Pour un impôt européen en faveur de la recherche




Tribune signée par Alain Trautmann, porte-parole de Sauvons la recherche, Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins-urgentistes, Gérard Pelletier, président de l'Association nationale des maires ruraux, Claudy Lebreton, président de l'Association des départements de France, Alain Rousset, président de l'Association des régions de France, et Pierre Larrouturou, porte-parole de l'Union pour l'Europe sociale, parue dans le quotidien Le Monde daté du 23 mars 2005



Pierre
Larrouturou


Alain
Rousset




Recherche, éducation, santé, logement, décentralisation... La liste est longue des questions fondamentales pour notre avenir sur lesquelles le gouvernement accumule les effets d'annonce, sans garantir les financements.

Faut-il s'obstiner à baisser les impôts des plus riches et, dans le même temps, imposer une austérité de plus en plus inacceptable aux écoles, aux hôpitaux, aux centres de recherche ? Peut-on dégager 1,5 milliard d'euros pour soutenir les restaurateurs et,"faute d'argent", asphyxier l'hôpital ou les collectivités locales ? Faut-il décentraliser le RMI et les routes nationales sans donner aux collectivités les moyens financiers correspondant à ces dépenses ? Confondant, comme dit Axel Kahn, " compétitivité et précarité ", le gouvernement précarise, l'un après l'autre, des pans entiers de la société.

Peut-on sérieusement dire que le chômage est dû, dans nos pays, à un manque de compétitivité ? Malgré l'augmentation du prix du pétrole et la remontée de la monnaie unique, la zone euro a dégagé, en 2004, un excédent commercial de plus de 70 milliards. Deux fois plus que la Chine, dont on nous vante tant la puissance commerciale ! Patronat et gouvernement peuvent-ils continuer à affirmer que nos problèmes viennent d'un manque de compétitivité ?

Au nom de la" compétitivité ", depuis de nombreuses années, des pays européens, pour attirer les investissements, diminuent la taxation du capital, obligeant les autres à en faire autant s'ils ne veulent pas subir de trop lourdes délocalisations. Au niveau européen, le taux moyen d'impôt sur les bénéfices est passé de 45 % en 1985 à guère plus de 30 % aujourd'hui. En France, une baisse d'un tiers du taux d'imposition équivaut, en 2005, à 17 milliards d'euros de manque à gagner pour l'Etat. Sept fois le budget du CNRS !

Cette baisse de la fiscalité du capital s'est accompagnée d'une augmentation des impôts (directs ou indirects) payés par les personnes. Etant moins mobiles que les investissements, c'est sur elles que l'on fait reposer une part croissante du financement des besoins collectifs (sur la même période, le taux global de prélèvements progressait de 39 % à 42 % du PIB).

Mais faire payer plus les personnes en baissant les impôts des entreprises n'est pas très populaire. Aussi les gouvernements ont-ils souvent préféré augmenter la dette publique plutôt que les impôts des actifs. Cette parade a ses limites : en vingt ans, France et Allemagne ont triplé leur dette publique. Les frais financiers représentent une part considérable de nos budgets et nos Etats sont menacés de sanction pour non-respect du pacte de stabilité.

L'heure de vérité approche : comment financer la recherche et l'éducation si certains pays continuent leur dumping fiscal ? Va-t-on sabrer dans la protection sociale ou lui trouverons-nous un financement pérenne en harmonisant enfin nos fiscalités ? " L'Irlande a réduit à 12,5 % son taux d'impôt sur les sociétés. Laisser des pays qui se sont enrichis grâce au commerce intra-européen siphonner ensuite la base fiscale de leurs voisins, cela n'a rien à voir avec l'économie de marché. Cela s'appelle du vol ", écrivait récemment l'économiste Thomas Piketty.

La fiscalité européenne est triplement d'actualité :

1) L'inquiétude et l'exaspération des chercheurs, enseignants, médecins et élus locaux montent dans tous nos pays. Pour rattraper notre retard sur les Etats-Unis et le Japon, la stratégie de Lisbonne prévoit la création de 700 000 postes de chercheurs d'ici à 2010. L'objectif est louable, mais semble hors d'atteinte si nous ne changeons pas les règles du jeu. En France, c'est au moins cinq fois plus de postes de chercheurs que ce que propose la future loi d'orientation de la recherche (dont le financement est loin d'être assuré).

2) Les chefs d'Etat et de gouvernement des Vingt-Cinq doivent se mettre d'accord cette année sur le budget de l'Europe pour 2007-2013. La négociation risque de tourner au pugilat si l'on n'est pas capable de trouver de nouveaux financements. On voit mal comment l'on peut menacer de sanction pour déficit excessif la moitié des Etats membres et, dans le même temps, exiger qu'ils augmentent leurs contributions. Si l'on n'est pas capable de sortir de ce non-sens, les régions françaises, espagnoles et irlandaises n'auront pas les fonds structurels dont elles ont besoin. Les nouveaux entrants se sentiront floués.

Au moment où les peuples s'interrogent sur le contenu réel du projet européen, la discussion sur le budget va aggraver le risque d'implosion si nous ne sommes pas capables d'inventer du neuf.

3) Le débat sur le pacte de stabilité est l'occasion de réfléchir à l'architecture fiscale de l'Union. La situation est trop grave pour qu'on s'en tienne à de vagues"assouplissements". En février, le commissaire européen chargé de la fiscalité affirmait qu'il fallait accélérer son harmonisation. Il a raison. Mais il suggérait d'adopter ­ comme l'Estonie ­ un taux zéro pour les bénéfices des entreprises. Supprimer l'impôt sur les bénéfices ! Pourquoi pas, ensuite, celui sur le revenu ? Cette proposition va à l'encontre de ce qui est nécessaire pour préserver le bien-être social et la compétitivité durable de nos sociétés.

Aux Etats-Unis, les impôts fédéraux représentent 60 % et ceux prélevés par les Etats et les communes 40 % du total. Cette répartition, adoptée après la crise de 1929, limite fortement le risque de concurrence fiscale entre Etats. En Europe, la totalité des impôts est prélevée au niveau des Etats ou des collectivités locales. Aujourd'hui, la création d'un impôt européen devient une priorité.

Il devrait servir à financer l'ensemble du budget européen, y compris, assez rapidement, la recherche, la diplomatie et la défense... Celle-ci représente en France 2,3 % du PIB. On devrait en consacrer 3 % à la recherche. Si nous décidions, avec un certain nombre de pays voisins, de créer une défense commune (seul moyen d'être efficace) et une recherche intégrée, les deux financées par un impôt européen, nos budgets nationaux retrouveraient immédiatement de nouvelles marges de manœuvre pour financer l'hôpital, le logement, la justice, l'éducation et la décentralisation...

Quel impôt européen ? On peut envisager un impôt sur les entreprises, puisque c'est celui qui a fortement diminué depuis vingt ans, et au profit des actionnaires bien plus que de l'investissement. Une écotaxe ou un classique impôt sur les bénéfices permettraient de donner à l'Europe des ressources propres. Et pourquoi ne pas ouvrir aussi le débat sur une taxe Tobin améliorée ? Ce mécanisme est sans danger s'il est mis en place au niveau d'une grande zone monétaire. Edouard Balladur l'a rappelé le 19 janvier : une taxe Tobin améliorée introduirait une certaine viscosité sur les marchés des changes et limiterait la spéculation.

Notre objectif n'est pas d'augmenter l'impôt pour le plaisir ! Mais il est temps de rappeler que celui-ci est une contribution au bien commun. Comme tous, nous voulons des enfants bien scolarisés, une justice rapide, des routes bien goudronnées, une sécurité sociale efficace, des chercheurs et des policiers qui ont les moyens de travailler. Or, sans impôt, pas de capacité commune à agir, pas de véritable démocratie ! Voilà pourquoi il est fondamental et urgent d'élargir les contraintes qui menacent d'asphyxier l'Union et chacun de ses membres, fondamental et urgent de créer enfin un impôt européen.
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