Le rejet du traité provoquerait le recul de l'idée européenne

Alain Rousset



Entretien avec Alain Rousset, président de la région Aquitaine, paru dans le quotidien Sud Ouest daté du 3 novembre 2004
Propos recueillis par Jean-Pierre Deroudille
 

Personne n’ignore que vous êtes favorable au traité constitutionnel européen, mais cet engagement a paru jusqu’ici bien timide...
J’ai été un des premiers à prendre position, car je mesure chaque jour, comme président de Région, le rôle positif de l’Europe. Et, le 4 novembre, nous tiendrons une réunion publique pour le oui à Pessac.

Pour vous, quels sont les bons arguments du oui ?
Rappelons d’abord que l’Europe est indispensable parce que l’émergence de pays comme la Chine, l’Inde, le poids économique des Etats-Unis, supposent une Union européenne forte. Ce traité constitutionnel est un progrès par rapport aux textes existants, insuffisant sans doute, mais vital et pas contestable à mes yeux : il inscrit par exemple pour la première fois la notion de services publics, l’exception culturelle, les droits sociaux et du citoyen. Tout traité est un compromis, et l’Europe progresse à petits pas. Mais, de grâce, faisons la différence entre les règles de fonctionnement et les politiques qui devraient être menées. Par exemple, pourquoi Jacques Chirac rejoint-il l’Angleterre pour limiter le budget européen ?

Ce n’est donc pas un traité libéral ?
Vous pourriez aussi me dire que la référence au droit de propriété dans la Déclaration des droits de l’homme peut entraîner une dérive libérale. On peut faire, à partir de ce traité, une politique de droite aussi bien qu’une politique de gauche. Est-ce que la Constitution de 1958, qu’il a critiquée, a empêché François Mitterrand de gouverner à gauche ? De la même façon, ce traité n’empêche pas le gouvernement espagnol d’augmenter de 40 % les crédits pour le logement social, comme l’Europe n’a jamais interdit à Lionel Jospin de mettre en place la couverture maladie universelle ou les emplois jeunes. Son rejet provoquerait le recul de l’idée européenne, ce que les socialistes ne peuvent accepter, et il isolerait la France, qu’on le veuille ou non. Ce serait aussi, paradoxalement, une victoire de ceux qui veulent brider l’évolution sociale de la réglementation européenne. La position récente du Parlement européen montre à l’évidence que l’évolution vers une Europe plus démocratique, moins technocratique, est en marche. Ce qui fera la différence, comme l’ont montré les députés à Strasbourg, c’est le combat politique. L’Europe va-t-elle s’engager dans une grande politique de recherche ? En aidant les pays nouveaux adhérents, va-t-elle y élever leur niveau de vie et donc contribuer à y améliorer les droits sociaux, ce qui limitera la tentation des délocalisations ?

Les Régions ont-elles aussi à y gagner ?
Oui, pour la première fois, le traité cite les Régions comme constituants de l’Europe. Mais je voudrais rappeler aussi que la modernisation de notre tissu économique, le développement rural, la politique de la ville doivent beaucoup aux financements européens. La bataille à mener est celle du budget de l’Europe.

Vous avez pris la tête de la révolte des collectivités contre la décentralisation selon Raffarin. Sa loi est-elle aussi mauvaise ?
Je refuse d’utiliser le mot de révolte. Je suis beaucoup trop attaché au respect des lois de la République. Mais tous les présidents de Région, de gauche comme de droite, constatent le désengagement financier massif de l’Etat. Nous sommes dans une situation insupportable qui n’est pas liée principalement à la loi de décentralisation, mais aux choix financiers et fiscaux du gouvernement : l’Etat n’intervient plus que sur 10 % des dossiers d’aides aux entreprises d’Aquitaine ; il a baissé de 30 % ses crédits de politique de la ville ; il lance des programmes dont le financement doit être assuré par les collectivités locales, comme le plan Borloo.

Et la loi ?
Elle n’apporte pratiquement rien aux Régions. L’amendement du Sénat a fait éclater leur compétence économique et, en définitive, elle a été plutôt humiliante pour les Régions. La volonté affichée de Jean-Pierre Raffarin était de conforter le fait régional, et au bout du compte, c’est plutôt le contraire.

Tout cela servira-t-il à justifier une hausse de la fiscalité locale ?
Tous les Français comprennent que, d’un côté, le gouvernement fait des discours sur la diminution des impôts et que, de l’autre, les chantiers d’équipement, de modernisation des entreprises et de l’agriculture sont arrêtés, que des laboratoires de recherche sont privés de moyens. Faut-il accepter aussi une diminution des actions d’insertion et de politique de la ville ?

Cela signifiera-t-il une augmentation des taux à deux chiffres ?
Le chiffrage précis est en cours, car, plus que jamais, nous avons besoin d’une vision prospective. Quant aux effets de la fiscalité régionale, il convient de les ramener à leur véritable valeur. A cet égard, je rappelle que la fiscalité directe de la Région ne représente que 6 % de la fiscalité directe locale. Cela ne nous empêchera pas de faire le choix de la meilleure efficacité de l’action publique et de la rigueur.

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