La parité domestiquée

Yvette Roudy


Point de vue signé par Yvette Roudy, ancienne ministre aux droits des femmes, membre du bureau national du Parti socialiste, paru dans le quotidien Le Monde daté du 5 septembre 2004


 
Quatre années après la promulgation de la loi dite sur la parité, force est de constater le décalage entre les intentions affichées par les responsables politiques, les obligations posées par la loi et le conservatisme du milieu politique.

Afin de tordre le cou aux assimilations douteuses entre une exigence, la parité, et une loi, celle promulguée le 6 juin 2000, " tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ", rappelons que cette loi ne concerne que la répartition sexuée des candidats et non celle des élus ou des fonctions électives. De plus, elle ne s'applique qu'aux élections au scrutin de liste, en excluant les élections municipales dans les communes de moins de 3 500 habitants, et en sanctionnant financièrement les partis ne présentant pas 50 % de candidats de chaque sexe aux élections législatives.

Ne boudons pas notre plaisir. Cette loi représente une avancée. Saluons en particulier l'élection de 47,5 % de conseillères régionales et de 47,5 % de conseillères municipales dans les communes de 3 500 habitants et plus. Avancée qui ne se retrouve cependant pas dans les exécutifs, avec à peine 10,9 % de femmes maires. Ainsi, quand il n'y a pas contrainte, en particulier pour les scrutins uninominaux, les partis font toujours honneur aux hommes : les sortants - par nature méritants -, les dauphins et les éléphants.

Rappelant aux femmes que la galanterie serait une insulte en politique, les partis, tels des clubs anglais, résistent aux mutations et reproduisent désespérément un corporatisme guerrier. Celles qui, disposées à servir un idéal de transformation sociale, souhaitent entrer en politique sont rejetées par ces structures partisanes où la langue est d'un bois tranchant.

Est-ce si difficile à comprendre ? Il semble que oui, tout au moins pour ceux qui, arguant de leur jeunesse, mais attendant une succession longtemps convoitée, se considèrent sacrifiés sur l'autel de la parité. Ils n'ont pas hésité - inconscients de l'incongruité de leur démarche - à exprimer tout haut leur ressentiment. Ils ont été entendus par leurs aînés. Sénateurs, députés, conseillers généraux et présidents de structures intercommunales ont réussi à éviter l'intrusion féminine redoutée.

Plutôt que d'entrouvrir la porte à celles qu'ils affirment tant estimer ailleurs, les sénateurs ont ainsi multiplié les " listes dissidentes ". Il fallait y penser. Les partis ont laissé faire.

Dans le cadre des investitures pour les élections législatives de juin 2002, les dirigeants politiques ont validé cette logique de contournement, préférant perdre une partie de leur financement public plutôt que de respecter l'esprit de la loi. Toute honte bue. Le Parti socialiste perd 1,5 million d'euros par an pour la durée de la législature et l'UMP - cela doit-il nous rassurer ? - perd à peu près 4 millions d'euros par an.

Rien d'étonnant donc à ce qu'avec 12,3 % de femmes à l'Assemblée nationale et 10,9 % au Sénat, la France reste dans ce domaine la lanterne rouge de l'Europe avec l'Italie et la Grèce. Alors que les pays nordiques, l'Allemagne et l`Espagne ont dépassé le seuil de 30 % de femmes élues, seuil considéré comme la condition minimale pour que les femmes exercent une influence appropriée afin que l'élaboration des politiques reflète les valeurs sociales, économiques et culturelles de l'ensemble de la société.

Ce retard de la démocratie française est de la responsabilité des partis politiques. Au-delà des discours médiatiquement corrects sur les vertus des femmes en politique, une femme politique est toujours perçue comme un homme politique évincé. Si la parité fait maintenant consensus aussi bien dans les discours des politiques que dans l'opinion publique, ces bonnes intentions rencontrent dans la pratique des limites inhérentes à la fois à la loi et aux usages politiciens.

Quant aux électeurs - hommes et femmes confondus - ils sont capables d'épouser leur époque. Ils votent pour le ou la politique sans juger son sexe. Les hommes politiques français n'ont pas osé voter contre cette loi. Mais, faute d'avoir pu l'éviter, ils ont réussi à la contourner, la contrôler, la domestiquer, l'apprivoiser. Ce rejet d'un principe étranger au dogme est coutumier d'un appareil bien verrouillé. Je me souviens du débat sans fin autour de François Mitterrand lorsque nous discutions  avant 1971 - de l'opportunité d'une fusion des clubs de gauche avec une SFIO moribonde. Marc Paillet, fin connaisseur du monde politique, nous mettait régulièrement en garde contre la formidable capacité de phagocytage de la vieille machine usée mais encore capable de nous dévorer. Ainsi, la parité qualifiée de " véritable révolution culturelle " ne sera accomplie que par une révolution à la fois politique et institutionnelle.

Pour les élections à venir - sénatoriales, législatives -, les partis doivent faire de la parité des candidatures une priorité et non une variable d'ajustement soumise aux équilibres de courants, aux accords avec les partenaires et à l'ouverture à la société dite civile. Pour que les potentielles candidates ne soient plus tributaires du choix du prince, le respect de la parité doit être pensé comme un engagement démocratique. Pour que toute femme et tout homme soit un(e) citoyen(ne) à part entière, une réflexion est à mener sur les pratiques politiques, surtout lorsqu'elles reposent sur un certain népotisme républicain. Qui choisit les futures élues ? " La base ", assurent les décideurs. " C'est la démocratie. " Certes, sauf que, neuf fois sur dix, l'élue se révélera la plus docile, la meilleure des auxiliaires, celle qui dérangera le moins l'ordre établi, la plus proche du chef. Faut-il ajouter : la plus éloignée du féminisme - humanisme politiquement incorrect ?

Encore une fois, la France fait figure d'exception et non d'exemple. Nos voisins européens ont en effet compris qu'il ne peut y avoir de démocratie sans les femmes. Dès leur création, la plupart des partis socio-démocrates européens ont favorisé, à leur côté, une structure spécifique accueillant adhérentes et sympathisantes. La plupart sont féministes et ne sont pas atteintes du syndrome de la reine abeille qui claque la porte derrière elle. Elles sont consultées, écoutées, respectées. Elles pèsent sur les décisions, les désignations, certaines sont devenues des ministres importantes, voire des premières ministres, telle la Norvégienne Gro Bruntland.

Le " revirement " espagnol illustre le poids de la force de la volonté en politique. Le chef du gouvernement socialiste espagnol, José Luis Rodriguez, annonce (Le Monde du 29 juillet) qu'" il est plus efficace de faire des programmes de discriminations positives, par exemple pour avoir plus de femmes scientifiques, que d'augmenter les impôts ou d'établir les 35 heures ". En lançant une grande loi anti-sexiste - que l'on nous refuse en France depuis plus de trente ans - Zapatero s'attaque résolument aux racines mêmes de cette vieille culture machiste de domination/soumission qui conditionnent les comportements homme/femme et entretiennent les inégalités. Pour lui, " la parité a un effet de démocratisation. Là où elle arrive, la démocratie augmente ".

Nos dirigeants politiques vont-ils entendre ce message ? Vont-ils un jour se libérer de cette vieille peur des femmes qu'ils partagent avec le Vatican ? C'est là toute la question...

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