On nous propose un marché de dupes

Alain Rousset


Entretien avec Alain Rousset, président du conseil régional de la région Aquitaine, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 13 avril 2004
Propos recueillis par Sophie Huet
 

Les socialistes ont remporté la quasi-totalité des régions. Pourquoi refusez-vous cette nouvelle étape de la décentralisation, qui va vous conférer des compétences nouvelles et des moyens financiers garantis par la Constitution ?
Notre souhait, c'est que la décentralisation avance, car elle sera l'élément déclenchant de la réforme de l'Etat. Mais le projet de Jean-Pierre Raffarin ne nous donne aucune garantie financière, malgré l'engagement pris dans la Constitution. Les régions sont actuellement des collectivités dont les ressources propres sont inférieures aux dotations de l'Etat, dont l'évolution est très faible, de l'ordre de 1,5 % à 2 % par an. La part de la fiscalité régionale sur la feuille d'impôt est de 6 à 7 %. Il faudrait faire un saut fiscal considérable pour assumer de nouvelles compétences. Les régions ont besoin d'avoir des ressources propres dynamiques. Nous devons percevoir une part de la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers). Mais où en sont les négociations à Bruxelles ? Tant que cette question n'est pas réglée, ce que l'on nous propose est un marché de dupes, qui s'apparente à une escroquerie. Il faut, bien sûr, une nouvelle étape de la décentralisation, mais celle-ci n'en est pas une.

Vous allez rencontrer le premier ministre le 19 avril. Qu'allez-vous lui demander ?
Nous voulons que soit réalisé un audit financier sérieux sur le coût de ces transferts de compétences. Car nous sommes dans le flou le plus total. Les régions sont, avec les intercommunalités, les grandes oubliées de la loi de décentralisation, alors que ce sont les deux territoires qui devraient se développer le plus. Dans les faits, ce sont les départements qui ont la part belle et les ressources les plus importantes. Le vrai responsable, c'est Jacques Chirac, qui a rayé d'un trait de plume la taxe professionnelle, qui était la seule ressource propre de l'intercommunalité. On n'a jamais vu un tel désordre à la tête de l'Etat. Tout cela n'est pas sérieux !

Quelles sont les compétences que vous demandez ?
Prenons l'exemple du développement économique. Les régions vont avoir la responsabilité des aides directes aux entreprises. Dans la réalité, c'est une compétence que nous exerçons déjà. Les présidents de région avaient demandé de pouvoir mener des actions collectives en matière d'emploi, mais les services de l'Etat vont conserver cette compétence-là. Pour nous, la décentralisation suppose des blocs de compétences, pour que la réforme engendre de la simplification et de la lisibilité. Ce texte n'apporte rien de tout cela.

On va aussi nous transférer des compétences dans le tourisme, la préservation du patrimoine, ou encore les fameux personnels techniciens et ouvriers (TOS) de l'éducation nationale, sans que soient connues leurs missions. Nous refusons ce transfert de compétences concernant les TOS. L'Aquitaine est la vingtième région sur vingt-deux en matière de dotations en personnels. Il faudrait faire un effort financier considérable pour assumer la gestion de ces nouveaux personnels.

Au fond, vous souhaitez que soit mis un terme à l'enchevêtrement des compétences...
Absolument. Les régions ne veulent pas se substituer à l'Etat. Mais là où leurs compétences sont en doublon avec l'Etat (pour la gestion des fonds européens, la formation professionnelle ou encore la partie territoriale du développement économique), il faut que les régions exercent des compétences entières. Il n'est pas normal que la France soit le seul pays dont les fonds européens sont gérés par les services de l'Etat. Ce texte donne le sentiment que l'Etat vient chercher dans nos poches ce qu'il n'a plus dans les siennes. On va nous transférer un certain nombre de charges, celles qui sont les plus mal assumées par l'Etat. Tout se passe comme si la décentralisation était un acte obligé de l'Etat, uniquement parce qu'il ne peut plus faire face à ses responsabilités.

Êtes-vous également contre l'expérimentation prévue par le texte ?
Si l'expérimentation a pour objectif de généraliser à toutes les régions une compétence, comme pour les TER, c'est positif. Mais si l'expérimentation consiste à confier une compétence, ici aux départements, là aux régions, on va créer une France patchwork dans laquelle personne ne va plus se reconnaître. Une plus grande lisibilité de la réforme participerait à la lutte contre l'abstention.

© Copyright Le Figaro


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