et les politiques n’osent plus
proposer des réformes de peur de mécontenter davantage une opinion rétive ou rebelle. De ce
fait, les débats les plus fondamentaux sont différés ou escamotés. Une erreur des politiques est de penser qu’en ne disant pas la vérité ils se protègent et préservent leurs chances de conserver leurs mandats. Si le débat démocratique était conduit de manière adulte, les enjeux de l’emploi, de l’immigration, des retraites, de l’éducation, seraient
abordés dans un esprit constructif au lieu de déclencher immédiatement blocages et
surenchères qui transforment la France en pays de la réforme impossible. La démocratie française est aujourd’hui affaiblie. Chaque élection éconduit la majorité sortante non par attrait pour l’opposition mais par rejet de l’équipe en place. Les législatives de 1997 furent plus la défaite de Juppé que notre victoire. Les scrutins de mars 2004 signaient l’échec de Raffarin bien davantage que notre retour en grâce. Le refus de la Constitution européenne est aussi le rejet du chef de l’Etat et de son gouvernement. Notre ambition doit donc être de remporter des victoires parce que notre projet aura suscité l’adhésion des électeurs et qu’ils nous accorderont la durée pour le réaliser.
La nécessité d’un projet socialiste porteur de véritésRestaurer le dialogue et le débat démocratique est donc la première exigence du parti socialiste. Entendre les citoyens n’est pas forcément surfer sur leurs diverses grognes. Il y a aujourd’hui un malaise français qui provient à la fois de réelles difficultés (un chômage plus
élevé qu’ailleurs, des indices économiques préoccupants, des gouvernements impuissants) et
de l’absence de perspective politique. Le rôle d’un parti est bien de dégager ces perspectives,
en entendant les attentes et en évitant les réponses démagogiques. Ce ne sont ni les enquêtes
d’opinion ni les engouements médiatiques qui doivent nous guider, mais des valeurs, des
principes, des convictions, une vraie volonté de réforme que nous devons faire partager. Nous
n’avons pas à bâtir un projet « attrape-tout » dans l’espoir de séduire les électeurs : nous
rassemblerons la gauche parce que nous serons porteurs d’un projet de vérité pour l’avenir.
La première condition pour réussir : rompre avec des institutions qui étouffent toute expression démocratiqueL’essoufflement de nos institutions s’aggrave. Premier signe, une présidentialisation du régime qui confine au despotisme. Les dérives dites « monarchiques » de la fonction
présidentielle sont anciennes, mais le quinquennat a porté à un paroxysme les défauts des
institutions, et la manière dont Jacques Chirac les utilise pour sa convenance personnelle les a
définitivement discréditées. Il faut s’interroger sur une situation où le président exerce tous les
pouvoirs sans être contrôlé ni risquer d’être sanctionné. La pratique du double exécutif est de
plus en plus bancale. La question de la responsabilité du président de la République doit être
posée. Il ne saurait à la fois bénéficier de la toute-puissance, de l’irresponsabilité et de l’impunité !
D’une certaine manière, et plus encore au cours de son deuxième mandat, Jacques Chirac a tué le système actuel. Après le vote d’union nationale du 5 mai 2002, il a privilégié son confort en appelant à Matignon une sorte de sous-chef de cabinet libéral. Après la vague du printemps 2004, qui exigeait un sursaut, il n’a rien fait, méprisant là encore le message des
Français d’une manière inédite en démocratie. Et après le 29 mai, il a choisi pour Premier
ministre l’homme qui garantira sa tranquillité plutôt que celui qu’attend sa propre majorité.
Plus que jamais, les rôles des deux têtes de l’exécutif doivent désormais être redéfinis.
Le deuxième indice est l’asphyxie du parlement, pour une série de raisons dont l’une, essentielle, est qu’il n’a pas la maîtrise du temps : à la fois pour la définition de son ordre du jour et pour l’examen des textes, trop souvent expéditif, coincé entre le calendrier de la
Commission compétente et celui de la séance publique. Au-delà, les parlementaires sont pour
une part responsables du dessaisissement qu’ils déplorent : par le cumul de mandats, qui les
éloigne du parlement, et par leur propre pratique. Aussi longtemps que les parlementaires de
la majorité se satisferont de leur soumission à l’exécutif et que ceux de l’opposition seront
cantonnés à leur impuissance, le travail parlementaire restera en deçà de sa vocation. Nous
devons inviter les parlementaires à avoir l’esprit de révolte !
La démocratie est affaiblie enfin par des contre pouvoirs devenus caricaturaux : la justice est encore trop souvent aux ordres, et les citoyens ulcérés par le sentiment qu’il existe « deux poids deux mesures », selon que vous êtes « puissant ou misérable » ; les médias sont soumis, en particulier du fait de la concentration financière qui renvoie peu à peu l’indépendance de la
presse et son pluralisme au musée ; le CSA se contente d’être inexistant, les personnalités qui
y siègent devant souvent leur nomination aux services rendus au pouvoir ; enfin, le Conseil constitutionnel monochrome exerce de moins en moins son rôle de vigie.
Du fait de la cohabitation, nous avons été freinés dans notre volonté réformatrice entre 1997 et 2002, même si des évolutions importantes ont été réalisées : limitation du cumul de
mandats, parité en politique, quinquennat, réforme du Sénat. Ces réformes sont largement
insuffisantes au regard de l’exigence de répondre à la crise du politique et de nos principes.
Elles doivent donc être reprises et approfondies.
La Constitution de 1958 doit par conséquent être revisitée. Il est impératif d’introduire davantage de transparence, de démocratie, de responsabilité.
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La citoyenneté pour tous, la démocratie partout, des institutions refondées |
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La citoyenneté pour tous
Donner enfin le droit de vote aux étrangers
Il s’agit d’abord de donner, enfin, le droit de vote et d’éligibilité aux étrangers. Il est honteux
pour la gauche de n’avoir toujours pas tenu cet engagement. En mai 2000, la proposition de
loi des Verts avait été adoptée par les députés, mais n’avait pas été présentée au Sénat. En
novembre 2002, à l’initiative du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, une proposition
de loi constitutionnelle a été examinée, mais rejetée par les voix UMP et UDF. La droite
défend l’idée d’un lien entre la nationalité et la citoyenneté qui est sans objet s’agissant des
élections locales.
Prendre en compte le vote blancNous devrons ensuite prendre en compte le vote blanc. La proposition de loi débattue en
janvier 2003 à notre initiative proposait de reconnaître le vote blanc. Là encore, l’hostilité de
la droite a bloqué l’examen du texte. Nous devrons après 2007 franchir le pas.
La démocratie partout Oxygéner les partis
La première exigence démocratique est d’oxygéner les partis politiques. Ceux-ci doivent s’ouvrir davantage sur la société, pour la conduite de certains débats par exemple (le PS avait
dans un premier temps mal réagi sur le mariage homosexuel). Si le monde politique ne
ressemble pas à la société, c’est en particulier par la faute des partis, dont le recrutement ne
couvre pas la diversité sociale, géographique, du pays. Il est anormal d’entendre dire que l’on n’a pas d’élues car on ne trouve pas de candidates. La loi sur la parité est loin d’avoir atteint ses objectifs. Relégitimer les élus est le deuxième enjeu. On connaît bien la défiance fréquente des citoyens à l’égard des élus. La réponse n’est pas dans les discours mais dans les actes. Les élus doivent accepter d’être des citoyens comme les autres, et cesser de bénéficier de statuts (protection pénale notamment) qui en font des citoyens à part. La relation entre les dirigeants et les gouvernés est asymétrique, ce qui interdit toute relation de respect et d’équilibre entre les
deux puisqu’ils se perçoivent inégaux.
Aller plus loin dans le non cumul des mandatsL’acte majeur à cet égard est de renforcer le non cumul des mandats. L’interdiction de
cumuler un mandat parlementaire avec tout mandat exécutif local –y compris maire-adjoint,
vice président de conseil général ou régional, intercommunalités- doit être décidée. La
limitation des mandats dans le temps est envisageable et l’harmonisation à 5 ans de la durée
de tous les mandats s’impose.
La parité jusqu’au boutLe respect du principe de parité est plus que jamais impératif. La parité doit s’appliquer dans
tous les exécutifs et dans les intercommunalités - en attendant leur élection au suffrage universel. Les moyens législatifs doivent être prévus pour contraindre les partis à respecter la parité aux législatives et aux cantonales. La responsabilité des partis est à cet égard flagrante. Le parti socialiste doit donc se montrer plus exigeant et plus volontaire.
Des modes de scrutin plus justesEnfin, la modification des modes de scrutin est l’un des moyens de garantir la diversité de la
représentation politique. Tous les courants doivent trouver un débouché et pouvoir être
représentés. Au niveau local, la représentation proportionnelle le permet dans les communes
et les collectivités régionales. Elle devra en particulier s’appliquer dans les communes dès le
seuil de 2500 habitants. Pour les élections départementales et parlementaires, l’introduction
de la proportionnelle permettra à chaque citoyen de se reconnaître mieux dans une offre
politique plus diversifiée.
Des institutions refondéesLe quinquennat impose de clarifier la dyarchie au sommet de l’Etat. Il est impossible de se satisfaire d’un système dans lequel un homme détient et exerce tous les pouvoirs en toute
irresponsabilité, un système dans lequel le parlement est condamné à l’impuissance. Cette exception française du double exécutif a atteint ses limites. De ce point de vue, la Constitution doit être révisée. Deux options découlent de ce préalable. L’une met l’accent sur le président de la République, l’autre sur le premier ministre. Notre Congrès devra se saisir de ce débat et l’arbitrer.
Vers un régime présidentiel… ?
La première hypothèse établit un lien direct entre le président de la République et la représentation nationale (déclaration annuelle devant l’Assemblée nationale, présence à
certains débats, etc.) Il mettrait fin au splendide isolement du monarque républicain qui ne
rend compte à personne. Si ce système conduit inexorablement à la suppression du premier
ministre en concentrant l’exécutif et donc la responsabilité dans la fonction présidentielle, il
requiert la fin du droit de dissolution. Il donne, de ce point de vue, un véritable poids au
Parlement qui disposera ainsi d’une plus grande indépendance et liberté d’agir. Il faut le dire
clairement : contrairement à sa dénomination, le régime présidentiel est celui dans lequel le
parlement a le plus de pouvoirs, comme l’exemple du Congrès américain le montre.
L’exercice de la fonction présidentielle devrait alors être limité à deux mandats successifs.
...ou un régime primo ministériel ?La seconde orientation repose sur le constat qu’en période de cohabitation, la question de la légitimité de l’action gouvernementale ne se pose pas puisque celui qui la conduit
effectivement, le premier ministre, détient sa légitimité de l’Assemblée nationale. Dans cette
configuration le premier ministre est désigné par le Parlement et une modification
substantielle des pouvoirs du président s’impose - en particulier s’agissant des nominations
dans la haute fonction publique, le Conseil supérieur de la magistrature, notamment.
Le Parlement au cœur de la démocratieDans tous les cas, l’enjeu fondamental est de remettre le parlement au cœur de la démocratie. L’Assemblée doit être reconsidérée dans ses fonctions législative et de contrôle : vote de la
confiance au gouvernement à chaque fin de session, suppression du 49-3 et du vote bloqué,
élargissement de la capacité de contrôle des lois et de leur application, amélioration des
moyens d’expertise des députés, - et surtout, réforme essentielle - la maîtrise accrue de l’ordre
du jour.
Un Sénat représentatifLa réforme du Sénat est urgente. Elle devra porter sur le mode d’élection, la composition du collège électoral, et les pouvoirs de la Haute assemblée. Le « dernier mot » doit revenir à des
représentants élus au suffrage universel direct, c’est-à-dire l’Assemblée nationale, et ce dans
tous les domaines sans exception. Un Sénat réformé représentera mieux les collectivités territoriales : celles d’aujourd’hui, bien sûr, et non plus celles du siècle dernier. Un rééquilibrage de la composition des collèges
électoraux permettra cette modernisation, en donnant tout leur poids aux villes moyennes et aux grandes agglomérations, et en affirmant la priorité donnée aux intercommunalités et aux régions. Le Sénat deviendra ainsi la Chambre des collectivités d’avenir. La composition du collège électoral sera adaptée en ce sens. Une autre hypothèse serait de faire du Sénat le lieu de la représentation nationale de l’ensemble des sensibilités. Il devrait alors être élu à la proportionnelle intégrale au niveau
régional.
Un statut de l’oppositionPlacer le parlement au coeur de la démocratie suppose aussi que la démocratie soit au cœur du parlement. Le statut de l’opposition garantira à cette dernière toute sa place dans le processus
parlementaire. Une suggestion souvent évoquée est d’attribuer la présidence d’une
commission permanente à un parlementaire de la minorité. L’idée que le président de la
commission des finances soit un parlementaire de l’opposition comme en Grande-Bretagne
n’est pas choquante, et d’autant plus pertinente que la mission de contrôle est renforcée. La
création de commissions d’enquête devrait pouvoir devenir une procédure plus courante. La
distribution des rapports avant leur passage en commission, pour que les députés de
l’opposition puissent exprimer par écrit leurs réactions et propositions, irait dans le sens d’une
meilleure association de l’opposition aux travaux législatifs. L’idée d’un code de conduite des
parlementaires, comme il existe au Canada et au Royaume-Uni, mérite examen pour assurer à
nos concitoyens que le parlement fonctionne dans la plus grande transparence à leur service
exclusif et dans le respect de l’opposition.
Des autorités indépendantes, vraiment indépendantesIl nous faudra aussi rénover le Conseil constitutionnel. Le contrôle de constitutionnalité des lois a pris une grande importance, au point qu’avant de débattre de l’extension d’un tel
contrôle (la saisine citoyenne), il faut rappeler la nécessité qu’il soit exercé de manière
incontestable par une autorité incontestée. Il existe parfois une suspicion à l’égard des
décisions du Conseil. Elle repose d’abord sur les modalités de nomination de ses membres.
Les parlementaires pourraient à une majorité des 2/3 désigner les membres du Conseil
constitutionnel. L’instauration d’une procédure transparente et contradictoire d’examen des
recours est aujourd’hui indispensable.
Enfin, l’équilibre des pouvoirs exige que toutes les autorités dites « indépendantes » le soient vraiment. A cet effet, le parlement, comme il est proposé pour le Conseil constitutionnel, pourrait élire à une majorité qualifiée des 2/3 les membres du CSA. La démocratie, ce n’est
pas la mainmise de la majorité du moment sur l’ensemble des pouvoirs. C’est même le
contraire. Les vagues de rejet qui balaient toutes les majorités sortantes depuis trente ans
viennent pour une grande part de cet accaparement des « pouvoirs » par « le » pouvoir, qui
asphyxie la démocratie, n’honore pas la politique, et inquiète le citoyen.
Parions qu’il existe une juste pratique du pouvoir. Faisons-la nôtre.
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