Deux ou trois idées que j’aimerais voir retenir dans notre texte de synthèse

Yvette Roudy

 Contribution thématique au congrès national de Dijon présentée par Yvette Roudy.
Paris, le 8 Janv 2003

 

« C’est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble »
(Michel de Montaigne)

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La première réflexion qui me vient à l’esprit quand je pense à notre Congrès de Dijon c’est qu’il y a urgence à retrouver nos racines .

Récemment un étudiant me demandait « Comment devient-on socialiste ? » En vérité, je ne m’étais jamais posée la question pour la simple raison que je suis née socialiste. Je suis tombée dedans quand j’étais petite. Mais j’imagine que l’on peut devenir socialiste, lorsqu’on sent monter en soi une énorme colère, une forte indignation devant l’injustice, l’inégalité, la misère, la pauvreté, l’exploitation des plus faibles, des plus pauvres, des plus démunis, de tous les damnés de la terre, par ceux qui détiennent le pouvoir et ne sont pas partageux. C’est une idée simple Tout comme est simple l’idée qu’on ne peut aller vers le socialisme sans combat, sans audace, sans courage. Et sans un minimum d’éthique...

Le socialisme est une des plus grandes idées de tous les temps. Il ne peut disparaître. Flora Tristan et Marx n’iraient pas aujourd’hui étudier les conditions de travail des ouvriers londoniens. Ils iraient dans ces pays d’Afrique et d’Asie, dévastés par la misère, la pauvreté, le sida, la famine. Ils iraient étudier les conditions de vie et de travail de ces enfants qui fabriquent pour trois fois rien des produits vendus cent fois plus sur nos marchés. Pour le plus grand profit des maîtres du monde. Ils étudieraient les mécanismes d’exploitation de ces populations qui n’ont même pas la force de se révolter. C’est à partir de cette réalité qu’il nous faut réfléchir.

Il nous faut aussi réfléchir à quelques malentendus qui nous plombent. Nous parlons beaucoup d’égalité et de liberté. Mais nous ne donnons pas tous la même signification à ces mots. . Les courants libertaires, libéraux, ont embrouillé nos idées. J’entends parler de la liberté de la prostituée. Où est sa liberté quand on connaît la puissance des réseaux mafieux qui la manipulent, la terrorisent, l’exploitent, quand on connaît l’indulgence des pouvoirs publics, de la police, la connivence masculine générale ? Qu’est ce que la liberté de l’enfant d’un quartier défavorisé, à entreprendre des études, quand on connaît ses conditions de vie, et la force des modèles de reproduction ? Que pèse la liberté du plus faible devant la liberté du plus fort ? Faut il respecter la liberté du renard dans le poulailler ?

Autre ambiguïté quand nous parlons d’égalité. Je n’ai toujours pas compris comment les inégalités ont pu s’accroître alors que nous étions aux affaires. Pourtant nous avons su créer de nombreux soutiens, allocations diverses pour les plus démunis, RMI, couverture universelle, etc…Mais faute de volonté politique pour s’attaquer aux racines mêmes des inégalités nous avons tout juste rendu plus supportables les conditions de vie des plus démunis. Nous aurions pu lancer de grands programmes régionaux en faveur des enfants les plus défavorisés en les suivant dès la toute petite enfance jusqu’au bac et au delà. Nous aurions alors du même coup diversifier notre population universitaire. Mais pour cela il fallait , défier le Conseil Constitutionnel férocement opposé au principe de discrimination positive.

Nos « sages » interdisent l’usage de ce principe pour réduire les inégalités... au nom du principe de l’Egalité... Allez expliquer cela dans nos réunions de quartiers. Prenons l’exemple connu de tous : celui des allocations familiales. Au nom de l’égalité les sommes versées aux mères de famille sont les mêmes pour tous le monde. Sauf que dans une famille, les allocations familiales seront dépensées en une après midi chez le coiffeur et dans une autre à régler l’ardoise de l’épicier. Ou est l’égalité ? Ou est la justice ? Il y a quelques années j’avais réussi à convaincre Lionel Jospin de la nécessité de plafonner les allocations familiales en fonction des revenus… Et je l’ai convaincu… l’espace de quelques heures. Ses conseillers l’ont rapidement convaincu qu’il allait faire de la peine aux puissantes organisations familiales, conservatrices en majorité. Dans notre système de pouvoir, un conseiller de cabinet, sans aucune expérience, fraîchement sorti de l’Ena a plus de pouvoir qu’un député blanchi sous le harnais.

Le gouvernement dispose d’un pouvoir excessif sur le Parlement . Il décide de l’ordre du jour, fait préparer les textes de lois par ses techniciens. Il peut se composer de personnalités non élues. Devant ses décisions ,les parlementaires doivent se soumettre, se taire et voter alors que ce sont eux qui s’exposent, eux qui remettent régulièrement en cause leur mandat et retrouvent chaque semaine les réalités de terrain. Et que dire des pouvoirs exorbitants du Conseil Constitutionnel - 9 personnes nommées - et du Sénat, immuable depuis plus de 20 ans. Ces institutions vieillies, rouillées, déconnecter de la vraie vie , sont autant d’obstacles à la modernisation de notre société et favorisent l’incrustation de la droite au pouvoir. Est ce là la démocratie ?

Une démocratie que l’on ne retrouve pas non plus dans les régions où les inégalités ne cessent de croître entre régions riches et régions pauvres, où la tendance va encore s’accentuer avec le nouveau découpage dont nous menace le Premier Ministre.

Nous avons tous été blessés par le terrible séisme du 21 Avril 2002. Et je ne suis pas sure que nous en soyons complètement remis. Nous serons guéris quand chacun d’entre nous acceptera sa part de responsabilité dans l’échec qui nous a atteint. . Il est vrai que nous avions un bon bilan de gouvernement et un projet convenable. Mais sans vouloir comparer ce qui n’est pas comparable, en 2001 j’ai perdu une Mairie en dépit d’un excellent bilan et d’un très bon projet. Je suis tombée sur une bonne trahison interne et un bon complot. Et je n’ai pas été la seule. Mais qui a remarqué ce qui s’est passé lors de nos municipales de 2001 ? Les succès de Paris et de Lyon ont masqué l’état de fatigue, de délabrement pour ne pas dire plus du Parti dans certaines fédérations où l’absence de renouvellement a permis la pénétration de certaines pratiques dégradantes. Notre direction alertée, n’a pas vu ou n’a pas voulu voir les dégâts.

François Mitterrand considérait qu’un appareil politique devait se renouveler au moins tous les dix ans. Le Congrès d’Epinay a su montrer ce que peut être un renouvellement. Le Congrès de Rennes ce que peut être un délabrement. La question que je me pose avec sans doute beaucoup de socialistes est simple : vers quelle sorte de parti allons nous : un nouvel Epinay, un remake de Rennes, un recollement des dépouilles ? Notre parti a besoin de s’ouvrir sur la société, d’assouplir ses méthodes, de laisser entrer sans crainte des idées qui peuvent décoiffer et les hommes et les femmes qui les portent. Sans frilosité. Nous avons besoin de tous les talents.

Un mot sur les droits des femmes.
En dépit de quelques avancées et des efforts de Lionel Jospin , ils n’ont pas été soutenus par notre Parti Et c’est une litote. Ils sont récents, ils sont fragiles. Et ils exigeaient des transformations sociales pour les consolider que Dominique Meda a fort bien su identifier. Certes les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler. Mais il s’agit le plus souvent d’un temps partiel précaire, mal payé, sans sécurité, parfois au noir. L’écart des salaires accuse toujours une différence de 25 % . Un rapport récent de la commission européenne révèle que leurs conditions de travail soulèvent de nouveaux problèmes de santé, de sécurité : stress, anxiété, dépression, violences au travail. Elles doivent gérer un emploi du temps délirant entre les enfants de plus en plus difficiles et le compagnon de plus en plus absent. Harcelées au travail et dans la rue, elles ressentent plus que les hommes un fort sentiment d’insécurité La pauvreté des femmes augmente, les violences aussi.

En même temps se développe un « malaise masculin » nous dit-on, du justement à l’absence d’accompagnement des transformations sociales indispensables. Le « genre » masculin se considère lésé. Selon certains, les droits des femmes se développeraient aux dépens du statut masculin, dominant depuis la nuit des temps. .La société serait déséquilibrée. La dernière loi sur la Parité réservant 50 % des candidatures aux femmes « sacrifierait » autant de jeunes hommes sur l’autel de la Parité. Ils ont exprimé leur indignation. Les chefs des Partis ont entendu leurs plaintes. Ils ont tranquillement bafoué la loi qu’ils avaient votée . Et aux dernières élections législatives la présence des femmes à l’Assemblée est passée de 11 % à 12 % A cette allure il faudra attendre 200 ans pour rattraper les grandes démocraties du nord de l’Europe.

Sachant que le degré de démocratie d’une société se mesure à l’aune des droits des femmes nos leaders politiques savent ce qu’ils ont à faire.

Et cela veut dire - comme pour le reste - se donner les moyens et faire preuve de volonté et… de courage.

Yvette Roudy
162 Bd du Montparnasse
75004 Paris
yroudy@club-internet.fr.



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