Traité constitutionnel
Il faut renverser la tentation du « non »

Ségolène Royal



Entretien avec Ségolène Royal, présidente du conseil régional de Poitou-Charentes, paru dans le quotidien Le Monde daté du 27 août 2004.
Propos recueillis par Isabelle Mandraud
 

Vous allez vous réunir avec les présidents de région socialistes dans le cadre de l'université d'été du PS ; le secrétaire d'Etat au budget, Dominique Bussereau, vous soupçonne de vouloir vous " dédouaner " par avance d'une augmentation à venir des impôts locaux. Que lui répondez-vous ?
L'objectif de cette réunion est de faire émerger les mesures-phares que nous prenons - et à travers ces actions, progressivement, un modèle de société. Nous tiendrons pour cela à jour un classeur avec des fiches : l'opération " Coup de pouce en Bourgogne " pour le logement, les emplois associatifs dans le Centre, l'insertion de clauses sociales et environnementales dans les marchés publics dans les Pays de la Loire, un fonds social étudiant en Picardie... Nous allons lancer des audits pour mesurer le coût direct des transferts de compétences prévus par la loi de décentralisation, mais aussi les coûts indirects que ces mesures feront peser sur les régions - et que le gouvernement s'est abstenu d'évaluer. Nous avancerons des contre-propositions financières.

La bataille, aujourd'hui, c'est de réclamer le transfert des moyens. Qu'on nous donne ces moyens et nous saurons faire ! On saura rétablir des emplois-jeunes dans les écoles, reconstruire le service public - contre lequel les coups les plus graves sont portés en ce moment même.

Comment jugez-vous le gouvernement ?
Il offre un spectacle désolant d'incompétence et de désordre, en décalage avec les préoccupations des Français. Il y a presque du dégoût. Obnubilé par l'UMP, il passe à côté des enjeux. La France est sous-représentée à la Commission européenne car le gouvernement ne s'en est pas préoccupé. En persistant à maintenir le premier ministre avec la même ligne politique, le président de la République agrandit la fracture - forte - entre lui et le peuple.

Les fruits de la croissance devraient-ils servir à renflouer la dette, comme le dit Nicolas Sarkozy, ou soutenir la dépense sociale, comme le souhaite Jean-Louis Borloo ?
Où est la reprise ? Telle qu'elle est mesurée, la croissance annoncée me paraît artificielle. Elle ne crée pas d'emplois. Le prix du pétrole et des matières premières augmente. Les allocations familiales pour la rentrée scolaire n'ont pas été revalorisées. Il y a eu moins de départs en vacances cette année. Les achats de fruits et légumes s'effondrent. Tout cela montre plutôt un tassement du pouvoir d'achat. Cela témoigne aussi du désordre gouvernemental. Il n'y a pas d'arbitrages réfléchis. Il faudrait plutôt soutenir le pouvoir d'achat afin que la croissance soit réellement au rendez-vous.

Le PS lance la préparation de son projet pour 2007. Doit-il dès à présent élaborer des propositions concrètes, comme pour les élections régionales, ou aller au-delà ?
Aucune élection ne se ressemble. Il n'y a pas de recettes. Il faut d'abord écouter pour agir juste. Nous avons assez de temps devant nous - deux ans - pour analyser les mutations, tirer profit des expériences des laboratoires que sont les régions et les départements et repenser le lien entre des citoyens de plus en plus exigeants et les élus.

Le PS s'interroge aussi sur les institutions. Dans quel Mitterrand vous reconnaissez-vous : celui qui a dénoncé la Constitution ou celui qui l'a appliquée ?
C'est le même ! Mitterrand a pensé que la pratique l'emporterait sur les textes. Aujourd'hui, le débat est ouvert. Ce qui se passe avec Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin pose le problème de la responsabilité politique. De ce point de vue, le quinquennat a modifié la donne. Mais jusqu'où faut-il changer les textes ? Rien n'empêche le président d'être en première ligne. Il y a bien un conseil des ministres chaque semaine ! Je crois que la question posée relève autant d'une réforme constitutionnelle que de la façon d'exercer le pouvoir.

C'était le slogan de Lionel Jospin, " Présider autrement "...
Il est toujours d'actualité.

Le PS doit-il s'engager rapidement en faveur de la Constitution européenne ?
Oui, à condition que M. Chirac n'instrumentalise pas ce vote. Mais il faudra conquérir le " oui ". Expliquer qu'on peut améliorer ce texte - avec le droit d'initiative reconnu au Parlement européen, le droit de pétition, les coopérations renforcées entre Etats membres. Il faut promouvoir des initiatives complémentaires et renverser la tentation, qui n'est pas négligeable, de refuser ce projet. Dans le " non ", il y a une résignation. En politique, le front du refus est celui de la facilité. L'Europe a toujours avancé malgré des textes imparfaits parce qu'il y avait des volontés fortes.

Dans son livre Que faire au Parti socialiste ? (CGM / Bruno Leprince), Jean-Christophe Cambadélis critique l'attentisme et la prudence de François Hollande. Qu'en pensez-vous ?
C'est un portrait forcément incomplet. Reconnaissons que François Hollande a trouvé la solution pour redresser le parti après l'épreuve et rassembler la gauche pour permettre nos victoires aux élections régionales et européennes. Les circonstances permettent aujourd'hui d'ouvrir la route vers l'alternance.

On vous surnomme la " Zapatera ". Cela vous agace ?
Non. Je le prends comme un compliment.

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