L'argent des partis :
fragile honnêteté

Michel Sapin


Point de vue de Michel Sapin, trésorier du Parti socialiste, paru dans le quotidien Le Monde daté du 18 octobre 2003


 
En France, aujourd'hui, l'interdiction faite aux entreprises de participer au financement de la vie politique est au cœur des dispositions législatives qui ont permis de moraliser le déroulement des campagnes électorales et le fonctionnement des partis en faisant obstacle, autant que faire se peut, à cette corruption qui avait trop longtemps entaché la politique française.

Il a fallu du temps pour en arriver là ! Sept années se sont écoulées entre 1988, date de la première loi adoptée à la demande de François Mitterrand, alors président de la République, qui encadrait les dons des entreprises, et 1995, date où la loi a interdit totalement toute participation directe ou indirecte des entreprises au financement des partis et des campagnes.

Sept années et quatre lois : en 1990, puis en 1993, des dispositions nouvelles, plus contraignantes, avaient progressivement limité les possibilités ouvertes aux entreprises, avant d'aboutir à l'interdiction absolue. Dès 1992, j'avais souhaité, alors ministre des finances, cette interdiction que voulait Pierre Bérégovoy. Elle ne fut possible qu'en 1995.

Certains contestaient, contestent encore, cette rigidité, considérant que le don d'une entreprise n'est pas synonyme de corruption, en l'absence le plus souvent d'un avantage qui leur aurait été accordé en échange. Les partisans des dons libres des entreprises aux partis s'appuient aussi sur les exemples étrangers, où un tel financement est permis.

Rien de tout cela ne me fera varier de cette conviction profonde qui m'anime : en France, compte tenu des habitudes longtemps acquises, des tentations encore trop souvent présentes et des délits parfois même commis, rien ne justifie qu'il soit mis fin à l'interdiction du financement des partis par les entreprises. Au contraire !

La commission de vérification des comptes des partis politiques vient à nouveau de souligner la faiblesse des moyens juridiques et humains lui permettant de vérifier la nature et l'origine des recettes financières des partis. C'est dire combien les membres de la commission continuent de s'inquiéter de la quantité, parfois considérable, de dons en espèces dont l'origine exacte est inconnue, de l'opacité des relations qui peuvent exister entre partis et entreprises par le biais, par exemple, de la fixation de loyers à des niveaux amicaux, ou de la présence au capital de sociétés placées dans l'orbite des partis, de groupes industriels ou financiers.

Si la commission veut y voir plus clair, c'est bien que, même dans le cadre actuel, l'ombre recouvre encore, pour partie, la relation entre des entreprises et des partis.

C'est dans ce contexte, en grand progrès par rapport à la situation d'avant 1995, mais qui peut et doit encore s'améliorer, que s'exprime la volonté de certains partis de créer des fondations " politiques ", fondations qui seraient elles-mêmes financées par les dons d'entreprises. La loi sur le mécénat récemment adoptée est un puissant aiguillon à ce mouvement, compte tenu des avantages fiscaux considérables qui s'attachent désormais aux dons que les entreprises peuvent vouloir faire aux fondations de toute nature.

Il y a là un grand danger, contre lequel je veux mettre en garde les responsables politiques et les citoyens français. Pas parce que des fondations liées à des partis ne seraient pas légitimes ! Le responsable socialiste que je suis serait mal placé pour refuser aux autres ce que mon parti s'est accordé à lui-même, il y a plusieurs années, avec la Fondation Jean-Jaurès.

L'UDF, à l'époque, avait créé sa propre fondation, baptisée Robert-Schuman. Mais les uns comme les autres, socialistes ou centristes, nous avons décidé de refuser tout financement par des entreprises, conscients que nous étions qu'il fallait éviter de réintroduire par la fenêtre des fondations le financement privé que nous avions chassé par la porte des partis.

L'ambition de l'UMP est tout autre. Elle revendique, pour sa future fondation, la liberté de recourir à des ressources issues des entreprises. D'autres partis, à la recherche de moyens financiers, sont tentés d'aller dans le même sens. C'est alors que la toile laborieusement tissée pour moraliser le financement de la vie politique se verrait brutalement détruite. En tirant sur un fil, c'est tout le tissu de la lutte contre la corruption qui viendrait alors à disparaître. Et nous serions revenus quinze ans en arrière, avec le retour de toutes les incertitudes morales et politiques attachées à ce passé !

Je propose donc que les règles qui encadrent et limitent le financement des partis s'appliquent avec la même sévérité et la même transparence au financement des fondations créées dans la sphère d'influence de ces partis. C'est une mesure urgente mais absolument indispensable si nous voulons éviter une grave régression porteuse de perversions.

La démocratie est trop précieuse, et trop abîmée aux yeux de nombre de nos concitoyens ! Soyons tous vigilants et lucides pour continuer les efforts nécessaires. Ne cédons pas, comme nous y invitent l'UMP et sa fondation, aux facilités financières qui ont tant fait de mal à ces partis qui, pourtant, comme le dit la Constitution, " concourent a l'expression du suffrage " dans le respect " des principes (...) de la démocratie ".

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