On a trop souffert de l'obstination des décideurs

Ségolène Royal


Entretien avec Ségolène Royal, présidente du conseil régional de Poitou-Charentes, paru dans le quotidien Le Monde daté du 10 novembre 2006.
Propos recueillis par Arnaud Leparmentier et Isabelle Mandraud

 

Arrivez-vous affaiblie à l'issue des six débats de la primaire socialiste ?
Je ne me sens pas du tout affaiblie, au contraire. Ces débats, conçus à l'origine pour m'éprouver, passer du virtuel au réel, selon le mot de mes compétiteurs, ont renforcé ma légitimité et ma crédibilité. Le PS en sort grandi aux yeux des Français en ayant donné l'exemple de la transparence et de la modernité.

En cas de second tour, Dominique Strauss-Kahn estime que vous n'avez pas de réserve de voix.
A ce stade, je ne veux pas me placer dans cette situation, puisque je souhaite que le résultat soit clair et net dès le premier tour, ce qui permettrait de mieux conserver l'unité des socialistes et de leur donner un élan face à la droite.

Votre position sur le nucléaire civil iranien ne correspond pas au traité de non-prolifération (TNP). Pensez-vous que le danger est tel qu'il nécessite une approche différente ?
Mon approche correspond aux traités internationaux, qui sont clairs. La résolution 1696 du Conseil de sécurité du 31 juillet 2006 enjoint à l'Iran d'arrêter l'enrichissement au 31 août 2006 sous peine de sanctions. Il s'agit bien d'enrichissement dans l'accès au nucléaire civil car l'Iran en refuse le contrôle prévu par le TNP.

C'est parce que cet enrichissement est soupçonné d'être militaire.
Non, pas à ce stade. Le TNP impose le contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique sur l'enrichissement du nucléaire, y compris à des fins civiles, dans son article 3. Le Conseil de sécurité a pris cette résolution puisque l'Iran a refusé de se plier aux inspections de l'agence de Vienne, condition indispensable pour avoir le droit d'exploiter du nucléaire civil.

Vous avez reculé sur certaines polémiques que vous avez lancées : encadrement militaire pour jeunes délinquants devenus des camps humanitaires ou sur les jurys de citoyens que vous n'appelez plus jurys.
Il ne s'agit pas de reculs, mais d'apporter des précisions par rapport à des polémiques ou à des déformations de mes propos. J'ai toujours dit que j'étais favorable à toutes les alternatives à la prison pour les jeunes condamnés, dont le taux de récidive dépasse 70 %. J'ai cité une solution consistant à les réintégrer avec un encadrement militaire. Mais pour reconquérir l'estime de soi, il faut aussi se prouver qu'on est capable de rendre service aux autres, de participer par exemple à des actions humanitaires. Il n'y a là aucune contradiction.Je ne suis pas dans la politique traditionnelle du tout ou rien. La politique a trop souffert de l'obstination des décideurs, qui ont peur parfois de s'adapter ou d'ajuster les choses : on l'a vu avec un responsable qui se disait droit dans ses bottes ou sur le CPE.

La politique respectueuse des gens consiste à ne pas avoir peur de préciser et de faire de la pédagogie. Ma valeur, c'est d'éviter la prison et de remettre les jeunes dans le droit chemin. S'il faut expliquer le mot militaire, qui a été, de bonne ou de mauvaise foi, mal compris, je le fais sans orgueil politique mal placé.

De même, il existe bien d'autres jurys que ceux des cours d'assises, comme les jurys littéraires ou d'examen. J'ai expliqué ce mot pour que l'idée continue à faire son chemin. Ça, c'est une façon moderne de faire de la politique.

Sur la carte scolaire, vous parlez désormais d'un choix entre un ou deux collèges. Après avoir fait un diagnostic, vous peinez à proposer des solutions.
Les solutions ne sont pas figées à ce stade, elles sont en recherche. Petit à petit, je vais faire comprendre le sens de cette nouvelle action politique. Les débats se sont organisés autour de mes propositions, parce que, consciemment ou non, chacun a reconnu que j'avais le courage de poser des problèmes profonds. J'ai toujours dit que ma campagne serait une campagne participative et les réponses vont émerger.

Sur la carte scolaire, les solutions seront discutées avec les maires pour le primaire, les départements pour les collèges et les régions pour les lycées. Il n'y a pas de réponse simpliste à des problèmes complexes. Il est temps de sortir des décisions uniformes. Selon les endroits, la réforme de la carte scolaire sera justifiée. Là où elle fonctionne, elle ne le sera pas.

Vous avez été accusée de populisme par vos adversaires qui vous mettent dans le même sac que Nicolas Sarkozy. Qu'y a-t-il de commun entre sa démarche et la vôtre ?
Rien. Je n'ai absolument pas la même conception de la responsabilité politique. Je suis socialiste, je ne suis pas pour dresser les Français les uns contre les autres. Le populisme, c'est cela. Moi, au contraire, je crois à l'intelligence collective d'un peuple majeur auquel je fais appel.

L'ordre juste est-il compatible avec la grâce annoncée par avance à José Bové et aux destructeurs d'OGM ?
Cette mesure correspond à l'ordre juste au sens où la cause est juste. A partir du moment où l'on prive les Français de ce débat très important, qui a été retiré de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, c'est le pouvoir qui est en faute.

Je n'ai pas cautionné l'atteinte à la propriété, mais j'ai dit que je comprenais des gestes qui sont provoqués par l'absence de débat et de décision transparente. On a trop souffert des secrets et des lobbies financiers sur l'amiante, le nuage de Tchernobyl, sur la sécurité alimentaire. Si je suis élue, le débat aura lieu et il y aura une transparence totale sur les données scientifiques environnementales qui concernent la vie des gens.

Qui détermine l'ordre juste ?
L'ordre juste, ce sont les règles collectives. C'est la loi qui les détermine et, surtout, les actions publiques qui permettent de lutter contre les désordres injustes.

La loi interdit de détruire des champs d'OGM.
La loi sanctionne les atteintes à la propriété. Mais il y a, dans la Constitution, un principe de précaution, inclus dans la charte de l'environnement qu'a fait voter la droite. En vertu de ce principe, qui n'est pas mis en œuvre, les OGM en plein champ devraient être interdits. Aujourd'hui, on est dans le désordre.

Faut-il que Jean-Marie Le Pen puisse se présenter à la présidentielle ?
Je voudrais surtout que les Français se détournent de lui.

Comment faites-vous la synthèse entre l'altermondialisme et le modèle nordique, deux pôles dont vous vous réclamez ?
Mon objectif est de prendre ce qu'il y a de meilleur dans les modèles d'aujourd'hui. Il n'y a aucune incompatibilité à développer un syndicalisme de masse, responsable, comme dans les pays nordiques, qui a permis de faire converger les intérêts des entreprises, des salariés et d'un pays par une meilleure répartition des fruits du capital et du travail et à reprendre les idées des altermondialistes qui réclament, à juste titre, un autre mode de développement.

La synthèse entre ces deux modèles, solidaires et égalitaristes, passe-t-elle par une hausse forte des impôts et des prélèvements obligatoires ?
Non, il n'y a aucune raison d'augmenter les taux de prélèvements obligatoires. Cela passe par une meilleure répartition des investissements et par un investissement massif dans la recherche, dans les qualifications professionnelles et dans le dialogue social. Avec les investissements dans la valeur travail et dans l'innovation, nous rendrons les entreprises plus compétitives et réduirons le chômage.

Où trouvez-vous les économies nécessaires à ces investissements ?
Aujourd'hui, le pays est bloqué parce qu'on a un Etat central qui s'oppose aux régions sous prétexte que les régions sont dirigées par les socialistes. Si l'on crée un mouvement de confiance et si l'Etat central tire dans le même sens que tous les acteurs économiques, on peut relancer rapidement une croissance durable. J'y crois.

Comment jugez-vous la possibilité, pour la première fois, de voir une femme élue présidente ?
Ce serait un événement historique. Ce cheminement est regardé à l'étranger avec grand intérêt. Avec Angela Merkel, Michelle Bachelet, les femmes dirigeantes sont une infime minorité. Mais les itinéraires se confortent. Le principal reproche entendu à propos de chacune porte sur leur légitimité, leur savoir-faire, leur carrure. Il y a une aspiration à un changement profond, à une responsabilité redoublée, une exigence encore plus forte.

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