Parité, j'écris ton nom

Yvette Roudy


Point de vue signé par Yvette Roudy, ancienne ministre aux droits des femmes, députée-maire de Lisieux, paru dans le quotidien Libération daté du 29 décembre 1997


 
Fruit de l'imagination du Conseil de l'Europe, un mot nouveau a surgi dans la vie politique française en 1989 : parité. Ces trois syllabes magiques se sont mises à flotter dans l'air du temps et sont venues enrichir le concept d'égalité entre femmes et hommes, pourtant inscrit dans notre Constitution. Fille de la démocratie, la parité est la dernière pierre, indispensable à la consolidation de notre socle républicain.

Après huit ans de débats, nourris de colloques, de résolutions, d'ouvrages, d'analyses, d'essais, de sondages divers. Après la charte d'Athènes (1922), la charte de Rome (1996), la déclaration du Manifeste des Dix (1996), le moment est venu de la décision. Elle dépend de la seule volonté politique de deux hommes : le Premier ministre et le président de la République, chacun dans ses responsabilités respectives.

Instituer la parité, c'est reconnaître enfin pour choquante et insupportable la position de la France, au dernier rang des pays européens pour la représentation des femmes en politique. Seule la Grèce accompagne la France dans ce triste palmarès. Cruelle ironie de voir ces deux pays souvent cités en exemple pour leur culture démocratique afficher moins de 10 % d'élus femmes.

Il faudra cette intervention suprême, comme il aura fallu celle du général de Gaulle qui mit fin par ordonnance, en 1944, bien après l'Espagne, la Turquie et la Grèce au refus du droit de vote des femmes.

En introduisant le concept neuf de parité en 1989, date symbolique, le Conseil de l'Europe a réussi à sortir de l'ornière le vieux débat sur l'égalité entre femme et homme au point de l'imposer comme question incontournable au moment des élections présidentielles en 1995 et législatives en 1977.

Le 8 mars 1995, interpellé par les associations féminines, le candidat Lionel Jospin, indiquait sa volonté d'avancer audacieusement vers la parité en précisant : « Je proposerai une adaptation législative nécessaire et une limitation du cumul des mandats pour renouveler la classe politique et faire avancer concrètement la parité. » Ce qu'il fit, montrant l'exemple avec le Parti socialiste qui allait présenter 30 % de femmes aux législatives. Ainsi, en juin 97, une trentaine de nouvelles députées ont fait tripler leur représentation dans le Groupe socialiste.

Devenu Premier ministre, Lionel Jospin dans sa déclaration de politique générale le 19 juin 1997, allait plus loin en indiquant «une révision de la Constitution afin d'y inscrire l'objectif de la parité entre les femmes et les hommes sera proposée».

Quant à Jacques Chirac, président de la République, il précisait le 14 juillet 1997, que «si rien ne peut être fait sans passer par une modification constitutionnelle, je dois dire que je me ferai à cette idée même si je préférerais qu'on trouve quelque chose de plus efficace».

La modification constitutionnelle s'impose donc et cela en dépit de la conviction intime de Françoise Gaspard qui considère que la rédaction actuelle de la Constitution suffit, puisqu'elle établit que «la loi garantit à la femme des droits égaux à ceux de l'homme».

Après avoir longtemps partagé cette opinion, je suis maintenant convaincue que la réforme constitutionnelle est incontournable.

Lors du dernier débat sur la parité que j'organisais dans le cadre de l'université d'été de l'Assemblée des femmes à Lisieux les 25 et 26 août derniers, Catherine Tasca, Catherine Lalumière et Françoise Gaspard ont souligné à quel point pesait lourd la décision des neuf sages du Conseil constitutionnel de 1982 qui a annulé un vote de l'Assemblée nationale qui proposait d'introduire l'obligation d'une représentation ne dépassant pas 75 % de l'un ou l'autre sexe dans les listes des municipales.

Cette décision a conforté les adversaires de la parité et a même troublé certains de ses partisans.

Les deux assemblées devront donc adopter en termes identiques un texte à la majorité des 3/5e, puis se réunir en Congrès à Versailles. Ce faisant, on peut aussi décider par la même voie du non-cumul des mandats et de la modification des modes de scrutin.

Guy Carcassonne propose d'écrire dans la Constitution : « La loi favorise l'accès équilibré des femmes et des hommes aux fonctions électives. »

Voilà pourquoi, j'ai décidé de déposer une proposition de loi, début septembre, qui rappelle dans son exposé des motifs, que la parité, souhaitée depuis dix ans par plus de 70 % des Français, doit maintenant s'ancrer dans notre paysage institutionnel. La loi doit prévoir la présence graduelle des femmes sur des listes selon un nouveau mode de scrutin inspiré du modèle législatif allemand ou municipal français et accorder un délai de dix ans aux partis politiques pour atteindre la parité faute de quoi les sanctions tomberont sous forme d'un calcul de l'aide financière de l'Etat proportionnelle au nombre de femmes élues.
Sévère pour certains, cette sanction n'est que l'expression du rôle et de l'apport des femmes et des partis dans une démocratie.

En effet: la Constitution énonce que les partis concourent à l'expression de la démocratie, le législateur a institué leur financement public proportionnellement à leur influence, il est donc juste et sain que les partis qui bafouent le principe de la représentation politique des femmes soient sanctionnés pécuniairement au titre de l'impôt qu'elles acquittent.

Alors la France pourra s'asseoir fièrement à la table des plus hautes instances internationales et revendiquer après celui de pays des droits de l'homme le titre de pays des droits de la personne. Marianne rayonnante aura fait progresser l'égalité et la modernité.
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